Les perspectives d’exploitation des gaz de schiste ont souvent fait naître des débats passionnés entre partisans et opposants irréductibles, mais la phraséologie d’experts autoproclamés y voisine trop fréquemment avec la méconnaissance des réalités techniques et écologiques. Ce débat est appuyé sur l’exemple des États-Unis qu’il est utile d’examiner avant de revenir sur la situation française.
AU DÉPART, UN PROLONGEMENT DES TECHNIQUES PÉTROLIÈRES
Aux USA on voit apparaître au milieu des années 2000 des quantités de gaz naturel. Il ne s’agit pas de gaz extrait facilement de sites traditionnels avec quelques forages à fort débit mais de méthane tiré de la roche mère compacte (souvent des schistes) par de nombreux forages à faible débit. Celle-ci est fracturée par injection d’eau à haute pression additionnée d’agents chimiques divers pour en libérer le gaz contenu. Cette technique venue de l’industrie pétrolière utilise des forages horizontaux, fréquemment déplacés et pourvus de nombreuses antennes horizontales.
Cette technique pas très regardante sur les moyens a été un succès mais les conséquences environnementales et économiques ont suivi.
Dégradation de l’environnement d’abord, liée au grand nombre de forages, à la grande onsommation d’eau (même en zone aride), aux rejets de produits nocifs, à la pollution des couches géologiques intermédiaires et notamment des nappes phréatiques. Cela peut paraître négligeable dans « les grandes plaines du Far West », mais moins en zone urbaine ; ainsi sont apparues les premières levées de bouclier aux USA mêmes. Et il se dit que les meilleures technologies actuelles ne sont pas toutes utilisées, que ces techniques évoluent et sont susceptibles d’évoluer encore.
LES PARTICULARITÉS AMÉRICAINES
Car, principaux acteurs du secteur pétrolier depuis des décennies, les USA ont une capacité de forage et des technologies adaptées à cette évolution. Autre spécificité, le propriétaire du terrain en possède le sous-sol et ses richesses minières notamment. Le propriétaire a donc un intérêt direct à l’exploitation du sous-sol, et en cas de réussite du forage, il se trouve devant l’aubaine d’une ressource financière inattendue qui l’incite à ne pas être trop regardant sur les nuisances et dommages collatéraux subis par “la collectivité” ni sur les conditions proposées par le réalisateur du forage. De plus cette activité a été développée par des compagnies « indépendantes », distinctes des «majors», plus petites, moins sensibles aux pressions pour le respect de l’environnement et des populations voisines, mais plus adaptées aux conditions techniques et sociales (souplesse, nombreux contrats, nombreux forages…)
Enfin l’impulsion fédérale lancée à l’époque de Bush junior, a été décisive, avec l’objectif de renforcer l’indépendance énergétique des USA et moins dépendre du Moyen Orient.
Les conséquences économiques ont suivi. Des quantités considérables de gaz de schiste ont été commercialisées aux USA à un coût inférieur à celui du gaz “traditionnel”, la part globale du gaz naturel a augmenté dans le «mix» énergétique américain (au détriment du charbon…)
D’importateurs, les USA sont devenus exportateurs, bouleversant installations et commerce: terminaux méthaniers transformés, exportations vers l’Europe où le marché SPOT(1) a vu ses prix baisser (tandis que le marché asiatique soutenu par la demande japonaise après Fukushima se maintenait); enfin la baisse “moyenne” du prix du gaz aux USA a relancé l’industrie chimique lourde (plastiques notamment) laquelle a alors repris des parts de marché à l’industrie européenne (française en particulier).
QUEL POTENTIEL DE GAZ DE SCHISTE EN FRANCE? POUR QUELS ACTEURS?
Dans un marché mondialisé, les acteurs du secteur en France suivent de près ce qui se passe aux USA. Or la plus grande opacité règne sur le potentiel national en gaz de schiste ; les chiffres ne viennent pas d’organismes nationaux tels le BRGM (bureau de recherches géologiques et minières), le CNRS (centre national de la recherche scientifique) qui n’ont plus les moyens de recherche ou de prospection suffisants, ou l’IFP (institut français du pétrole).
Circulent des estimations d’organismes internationaux prévoyant des siècles de consommation gazière ou des décennies de consommation énergétique totale… Or ces chiffres ont des aspects stratégiques par leurs conséquences immédiates sur la capitalisation boursière des acteurs. Quelle réalité ont-ils ? Il faut observer la prudence de Sioux des principaux acteurs de l’énergie (GDF Suez, Total…) qui préfèrent envoyer en première ligne des opérateurs de second plan, voire créés pour l’occasion, afin de ne pas apparaître en cas de coup dur. Mais ils travaillent activement à lever ce qu’ils considèrent comme des obstacles.
LE CODE MINIER
Fondé sur des principes remontant à la Révolution, il établit que la propriété du sous-sol reste à l’État, ce qui est un point d’appui essentiel pour que les richesses qu’il contient bénéficient à la collectivité nationale. À l’inverse des USA où le droit a favorisé le développement de cette activité, dans des conditions techniques de fracturation inacceptables. Le laisser-aller pour l’environnement et la répartition des bénéfices fait la part belle aux compagnies et pour les propriétaires, des (grosses) miettes justes bonnes à calmer les mécontentements.
