La révolution numérique, Ivan Lavallée

L’industrie et l’économie de demain seront dépendantes de la modélisation et simulation numériques. On commence à parler aujourd’hui de l’usine numérique.

Elle sourd maintenant depuis des années dans les entrailles de la société. En fait, depuis très très longtemps, depuis que les hommes ont entrepris de « mettre en nombres » le monde qui les entoure, du comptage des têtes d’un troupeau aux comptes frelatés de Bygmalion, de la pression artérielle de tout un chacun au PIB de tel pays ou tel autre. Tout est mesure et comparaison. Leibniz au XVIIe siècle déjà disait que deux symboles suffisent pour représenter tous les objets, annonçant à son insu le calcul binaire dans les machines à calculer, qui sera proposé dès 1938 par Louis Couffignal. L’apparition de l’informatique a généralisé et accéléré le phénomène, et nous n’en sommes qu’aux débuts. L’industrie et l’économie de demain, et déjà en partie d’aujourd’hui, seront dépendantes de la simulation numérique. Pour concevoir les avions aujourd’hui ou les carrosseries de voitures, voire les bateaux, on utilise des souffleries numériques qui simulent les souffleries traditionnelles sur des super – ordinateurs.

LA SIMULATION NUMÉRIQUE OUTIL INDUSTRIEL

Mais cela ne suffit plus, la simulation numérique intervient de plus en plus tout au long du processus industriel, dans la séquence conception-fabrication-distribution, comme dans l’analyse des réactions des clients. La simulation permet d’améliorer, élargir et affiner l’exploration des possibles, de tester différentes possibilités sans autres conséquences que quelques heures de calcul. Cela donne la possibilité de diminuer les coûts et durées de conception en permettant, par exemple, de mettre en évidence au plus tôt et sans grosses conséquences les erreurs de conception ou les défauts de qualité. La simulation permet aussi de former des compétences.

Dans le domaine des économies d’énergie, elle est décisive. Dans l’industrie du transport, elle permet de diminuer considérablement le poids d’un véhicule pour le rendre moins gourmand en énergie et moins polluant, et elle seule le permet. « Pour garantir leurs objectifs de réduction d’émissions de CO2, tous les constructeurs automobiles allègent leurs véhicules. […] On sort des zones de travail habituelles et la simulation prédictive est la seule voie économiquement viable pour comprendre le comportement de la matière, afin de développer ces nouveaux process de production.(1)»

Il est peu de domaines industriels qui y échapperont dans l’avenir. On ne pourra bientôt plus concevoir un nouveau produit sans être passé par la case simulation numérique. Ainsi pour l’élaboration de nouveaux médicaments, l’usage de la simulation va permettre de personnaliser les traitements. Il en va de même pour l’élaboration de nouvelles molécules. La combinatoire qui y est associée ne permet pas de se lancer dans une expérimentation en laboratoire qui prendrait un temps démesuré.

Une modélisation/simulation bien conçue et bien menée sur des machines puissantes doit faire gagner des échelles de temps très importantes. En médecine comme en cosmétologie(2), des méthodes combinant approche biologique et simulation constituent une alternative à l’expérimentation in vivo. Cette façon de faire suppose toutefois l’accès à d’énormes puissances de calcul et à des logiciels sophistiqués, clés du développement industriel actuel.

Dans le domaine économique, à l’échelle d’un groupe, d’une entreprise, d’une région ou d’un État, l’élaboration de modèles statistiques fondés sur une analyse de très grandes quantités de données comportementales conduit à pouvoir fixer les prix et optimiser les marges au niveau de chaque magasin, optimiser les flux au niveau social, gérer la distribution de l’eau ou de l’énergie, par exemple.

La simulation numérique devient un élément clé pour renforcer la capacité de développement d’une entreprise, sa réactivité, tout en réduisant les risques et incertitudes qui y sont liés et en améliorant sa santé économique dans le cadre d’une économie très concurrentielle.

DES OUTILS CONCEPTUELS RENOUVELÉS ET DES SUPERORDINATEURS

La simulation numérique nécessite des outils conceptuels d’un type nouveau. Il y faut une modélisation, un maquettage virtuel de ce qu’on souhaite simuler (produit, institution, procédé, molécules, services…), ce qui signifie une traduction mathématique, qu’elle soit discrète(3) ou continue, des objets étudiés et des lois qui les régissent. Un tel maquettage nécessite une quantité considérable de données et de mesures, une quantité d’autant plus considérable qu’on souhaite entrer dans le détail et avoir une simulation la plus réaliste possible. Qui plus est, il faut considérer les choses d’un point de vue dynamique. On n’en est plus seulement à simuler un objet en tant que tel mais en situation et en évolution la plupart du temps. Ce sont des systèmes de systèmes en interactions qu’il faut prendre en compte. La complexité devient telle qu’il faut faire appel à des capacités de calcul considérables. Il faut alors disposer de systèmes de traitement offrant la puissance de calcul, la capacité d’archivage de données, les logiciels et les compétences humaines(4) adaptées pour transformer l’usage de la simulation numérique en un véritable avantage concurrentiel.

