TRANSPORTS INDIVIDUELS, ON A TOUS DROIT À L’ ÉCOMOBILITÉ !, DOMINIQUE GENTILE

Le problème du transport individuel est d’une prégnance majeure qui conditionne des enjeux technologiques. Il est soumis à des contraintes environnementales fortes. Il est nécessaire d’en examiner les différentes facettes.

La question du transport individuel de demain ne peut se poser et donc trouver des réponses que dans un contexte global prenant en compte différents éléments. La problématique est naturellement celle de la mobilité, tant professionnelle que personnelle. Elle s’inscrit directement dans les concepts de développement durable, d’aménagement du territoire, de ville du futur.

Deux types de mobilité doivent être considérés:
• la mobilité «longue distance», typiquement des déplacements de plusde 100 km;
• la mobilité locale, déplacement de quelques dizaines de kilomètres correspondant à des déplacements fréquents voire quotidiens.
Ce sont ces derniers qui devraient le plus évoluer dans le futur.

ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX ET SOCIAUX, CONTRAINTES ÉCONOMIQUES

Dans les pays industrialisés, les transports et activités associées sont au cœur de la problématique du changement climatique et des incidences environnementales. Si la part de responsabilité des transports dans les rejets de gaz à effet de serre est sans évolution depuis pratiquement un demi-siècle, des mesures importantes pour réduire cette contribu-tion – tant technologiques que comportementales (changement des habitudes) – ont commencé d’être prises. Elles sont insuffisantes mais le virage est amorcé et, on peut l’affirmer, la tendance déjà irréversible. Toute évolution des transports aujourd’hui ne peut que s’inscrire dans le processus de transition écologique et énergétique.

Il y a encore dix ans, l’automobile était le moyen de transport individuel privilégié, souvent pour des raisons économiques liées à l’acquisition d’un domicile éloigné du lieu de travail. Aujourd’hui, c’est un objet de consommation coûteux à acquérir, entretenir, assurer et utiliser, sur lequel les prix de l’énergie et en particulier du pétrole pèsent fortement. À ceci s’ajoute l’intensification des difficultés de circulation en tous genres, en particulier dans les métropoles où le plan collectif signifie aménagements urbains et transports collectifs qui réduisent l’espace dédié à la voiture individuelle.

Toutes ces raisons militent pour une évolution des usages en matière de mobilité individuelle et c’est plutôt une bonne nouvelle. De fait, on voit évoluer les comportements d’usage, tant au plan individuel que collectif. Si bien que la réalité du transport individuel devient plus complexe et que c’est aujourd’hui la diversité des modes de transports et intermodalités qu’il s’agit d’intégrer

TRANSPORTS « DOUX », L’ENTRÉE DANS L’ÉCOMOBILITÉ

La marche est le mode de déplacement le plus ancien, mais il reste le moins polluant, le plus sain, le plus économique et certainement le plus durable! De nombreuses raisons en favorisent l’usage et le développement comme outil efficace de mobilité individuelle en milieu urbain, comme sa dimension sportive et sa compatibilité avec la pratique simultanée d’autres activités. Ce mode de déplacement est de plus en plus intégré dans la politique de développement des villes (zones piétonnes, parcours piétons, sensibilisation de la population…) et dans les plans de déplacements d’entreprise. L’avenir verra s’amplifier les mesures en faveur de l’environnement et sans nul doute la marche en fera partie.

La bicyclette est le moyen naturel qui prolonge la marche. Les raisons en sont semblables: pas de pollution, possibilité d’échapper aux embouteillages, encombrement réduit, peu de difficultés de stationnement, coûts très faibles… avec la possibilité de déplacements plus longs en distance qu’à pied. Le regain d’intérêt pour ce moyen de déplacement voit aujourd’hui l’arrivée d’une technicité qui limite les efforts physiques, comme l’assistance électrique. Et l’on assiste là aussi à l’intégration de ce mode de déplacement dans les politiques de la ville (développement de pistes cyclables, signalisations spécifiques, vélos en libre-service…).

Enfin le roller, la trottinette ou de nouveaux « véhicules » comme les gyropodes Segway ou Winglet sont des modes de déplacement moins fréquents mais de plus en plus présents et qui, équipés d’un moteur électrique, peuvent assumer une véritable fonction de déplacement en cycle urbain. Avec ces modes « doux », on entre pleinement dans le concept d’écomobilité, appelé à s’amplifier dans les années à venir.

VERS DES TRANSPORTS MOTORISÉS MOINS POLLUANTS

A considérer l’augmentation de l’utilisation du deux-roues motorisé pour réduire le temps passé dans les embouteillages, on pourrait imaginer qu’il soit dans les années à venir un des moyens principaux de déplacement urbain et périurbain. Toutefois si ces véhicules présentent de nombreux avantages, ce n’est pas en matière environnementale puisqu’ils sont parmi les véhicules les plus polluants et bruyants. Même avec l’introduction du scooter électrique ou hybride ou le développement du covoiturage deux places, ce mode de transport alternatif à la voiture est et restera celui d’une communauté limitée.

