TRANSPORTS SPATIAUX, AVENTURE ET BIG MONEY, SÉBASTIEN ELKA

Nos moyens de transport ne se contentent pas d’accompagner nos déplacements d’un point A à un point B, ils sont au coeur de nos efforts pour repousser les limites du monde connu.

Mettre un objet en orbite coûte au moins 10 000 €/kg. Pour tourner au-dessus de nos têtes il faut atteindre une vitesse suffisante, quelques milliers de km/h, pour s’arracher à l’attraction de la Terre. Ce qui nécessite de recourir à la plus grande débauche d’énergie que nous soyons capables de concevoir : la fusée.

Mais pour augmenter la charge expédiée dans l’espace, les scientifiques et auteurs de science-fiction ont eu une autre idée: prendre l’ascenseur. Pour qu’un objet soit en orbite, il faut qu’il tourne autour de la terre à une vitesse suffisante pour ne pas être attiré (effet de fronde) mais pas trop élevée pour ne pas être éjecté. Cette vitesse précise dépend de la distance entre la terre et l’objet satellisé. Or à 36,000 km d’altitude, cette vitesse d’équilibre revient à faire le tour de la terre en 24 heures. Si bien qu’un satellite placé à cette distance sur le plan de l’équateur se tient toujours au-dessus du même point au sol. C’est l’orbite géostationnaire vers laquelle pointent les paraboles de nos balcons.

Alors la parabole et le satellite étant fixes l’un par rapport à l’autre, on pourrait imaginer tendre un câble entre les deux, il serait en équilibre. Un gros câble bien solide, fait de nanofibres de carbone ou autres matériaux à toute épreuve dont on saurait filer 36000 km… Il ne manquerait qu’à arrimer sur ce câble une cabine, presser le bouton et en avant pour un trajet direct vers les étoiles! Nos vieilles Arianes n’auraient plus qu’à pointer la coiffe composite de leur retraite bien méritée vers le terminus céleste du bel ascenseur…
Le concept de l’ascenseur spatial a été formulé par le russe Konstantin Tsiolkovski en 1895, inspiré par la Tour Eiffel…

 

GALILEO GALILEO… BOHEMIANRAPSODY À 20,000 KM

Le premier satellite GPS étasunien date de 1978. Système militaire, il est en 1995 ouvert aux civils. Depuis, le monde apprend à tirer parti de ces satellites postés à 20,200 km d’altitude capables d’indiquer la position d’un récepteur à quelques mètres près… Aujourd’hui la constellation GPS étasunienne se modernise. L’équivalent russe, GLONASS, est opérationnel depuis 2008.Les Chinois et Indiens mettent au point Beidou et IRNSS. Et l’Europe met laborieusement en orbite les trente satellites de Galileo.

La géolocalisation par satellite se généralise. On la trouve dans les systèmes militaires mais aussi dans les voitures, bateaux, avions de plaisance, bus ou taxis. On l’utilise pour synchroniser des réseaux de communication, pour des expériences scientifiques ou des travaux de géomètres. On s’en sert pour synchroniser les centres financiers et leurs opérations de trading haute-fréquence. Etc.

Galileo ne sera pas meilleur que le GPS, et pourtant c’est un tournant. Avec ce système l’Europe montre une volonté d’indépendance stratégique face aux USA. Galileo sera civil, avec des garanties de services qui permettront de sécuriser des applications importantes comme la navigation aérienne : connaître très précisément sa position est précieux pour un avion, mais il ne peut se permettre de laisser une fonction aussi vitale dépendre des caprices d’un Pentagone qui se réserve le droit de tout couper à tout moment. Chaque satellite emporte deux horloges atomiques. C’est à une constellation de métronomes quantiques que nous confions la lourde tâche d’ancrer dans des chiffres précis l’incertain abîme métaphysique de notre espace-temps.

Ballet impossible, horlogerie diabolique. Et pourtant, Galileo tourne.

 

SPACE ODDITY, À LA CONQUÊTE DE MARS

Le 14 décembre 2013, la Chine a posé un lapin… sur la Lune. L’alunisseur chinois Lapin de jade marque une étape dans la renaissance de la compétition pour la conquête spatiale. Aujourd’hui il s’agit de la Lune, mais ce n’est qu’une étape vers le nouveau champ clos de la compétition spatiale, Mars.

Les missions Opportunity, Spirit, Curiosity et suivantes de la NASA visent à comprendre comment Mars est devenue froide et aride après avoir disposé d’une atmosphère dense, connu un cycle d’eau liquide et peutêtre abrité une vie au moins bactérienne1. Comprendre Mars, c’est assurément mieux comprendre les mécanismes climatiques de la Terre. Pour l’explorer, les robots sont une facilité précieuse. Or à cette distance la communication aller-retour peut prendre 40 minutes, obligeant ces robots à être capables d’une grande autonomie. Tout en affrontant radiations, vents terribles, poussières. Des conditions qui imposent de grandes précautions, et donc une lenteur d’opération exaspérante… Des explorateurs humains pourraient aller bien plus vite ! Si l’envoi d’humains sur Mars relève pour certains d’une logique messianique2, cela peut aussi répondre à de réels objectifs scientifiques.

Il reste qu’un vol habité vers Mars est d’une complexité incroyable, coûtera des dizaines de milliards d’euros et ne devrait être imaginé que dans la coopération la plus large. Le sol rouge de Mars mérite de recevoir le drapeau de l’humanité unie, non les orgueilleux lapins de nations en compétition.