Le Code Minier dans son état actuel n’est pas une panacée (il avoue son âge sur certains sujets) mais il reste un outil essentiel pour que l’État, comme propriétaire du sous-sol, joue son rôle de garant d’une utilisation des ressources dans le cadre de la solidarité nationale.
C’est bien pourquoi certains voudraient s’en débarrasser ou le modifier en profondeur au motif qu’il n’y a plus de mines en France, mais en fait pour ôter toutes contraintes aux entreprises privées du secteur. Raison de plus pour y veiller.
LES ENJEUX À ÉCLAIRCIR
• les conditions techniques de l’extraction : l’enjeu est dans la mise au point de forages sécurisés, étanches pour les nappes phréatiques, avec captage et traitement des effluents liquides et gazeux, limitant les impacts en surface. On ne peut exclure de telles avancées, en effet les premières approches du gisement de Lacq conduisaient dans un premier temps à un abandon du site. Mais ils doivent au préalable être soumis au contrôle des services de l’État, et aussi des travailleurs, des citoyens et des élus.
• l’intégration de l’activité extractive aux activités de la région concernée: il s’agit de respecter les populations riveraines, leurs activités, les paysages, l’environnement, la santé. Ceci vaut d’ailleurs pour toutes les activités industrielles, agricoles, culturelles, touristiques, sociales et n’a pas toujours été respecté, tant s’en faut. Mais aujourd’hui, avec la crise, les atteintes aux équilibres existants ont des conséquences accrues et sont vécues comme des agressions.
• la rente liée à l’exploitation de la ressource : l’extraction correspond à une diminution des réserves, d’un potentiel qui a mis des millions d’années à se constituer et justifie un versement au propriétaire du sous-sol. Il en est ainsi de la rente pétrolière de l’Arabie au Venezuela, de l’Algérie à l’Irak, et même aux USA, il n’est pas dit que l’administration fédérale n’intervienne pas un jour pour limiter les exportations de gaz. En France, le propriétaire du sous-sol est l’État et les revenus de Lacq ont été utilisés pour restructurer le secteur pétrolier et créer des secteurs industriels entiers.
• enfin le méthane/gaz de schiste est un gaz à effet de serre (GES) bien plus puissant que le CO2. S’il génère, lors de son utilisation, un peu moins de CO2 que le pétrole ou le charbon, il est illusoire d’y voir un moyen de lutter contre l’effet de serre d’autant plus que le recours à son utilisation renforce les combustibles fossiles dans le mix énergétique. Il est d’ailleurs tout aussi illusoire de refuser les gaz de schiste ici pour importer des GNL (gaz naturel liquéfié) de Russie ou d’ailleurs.
GAZ DE SCHISTES ET PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE
L’exploitation des gaz de schiste aux USA s’est lancée dans des conditions lucratives du fait du mépris par les compagnies, véritables rapaces, de ces différents enjeux.
Il faut réaffirmer que les conditions actuelles d’extraction sont inadmissibles avec leurs onséquences non maîtrisées sur l’environnement. Leur transformation est un préalable à toute utilisation. Les gaz de schiste ne sont pas à rejeter absolument, ils peuvent intervenir comme roue de secours face au déclin des hydrocarbures conventionnels, mais sans oublier que persister dans l’utilisation systématique des combustibles fossiles, c’est s’enfoncer dans une voie qui ne peut qu’aggraver le réchauffement climatique.
C’est pourquoi il est impossible de dissocier l’aspect gaz de schiste de l’ensemble des questions énergétiques. Pour ce versant gaz de schiste du problème, il est bien réducteur de ne voir que l’extraction et ses nuisances actuelles sans examiner les conditions d’utilisation des combustibles fossiles, gaz naturel compris. Cela prend alors sa place dans une réflexion sur la planification écologique et l’évolution du mix énergétique pour notre pays, pour l’Europe et pour l’ensemble de la planète, en tenant compte de la raréfaction des hydrocarbures et de leur prix croissant. Le réchauffement climatique rend urgente sinon prioritaire la réduction de l’utilisation des énergies fossiles et dans le même temps le droit de tous à l’énergie et l’immensité des besoins en France et dans le monde est criant. Il s’agit donc bien de construire une approche raisonnée à l’opposé des réactions de peur et d’impuissance qui se cristallisent dans les réflexes de type “nimby” et qui ne remettent pas en cause fondamentalement les conditions actuelles – capitalistes – de ces activités. Aussi prendre en compte les quatre enjeux ci dessus demande un mouvement citoyen majoritaire que les communistes s’emploient à construire et qui va de pair avec une planification écologique.
JEAN BARRA est ingénieur, retraité EDF.
(1)Le prix SPOT est le prix fixé pour une livraison immédiate, à l’inverse du prix fixé dans les marchés à terme.
SCHÉMA D’UNE INSTALLATION D’EXTRACTION DU GAZ DE SCHISTE ET DES DIFFÉRENTS IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX POTENTIELS
A : gaz naturel relâché dans l’atmosphère,
B : contamination de la surface par les eaux usées,
C : prélèvement conflictuel sur les ressources en eau,
D et E : contamination des couches aquifères superficielle et profonde,
F : sismicité induite.