La puissance de calcul utile à l’obtention de cet avantage concurrentiel varie selon l’état de l’art, les secteurs d’activité et les marchés correspondants pour ce qui est des entreprises. Il est clair que le calcul haute performance, c’est-à-dire de l’ordre du petaflops (1 million de milliard d’opération par seconde !) permettra de repousser les frontières de ce qu’il est possible de faire par ordinateur en utilisant les plus rapides d’entre eux. Cette puissance de calcul peut servir deux objectifs différents mais complémentaires :

– réduire autant que possible le temps d’exécution d’un programme par nature complexe en nombre d’opérations à réaliser et s’appliquant à des volumes considérables de données ;

– tester et comparer très rapidement un grand nombre de solutions en utilisant le même programme mais en faisant s’exécuter en parallèle de multiples instances de celui-ci avec des paramètres différents, notamment à des fins d’optimisations spécifiques.

Actuellement les ordinateurs les plus puissants accessibles au monde de l’industrie offrent une puissance de l’ordre de 1 petaflops. Ce genre de machine est surtout utilisé par l’armée pour simuler des explosions thermonucléaires, évitant ainsi de tester ces engins dans l’atmosphère.

LA SIMULATION NUMÉRIQUE SE DÉMOCRATISE

L’usage industriel de la simulation est resté pendant longtemps l’apanage de grandes entreprises des secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, de l’énergie et de la défense.

Au sein de ces secteurs d’activité, l’emploi de méthodes de simulation n’a cessé de se perfectionner pour améliorer les usages existants, mais aussi pour en couvrir de nouveau.

L’augmentation de la puissance des ordinateurs et l’apparition de nouveaux algorithmes permettent régulièrement d’augmenter la taille des modèles, et donc la qualité et la précision de la simulation. De nouvelles applications ont été rendues possibles, comme la simulation électromagnétique ou acoustique dans l’aéronautique. De nouvelles méthodes et de nouveaux procédés voient le jour. C’est le cas de la conception de nouveaux matériaux ; ce sont aussi les progrès vers la mise au point de modélisations et simulations à la fois plus globales et plus systémiques. Outre les secteurs traditionnels, on observe une pénétration croissante de l’emploi du calcul intensif au sein des domaines de la finance, des télécommunications et de l’énergie (simulation de réseaux…) ou encore de la santé. Dans les secteurs de la chimie ou de la biotechnologie, des progrès importants ont été obtenus par l’emploi de méthodes relevant de la simulation au niveau moléculaire en particulier.

DU MÉDICAMENT AU JEU VIDÉO

Des champs d’application entièrement nouveaux sont en train de d’apparaîttre.

La conception de médicaments est un bon exemple de ce phénomène. En effet, la simulation numérique permet de remplacer dans certains cas une expérimentation in vivo par une expérimentation in silico et réduire ainsi les temps et les coûts de conception. Par ailleurs, l’usage d’ordinateur très puissants rend possible l’analyse de quantités considérables de données tant génétiques que cliniques permettant, par exemple, l’extraction de connaissances pharmaco-génomiques. Les méthodes développées facilitent en outre l’analyse de la personnalisation des traitements et la prise en compte de pathologies complexes, comme celles qui apparaissent au sein de populations vieillissantes, ou dans les maladies dites «orphelines ».

Le domaine du multimédia et des jeux devient de plus en plus, lui aussi, un domaine privilégié de l’emploi de la haute performance dès lors que les images, les films, les sons, les jeux sont devenus des objets numériques. Ainsi le calcul intensif permet, dans un temps raisonnable, l’amélioration du rendu naturel de scènes artificielles. De même, la simulation des ensembles urbains tant du point de vue de leur conception que celui de l’analyse de la pollution, du trafic ou encore de l’énergie constitue un champ prometteur d’application du calcul intensif.

IVAN LAVALLÉE

(1) L’Usine nouvelle, 10 avril 2014,supplément 3372SIMU14FR

(2) Voir http://www.usine-digitale.fr/article/l-oreal-sublime-peau-et-cheveux-par-lecalcul.N251761

(3) En mathématique «discret » s’oppose à « continu» ; pour imager, c’est la différence structurelle entre un sac de billes et une motte de beurre.

(4) Il y a là aussi, sur la complexité des algorithmes, un énorme enjeu tant théorique que pratique, et par conséquent un large champ de recherche à couvrir.

Illustration : Représentation grâce à la CFD (Computational Fluid Dynamics, «mécanique des fluides numérique») de l’écoulement de l’air et des gradients de pression autour d’une monoplace.

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