ÉCOTAXE : RÉORIENTER LE TRANSPORT ROUTIER POUR PESER SUR LES DÉCISIONS DE PRODUCTION, GÉRARD LE BRIQUER

Les contradictions de la politique de transport routier en Europe, ses conséquences sociales et environnementales sont flagrantes. Quels moyens peut-on se donner pour une autre politique ?

Depuis des décennies, les débats et interventions publiques en France ou en Europe, et jusqu’aux grands sommets internationaux, pointent les dommages et dangers de la dégradation de l’environnement, du réchauffement climatique, de l’épuisement des ressources énergétiques fossiles, de la montée des inégalités sociales ou entre territoires. Ils disent moins que cela résulte de la mondialisation capitaliste des échanges commerciaux et que les transports – notamment de marchandises – en sont fortement responsables.

FAIRE ENTRER LA DURABILITÉ SOCIALE, ENVIRONNEMENTALE ET ÉCONOMIQUE DANS L’ORGANISATION DES TRANSPORTS

Les transports sont les grands absents des réflexions et décisions pour prendre en compte la question de l’efficacité et de la sobriété énergétique et réduire des émissions de gaz à effet de serre (GES) jusqu’à atteindre d’ici2050 le fameux « facteur 4 ». Ils sont pourtant responsables de 26 % de l’ensemble des émissions et de plus de 40% des émissions de CO2liées à l’énergie sur le territoire national (en Europe 25% des GES et 20% du CO2). Ils représentent 32 % de la consommation finale d’énergie et concentrent à eux seuls 70 % de la consommation française de pétrole. En France,ils sont le premier émetteur de GES, devant l’agriculture, le résidentiel et l’industrie. Alors que les autres secteurs connaissent une diminution des émissions de CO2, celles issues des transports ont augmenté de 36%depuis 1990. Ils constituent donc un levier essentiel pour toute transition écologique.

Mais le patronat du transport– logisticiens, grands transporteurs routiers,armateurs, également les grands donneurs d’ordres… – n’est pas mis devant ses responsabilités. Préoccupé de la seule rentabilité de son capital, il continue d’imposer déréglementations,austérité et politiques contraires à l’intérêt général qui lui permettent d’exploiter ses salariés dans des conditions inadmissibles tout en continuant impunément à polluer la planète.

Il est grand temps d’avancer dans la voie de la transition écologique, et déplacer le développement humain durable au cœur de la réorientation des systèmes de transport.

LE TRANSPORT LOGISTIQUE EST AU CŒUR DE LA MONDIALISATION CAPITALISTE, UN MOTEUR DES DÉLOCALISATIONS

La concurrence est organisée entre les modes et au sein de chacun d’eux.La politique européenne des trans-ports se veut la plus flexible possible,au service de la compétitivité des grands groupes. Les transporteurs internationaux et grands logisticiens qui ont la main sur l’organisation, la  répartition des modes et des marchés font pression sur les entreprises clientes pour augmenter leurs bénéfices et payer d’énormes dividendes à leurs actionnaires.

Très présents, les fonds de pensions déploient des stratégies telles que celle révélée récemment par les 3000licenciements annoncés de Mory-Ducros: grossir, disparaître, revenir,sous-traiter et externaliser massive-ment, tout faire pour abaisser les coûts,faire payer la facture aux salariés. Les grandes ambitions stratégiques affichées de rééquilibrage entre les modes de transport, d’efficacité énergétique accrue, de réduction d’encombre-ment sur les routes, de report modal vers des modes plus sobres, s’évanouissent bien vite.

La politique de baisse des coûts, initiée au début des années 1990 et appuyée par toutes les formes de dumping social, fiscal et tarifaire qui poussent à la mise en concurrence des salariés français avec notamment les travailleurs des pays de l’Europe de l’Est, s’est imposée partout. Le coût du transport a fortement baissé et le fret routier, mesuré en tonnes-km,s’est envolé. Le prix du transport n’est même plus un frein aux délocalisations!