 

ROCKET SCIENCE, OU LA GUERRE DES LANCEURS

Ces derniers mois ont vu s’opposer les partisans de la modernisation d’Ariane 5 et ceux du passage direct à Ariane 6. En jeu, à la fois l’indépendance stratégique de l’Europe et la compétitivité commerciale de l’offre Arianespace.

Ariane 5 est un lanceur spatial très performant. La fusée européenne peut mettre en orbite3 jusqu’à 10 tonnes et deux satellites simultanément, permettant de partager les frais. Modernisée, cette charge maximale monterait à 12 tonnes. Et comme le seul autre lanceur de grande puissance – la fusée étasunienne Delta IV version lourde – est surtout destiné aux lancements de la NASA ou de l’armée US, Ariane 5 est souvent la seule solution de mise en orbite des plus gros satellites.

Cet avantage a ses contreparties. D’abord, l’intégration de deux satellites est un risque, car il n’est pas rare que le retard de fabrication de l’un retarde le lancement de l’autre. La construction d’une telle fusée prend du temps et son lancement exige des conditions propices, et il faut souvent beaucoup de temps entre la décision d’un lancement et sa mise en oeuvre. Enfin avec 3 à 7 lancements par an les effets d’échelle jouent peu et Ariane 5 coûte cher. D’où la proposition française d’un passage rapide à Ariane 6: une fusée plus petite, plus générique, prévue pour 15 lancements par an, avec une mise en oeuvre plus rapide pour des coûts 30 % moindres.

Cette orientation répond au contexte mondial et à d’autres puissances spatiales – Russie, Chine, Inde, Japon – prendront sans doute la même direction. Parallèlement, la NASA soutient activement l’apparition d’opérateurs privés tels que SpaceX, qui vient de réussir le second tir commercial de sa fusée Falcon 9. Ceci pour 55 millions de dollars, quand un lancement double d’Ariane 5 en coûte 200… Une véritable ouverture de l’ère du spatial low cost, qui a de quoi donner des sueurs froides aux industriels bien portants de la filière ! La moitié des satellites mis en orbite est privée, principalement pour les télécoms, mais l’autre moitié est publique – militaire, scientifique ou d’observation. Réduire les objectifs pour les lanceurs à une baisse des coûts n’est pas à la hauteur des enjeux. Comme l’a illustré récemment le film Gravity, une opération orbitale mal contrôlée peut créer une réaction en chaîne aux conséquences catastrophiques…

Avec Ariane V et Véga (1t) et la coopération avec la Russie sur Soyouz (4t), l’Europe dispose en Guyane Française d’une famille complète de lanceurs sous contrôle public. En attendant de véritables coopérations internationales sur un sujet si stratégique, c’est un précieux sésame à préserver.

 

LE PLAN SATELLITE ET LA TORTUE ÉLECTRIQUE DE MONTEBOURG

Le moindre kilogramme mis en orbite coûte très cher. S’il est possible de trouver sur place de l’énergie en quantité suffisante pour éviter de transporter là-haut du carburant, il faut le faire ! Or il n’y a qu’une ressource abondante dans l’espace, l’énergie solaire. C’est encore le génial Tsiolkovski qui a imaginé – en 1911! – le principe de la propulsion spatiale électrique. Son idée était d’ioniser des particules et de les accélérer par courant électrique pour qu’elles quittent le véhicule spatial à très grande vitesse/énergie, créant par réaction une poussée contraire sur le satellite. Une technique énergétiquement très efficace permettant une très faible consommation de « carburant » (le gaz expulsé, du xénon) qui créerait derrière le propulseur la belle lumière bleue des vaisseaux spatiaux de la Guerre des Étoiles… Ne manquait à Tsiolkovski que le panneau solaire, capable de fournir l’électricité pour l’ionisation et l’accélération des particules.

Le premier engin à propulsion ionique, la sonde américaine Deep Space 1, n’a volé qu’en 1998. La première européenne, Smart 1, en 2006. Car ce changement de technologie implique de repenser toutes les opérations : un moteur-fusée met les gaz au moment d’une correction de trajectoire ou d’un changement d’orbite puis attend le prochain besoin d’impulsion alors que le moteur ionique fournit une poussée bien plus faible mais continue dans le temps. Au lièvre puissant du premier, le second fait une réponse de tortue patiente, bien plus efficace sur le long terme mais avec une trajectoire de course totalement différente.

Le redressement productif montebourgeois, pourtant prétendant avéré au panache des garennes, fait le pari que la propulsion ionique est l’une des 34 clés de sa reconquête industrielle. Le plan satellite électrique, porté conjointement par les rivaux Thales et EADS-Astrium, porte l’ambition d ’une avance technologique française et européenne garante de contrats et d’activité pour toute la filière spatiale. Dans l’espace, patience et longueur de temps font plus que force ni que rage…

SÉBASTIEN ELKA est ingénieur et membre du comité de rédaction de Progressistes.

(1) L’Europe, en coopération forte avec les Russes, s’apprête à lancer deux missions Exomars dont le but est d’être les premières à trouver de la vie dans le sol martien.

(2) Dans la Trilogie Martienne de K.S. Robinson comme pour la Mars Society américaine, la conquête de Mars ressemble beaucoup à l’odyssée des pélerins du May Flower et à la conquête d’une nouvelle terre promise…
(3) Masse transférable vers l’orbite géostationnaire, mission de référence des lancements spatiaux.

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