CONTRÔLE DE LA NAVIGATION AÉRIENNE, LA VIGILANCE RESTE DE MISE, DAVID SAUX-PICART

Menacée par les dispositions du projet de « Ciel unique Européen », la mission des contrôleurs aériens n’échappe pas à la mise en concurrence et au dumping social. C’est pourtant la sécurité des voyageurs et la qualité du service qui sont ici en jeu.

UN SECTEUR PEU CONNU…

Le transport aérien civil a connu depuis les années 1970 une croissance fulgurante de près de 5 % l’an que même les attentats du 11 septembre n’avaient pas durablement ralenti. Depuis la crise de 2008, la situation du trafic aérien est bien plus délicate, particulièrement en Europe. Parmi les activités dépendant de ce trafic, le contrôle de la navigation aérienne est l’une des plus directement concernée.

Le travail des contrôleurs aériens demeure relativement inconnu du grand public. Pourtant ils assurent 24 heures sur 24, tous les jours de l’année un indispensable service de contrôle sur la quasi-totalité de la surface terrestre (exceptions faites de zones géographiques restreintes sur les océans Atlantique et Pacifique ou certains déserts d’Afrique ou de Sibérie).

En France, ces agents sont des fonctionnaires, dépendant de la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) elle-même rattachée au Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, qui a la charge des transports. Mais cette situation fait aujourd’hui figure d’exception en Europe où des cadres très divers ont été mis en place suivant les pays, depuis la société de droit privé dont les capitaux sont détenus par l’État comme la Deutsche Flugsicherung(DFS) en Allemagne jusqu’à l’entreprise cotée en bourse comme SkyGuide en Suisse. Pour assurer leur équilibre budgétaire, ces différents organismes font payer leurs services via un système de redevances calculées en fonction du nombre de miles nautiques1 parcourus dans l’espace aérien du pays concerné et des infrastructures aéroportuaires utilisées. Une partie se retrouve dans ce que tout le monde connaît sous le nom de « taxe d’aéroport » incluse dans le prix du billet d’avion.

Ces redevances alimentent en France un budget annexe2, distinct du budgetde l’État et géré par la DGAC, qui doit suffire à financer les missions de service public qui lui incombent : contrôle du respect des normes de sécurité des équipements aéroportuaires et aéronefs, développement et installation d’outils d’aide à la navigation aérienne, contrôle aérien, contrôle des nuisances sonores, etc.

… ET CONVOITÉ PAR LE SECTEUR PRIVÉ

Mais le montant des redevances constitue une mine de capitaux qui aiguise les appétits privés. Et la Commission Européenne, prompte à céder aux sirènes du libéralisme, porte de menaçants projets de « réforme structurelle » du contrôle aérien en Europe. Ainsi au nom de la «compétitivité» de ses services la France devrait baisser le prix de ses redevances, pourtant les moins chères d’Europe de l’ouest. Et ceci, alors qu’en raison de la baisse du trafic enregistrée depuis 2008, le budget de la DGAC est déjà en déficit. Il s’agirait autrement dit de répéter une pratique déjà éprouvée avec ex-France Télécom, la Sécurité Sociale ou La Poste, mettre sciemment un service public en difficulté financière pour ensuite prétendre qu’il n’est pas rentable et justifier des privatisations et contre-réformes.

Au-delà de ces aspects financiers, la menace vient également des politiques d’harmonisation européenne qui, sous couvert de rationalité et de coopération mènent en réalité à une mise en concurrence des modèles, donc au nivellement par le bas des politiques sociales et au désengagement des États. Ainsi les propositions de Ciel Unique Européen couvrent un panel de mesures destinées à fusionner les secteurs de contrôle aérien sur le territoire de l’Union Européenne indépendamment des frontières nationales. Avec à la clé, des regroupements de secteurs et bien sûr… d’effectifs. De même, la Licence Européenne de Contrôle, décrite comme une procédure d’harmonisation des qualifications des contrôleurs aériens, pourrait se révéler être un excellent outil de dumping social à l’échelle européenne. Et bien sûr derrière ces projets d’harmonisation technique – tels que FABEC (Functional Airspace Block Europe Central), Ciel Unique 2+ ou le consortium SESAR (Single European Sky ATM Research) – se trouvent aussi les grands industriels de l’aviation civile comme Thalès et Airbus/EADS, qui en assurent de facto, voire officiellement, la direction opérationnelle.

Ces menaces doivent être prises très au sérieux. Le transport aérien évolue lentement – sécurité oblige – mais le terrain est prêt pour le déploiement de nouvelles règles du jeu. Après l’effondrement en 2008 d’un système libéral basé sur la rentabilité à court terme on aurait voulu espérer que cette idéologie vivait ses dernières heures et que, si les conditions d’exercice de notre métier devaient évoluer, ce serait vers davantage de coopération et de progrès social. Pour l’heure rien ne nous incite à le penser. L’alternance politique de 2012 a certes conforté la DGAC dans son statut actuel, mais l’idéologie de nos décideurs n’a pas changé. Il nous appartient de veiller à ce que la surveillance du ciel demeure au service du plus grand nombre et non à celui de quelques grands intérêts industriels et financiers.

DAVID SAUX-PICART syndicaliste USACCGT à l’aéroport de Roissy-CDG

(1) 1 mile nautique vaut 1,852 km
(2) un statut bien spécifique puisque le seul autre budget annexe en France est celui des Publications officielles et de l’information administrative.

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