Dans l’optique capitaliste de division internationale du travail, ces trans-ports très bon marché permettent la délocalisation de la production vers les zones à «bas coût» de main-d’œuvre, sans prise en compte des dégradations sociales et humaines mais en faveur de la rentabilisation du capital, qui résonne sur le coût global des productions industrielles, acheminement compris. Il faut impérative-ment sortir de la logique de ces modes de production et de consommation pour lesquels le transport est aujourd’hui maintenu bien moins cher que les coûts qu’il impose à ses travailleurs comme à la collectivité et à l’environnement. Si l’on continue comme cela, c’en est fini des fonda-mentaux du transport durable, on abandonne l’idée de découplage, suivant laquelle il est possible et souhaitable de rompre le lien entre croissance économique et croissance du transport.

Cela supposerait d’éviter les trans-ports superflus et parcours parasites des marchandises, de changer l’organisation d’une logistique aujourd’hui à flux tendu et sans stocks, dans le cadre d’une économie circulaire. Il s’agirait de replacer l’appareil de production au cœur des enjeux et du débat sur la reconquête industrielle,de relocaliser des productions en faveur de circuits courts dans nos territoires, mettre ainsi un coup d’arrêt à la désindustrialisation, aux fermetures de sites de production et aux vagues de licenciements… Aller vers une tout autre conception du rôle et de la place du transport routier de marchandises qui a un avenir dans une réorientation vers le transport multimodal et complémentaire des modes alternatifs à la route.

SORTIR DE LA SOUS TARIFICATION NOTOIRE POUR MODIFIER LES DÉCISIONS DE PRODUCTION

Il faut réinstaurer une tarification sociale obligatoire (anciennement la Tarification routière obligatoire supprimée en 1986 dans le cadre des déréglementations successives), qui soit aujourd’hui également environnementale, contraignante en France et en Europe. Sur ce chemin vers une harmonisation sociale et fiscale, une étape urgente est aussi de remettre à plat la directive des « travailleurs détachés» pour éradiquer les dérives actuelles et garantir des conditions de travail décentes aux salariés, tirer vers le haut le niveau social lié à leur salaire et à leur protection sociale, améliorer leurs conditions de travail et de vie.

Surtout, il faut sortir ces salariés dela concurrence avec ceux du rail et du fluvial. Le transport routier est actuellement dominant car le mode de transport le moins cher, mais ce bas coût tient au fait que nombre de ses coûts véritables – externalités négatives telles que les dommages causés par les poids lourds sur les infrastructures, le coût des congestions routières, les nuisances et pollution, etc. – ne sont pas facturés.

Défendre une tarification sociale obligatoire et une revalorisation sociale des travailleurs de la route, c’est élever le coût du transport routier et l’amener à reprendre sa juste place dans les chaînes de transport celle du transport terminal et local.

Évidemment, le report modal a des impacts sociaux et il faut assumer des reconversions nécessaires des salariés du transport routier vers d’autres modes de transport.

Au total, une internalisation des coûts externes combinée avec une tarification sociale obligatoire en faveur des travailleurs du transport routier sont les leviers pour protéger la collectivité et les salariés des pratiques de dumping.

UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ NÉCESSAIRE

Il y a bien sûr une nécessité impérative d’aller vers une réforme de la fiscalité et de mettre à plat les multiples subventions et exonérations fiscales de l’État – réductions de la taxe à l’essieu et remboursements partiels de la TICPE sur le gasoil professionnel par exemple – afin de gagner en efficacité et en justice fiscale. Et ce faisant redonner aux citoyens un signal fort pour le consentement à l’impôt comme levier fort des politiques publiques. Mais il ne faudrait pas pour autant que ce manque de confiance fiscal torpille des projets nécessaires comme cette écotaxe poids lourds.

Car en reculant à ce sujet, le Gouvernement condamne un peu plus toute ambition de report vers les modes alternatifs (rail-fluvial) moins polluants et plus économes.

Le rejet politique général des cadeaux au capital, ne doit pas faire baisser les bras pour prendre des mesures véritablement efficaces vers une transition écologique. On n’en prend pas le chemin!

GÉRARD LE BRIQUER est secrétaire de l’UIT-CGT

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