Les réserves d’Uranium permettraient de produire de l’électricité au rythme actuel de production pendant plusieurs milliers d’années. Cette affirmation heurte de plein fouet un des arguments des « antinucléaires » relatif au caractère non durable de la production électronucléaire.
Les quelque 500 réacteurs du parc électronucléaire mondial actuel utilisent très médiocrement la ressource uranium (1). En l’état actuel des recherches géologiques, les réserves d’uranium sont évaluées à :
(1) 3 500 000 t à un coût inférieur à 130 $/kg uranium naturel U,
(2) 7 000 000 t à un coût inférieur 260 $/kg uranium naturel U.
Avec les réserves en (1) le parc électronucléaire mondial actuel peut être alimenté pendant seulement 80 ans environ, 160 ans avec les réserves en (2).
L’ÉLECTRONUCLÉAIRE ACTUEL
L’uranium naturel U est composé de deux isotopes (2) :
– 99,3 % d’uranium U238,
– 0,7 % d’uranium U235.
Seul l’ U235 est fissile par un neutron avec dégagement d’énergie et émission de 2 à 3 neutrons: ce phénomène permet d’entretenir la réaction en chaîne de fission produisant l’énergie de manière continue dans les réacteurs actuellement en exploitation.
Ces réacteurs des 1re, 2e et 3e générations sont appelés «réacteurs à neutrons thermiques» parce que l’entretien continu de la réaction de fission en chaîne nécessite le ralentissement des neutrons produits par un élément modérateur (3).
L’uranium est produit dans des usines d’enrichissement par diffusion gazeuse ou par ultracentrifugation d’un composé gazeux de l’uranium naturel : l’hexafluorure d’uranium UF6. Évidemment, ces usines d’enrichissement produisent d’un côté l’uranium enrichi en U235 et de l’autre une grande quantité d’uranium appauvri en U235 à des teneurs de l’ordre de 0,3 %, (pour la France stocké à Bessines sur Gartempe en Limousin), qui est une énorme ressource énergétique potentielle(4).
Les centrales électronucléaires actuelles n’utilisent comme « combustible » qu’une faible partie de l’uranium naturel, dont l’ U235.ne constitue que 0,7 %. Mais, comme la fission d’un atome d’U235 par un neutron s’accompagne de l’émission de 2 ou 3 neutrons, le maintien de la réaction en chaîne ne nécessite qu’un de ces neutrons : il en reste donc 1 ou 2 en plus.
Que deviennent ces neutrons en excès ? Une partie est absorbée par les matériaux de structure du réacteur. La plus grande partie est l’objet d’un autre phénomène physique appelé «capture»: le neutron excédentaire est capturé par le noyau d’un atome U238 (constituant 95 à 97 % des pastilles «combustibles») qui se transmute ainsi en un atome d’un élément différent, le plutonium Pu239. Or, cet atome de Pu239 est fissile de manière analogue à l’ U235. Au cours du fonctionnement du réacteur, il s’accumule peu à peu dans le matériau «combustible» : une partie participe à la réaction en chaîne de fission et fournit de l’énergie en complément de celle obtenue par la fission de l’ U235 ; une autre partie se retrouve dans le combustible usé en fin de cycle (3 à 4 ans en réacteur). Les combustibles usés sont envoyés dans une usine dite de «retraitement» (son activité permet le recyclage de matières premières et le traitement des déchets ultimes).
Ces déchets ultimes, dits HAVL (haute radioactivité et vie longue) constituent la part principale de la radioactivité des déchets qui seront stockés en couche géologique profonde. L’uranium de retraitement peut être enrichi à nouveau et réutilisé pour fabriquer des éléments combustibles neufs.
Le plutonium peut être recyclé dans des assemblages neufs où il remplace partiellement l’ U235: c’est le combustible dit MOX (Mixed Oxyde U-Pu). Mais, ce recyclage n’est possible qu’une seule fois dans les réacteurs à neutrons thermiques parce que le phénomène de capture de neutrons entraîne l’accumulation d’autres isotopes du plutonium Pu240, Pu241 et Pu242. Les isotopes de rang pair sont des « poisons » pour la réaction en chaîne, comme l’ U238, n’étant pas fissiles par les neutrons thermiques.
L’ÉLECTRONUCLÉAIRE DU FUTUR: RÉACTEURS À NEUTRONS RAPIDES
Très tôt, la question de mieux utiliser le potentiel énergétique de l’uranium naturel s’est posée: pour cela, des piles expérimentales, des prototypes de réacteurs à neutrons rapides ont été construits aux États-Unis, en Grande Bretagne, en France, en URSS, au Japon, en Inde… En effet, ces réacteurs à neutrons rapides (RNR) utilisent comme combustible le plutonium formé par les réacteurs des générations précédentes. Le cœur de ces réacteurs ne comporte pas de modérateur (graphite, eau ou eau lourde) et, de plus, le fluide caloporteur ne doit pas comporter d’atomes légers susceptibles de ralentir les neutrons. En disposant autour du cœur des « couvertures » d’assemblages « fertiles » en uranium naturel ou appauvri, il a été démontré, et vérifié concrètement au cours des 35 ans de fonctionnement du prototype Phénix en France, que ces réacteurs pouvaient produire plus d’éléments fissiles qu’ils n’en consomment: d’où leur dénomination de « surgénérateurs ». Ils permettent d’utiliser la totalité de l’uranium naturel (contenant 99,3 % d’ U238), et notamment les stocks considérables d’uranium appauvri (donc de l’ U238 quasi pur) résultant de l’alimentation en uranium faiblement enrichi des réacteurs des 1re, 2e et 3e générations(5). Avec ces réacteurs, le stock de 300 000 tonnes d’uranium appauvri stocké en France pourrait fournir la production actuelle d’électricité pendant 3 000 ans.