Quant à l’automobile, deuxième cause d’émission de gaz à effet de serre (GES), elle demeurera le mode de transport individuel le plus utilisé. Or les moteurs actuels sont aussi émetteurs de composés toxiques comme des aldéhydes, des particules de suie, des hydrocarbures imbrûlés ou des oxydes d’azote. Il importe donc d’élaborer rapidement des innovations technologiques à même de réduire fortement l’ensemble de ces émissions. Pour cela on distingue deux voies : l’une basée sur les motorisations « traditionnelles » à combustion d’hydrocarbure ou équivalente, l’autre sur des énergies et technologies nouvelles.

La première, concernant les moteurs à essence et diesel, fait l’objet de recherches importantes telles que pots catalytiques, réinjection des gaz d’échappement dans le moteur, suralimentation, optimisation électronique des cycles moteurs et de la combustion ou encore jeu électromécanique sur la géométrie et l’architecture moteur. Habilement combinés, ces procédés ont le potentiel pour réduire significativement les émissions polluantes, si les contraintes industrialo-concurrentielles et financières qui asphyxient le secteur automobile n’empêchent pas leur industrialisation.

Il reste que le moteur diesel – intéressant sur le plan de l’efficacité énergétique et débouché crucial pour les produits pétroliers semi-lourds – pose un véritable problème d’émissions de particules que les filtres ne parviennent pas à éliminer complètement. Face à cela, une voie prometteuse réside dans le développement de moteurs de type HCCI (Homogeneous Charge Compression Ignition), proches des moteurs diesel puisque basés sur l’auto-allumage par compression d’un mélange air/carburant pauvre mais pré-mélangé permettant une combustion homogène à faible émission de particules.

Un autre axe de recherche concerne l’usage de biocarburants. À partir de sources ligno-cellulosiques (paille, bois, feuilles, algues…), il est possible d’échapper à la concurrence problématique avec les cultures alimentaires. Mais le passage à l’échelle industrielle économiquement viable et avec un bilan CO2 toujours intéressant quand on prend en compte tout le cycle de vie du carburant demeure un défi.
Enfin une solution transitoire mais intéressante est celle des moteurs « hybrides », où la batterie d’un moteur électrique est alimentée par un moteur thermique à allumage commandé (complété par la récupération d’énergie de freinage). Depuis la Toyota Prius l’on mesure l’intérêt de cette association technologique qui en plus de réduire significativement les émissions permet une étape vers le tout électrique.

NOUVELLES ÉNERGIES

Un véhicule électrique n’émet pas directement de CO2. Cependant, il faut prendre en compte le mode de production de l’électricité (nucléaire, hydrocarbure, renouvelable) ainsi que les contraintes imposées au réseau électrique par un déploiement massif de véhicules électriques (notamment être capable d’absorber des mises en charge simultanées massives de véhicules en soirée). En termes d’usage, ce sont l’autonomie et le temps de charge qui sont importants. Ce qui pose la question de la batterie. Brique technologique critique, celle-ci doit atteindre une grande densité d’énergie, être fiable et d’un coût raisonnable, se recharger rapidement sans problème de sécurité ou de toxicité et dépendre le moins possible de matériaux rares ou dont l’extraction pose problème. Des solutions répondant à ces exigences apparaissent, notamment à base de nanomatériaux, mais le défi reste de taille et les enjeux énormes. De petits véhicules électriques, City Swing ou Twizy, offrent déjà des solutions de déplacement individuel urbain. Pour autant, le pari sur le tout-électrique demeure pour l’heure aventureux.
Des solutions plus innovantes encore – véhicule solaire aux batteries rechargées par des cellules photovoltaïques ou véhicule à hydrogène dont l’énergie provient d’une pile à combustible pourraient répondre aux défis environnementaux. Mais coûteuses et soumises à d’épineux problèmes de stockage d’énergie, ces solutions ne seront pas matures et commercialisables à grande échelle avant un certain temps…

UN ENJEU POLITIQUE FONDAMENTAL

On le voit, il n’y a pas de réponse unique à la problématique des transports individuels. Le comportement et les habitudes jouent un grand rôle et les avancées technologiques ne font évoluer les transports qu’en complémentarité avec des évolutions sociales. Pour les courts trajets, les modes de déplacement doux, « zéro émission », vont se conjuguer de plus en plus avec l’inter-modalité, assemblage sur un même trajet de plusieurs modes de transports, individuels ou collectifs. Le covoiturage va prendre de l’ampleur, mais pour les trajets individuels longs, il est probable que la voiture individuelle reste dominante. Néanmoins, elle intégrera de nombreuses avancées technologiques et sera moins centrée autour de son moteur à combustion interne.

Pour affronter les défis environnementaux sans en rabattre sur le droit à la mobilité et les conditions de vie et de déplacement dans nos villes, il faudra que les efforts de R&D soient soutenus – y compris en termes de moyens – jusqu’au déploiement industriel effectif des bonnes solutions, avec une qualité de coordination et d’intégration intermodale encore atteinte nulle part. C’est un enjeu fondamental.

DOMINIQUE GENTILE est professeur des universités, Directeur national des formations au Conservatoire National des Arts et Métiers et animateur du groupe Compétences du pôle de compétitivité Mov’eo.

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