Pour ces raisons, les travaux sur ces réacteurs à neutrons rapides ont été relancés, à l’initiative du Département de l’Énergie des États-Unis, dans le cadre d’un programme international dit «Forum Génération 4» auquel participent une dizaine de pays(6) disposant d’une industrie nucléaire.
Ce programme a fixé les objectifs suivants pour ces réacteurs de 4e génération : Durabilité de la ressource: pouvoir multi-recycler le plutonium et réaliser la transmutation des actinides (Np,Am…) formés par captures successives de neutrons à partir de l’uranium. Ça permettra de réduire la radioactivité et la durée de vie des déchets ultimes (produits de fission + actinides) ;
Sûreté : niveau au moins égal aux options de sûreté des réacteurs de la 3e génération, y compris les compléments résultant du retour d’expérience de l’accident de Fukushima; Économie : être compétitifs à service rendu équivalent, en prenant en compte que la durabilité de la ressource est un service rendu supplémentaire ; Résistance à la « prolifération » militaire : utiliser un combustible inutilisable à des fins militaires, notamment dans les usines de traitement des combustibles.
UNE PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉ DURABLE
Ce programme doit permettre de mener à leur terme les travaux de recherche, d’étude, d’expérimentation et de développement industriel sur la filière des réacteurs à neutrons rapides.
Entrepris dans plusieurs pays, notamment en France, depuis un demi-siècle, ce travail doit déboucher au niveau industriel dans des conditions satisfaisantes de fiabilité, de sûreté et d’économie. Cela présentera deux avantages notables intéressants du point de vue environnemental: Multiplier par un facteur d’ordre 100 la quantité d’énergie obtenue à partir de la ressource uranium par rapport à la situation actuelle ; Participer à la réduction de l’emploi des combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz) pour la production d’électricité, actuellement un des plus gros secteurs d’émission de gaz à effet de serre et de pollutions atmosphériques.
JEAN-MICHEL GAMA est physicien, spécialiste des réacteurs nucléaires.
1) Évaluations extraites de « Mémento sur l’énergie 2012 » du CEA. Mais, la prospection géologique des minerais d’uranium est très partielle. Du fait de nouvelles campagnes de prospection, la dernière édition du « livre rouge de l’uranium » de l’AIEA a révisé ces évaluations à la hausse.
2) Isotopes : composants d’un élément ayant des propriétés physiques différentes (masse, nombre de neutrons du noyau de l’atome…), mais ayant les mêmes propriétés chimiques (nombre de protons et d’électrons).
3) Les neutrons émis lors de la fission d’un atome d’uranium sont rapides. Ils sont ralentis par chocs successifs sur des atomes légers du modérateur.
4) Le stock actuel de 300000 tonnes d’uranium appauvri en U235 à Bessines sur Gartempe constitue une réserve énorme d’ U238 pour les réacteurs de 4e génération « surgénérateurs ».
5) Ces réacteurs à neutrons rapides permettront d’utiliser le thorium Th232 fertile qui par capture d’un neutron se transmute en U233 fissile de manière analogue à U235 et Pu239. Ceci est intéressant car le thorium est plus abondant que l’uranium dans la croûte terrestre: en particulier, l’Inde disposant d’important gisements de thorium (sous forme d’urano-thorianite), a inclus cette perspective dans son programme à long terme de développement de l’électronucléaire.
6) Canada, Europe (EURATOM), France, Japon, Corée du Sud, Suisse, États-Unis, Chine, Afrique du Sud et Russie.
LA RÉACTION DE FISSION EN CHAINE :
1. L’U235 est fissile par un neutron avec dégagement d’énergie et émission de 3 neutrons.
2. L’un de ces neutrons est absorbé par un atome d’uranium 238, qui ne continue pas la réaction. Un autre neutron est perdu et sort de la réaction. Le troisième neutron entre en collision avec un atome d’uranium235, qui subit alors un phénomène de fission, et libère deux neutrons et de l’énergie de liaison.
3. Ces deux neutrons entrent en collision avec des atomes d’uranium235, dont chacun est fissible et libère entre deux et trois neutrons, et ainsi de suite…
LE TRAITEMENT CHIMIQUE D’UNE TONNE DE COMBUSTIBLE USÉ PRODUIT :
DES MATIÈRES RÉUTILISABLES :
– 935 kg d’uranium dit de retraitement, avec une teneur en U235, encore légèrement supérieure à celle de l’uranium naturel,
– 10 kg de plutonium.
DES ÉLÉMENTS CONSIDÉRÉS COMME DES DÉCHETS ULTIMES :
– 36 kg de produits de fission divers,
– 0,8 kg d’actinides (éléments encore plus lourds que le plutonium également formés par le phénomène de capture neutronique : neptunium Np, américium Am, etc.…).