Le co-développement dans l’innovation : pour quels territoires ? un espace privilégié, la méditerranée occidentale, Michel Combarnous

Le co-développement dans l’innovation : pour quels territoires ? un espace privilégié, la méditerranée occidentale, Michel Combarnous

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Michel Combarnous, membre fondateur de l’académie des technologies, nous présente les chemins possibles pour permettre d’accueillir dans de bonnes conditions les deux milliards d’humains supplémentaires des 30 prochaines années, à travers l’exemple d’un co-développement durable dans l’espace de la méditerranée occidentale.

PAR MICHEL COMBARNOUS*,

Il est toujours difficile et quelque peu périlleux d’évoquer, avec certitude, les évolutions nécessaires ou en cours dans les différents domaines des évolutions techniques, des « progrès techniques », de leur appropriation par la majorité d’entre nous. C’est d’autant plus difficile qu’en matière d’évolution de nos sociétés, si certaines choses se sont clarifiées avec le temps, ou, à tout le moins commencent d’être abordées, les démarches globales, approches pragmatiques, préalables à l’action demandent encore beaucoup de réflexion, d’échanges et d’accords. S’il ne restait qu’un point bien délicat encore à « travailler », il apparaît essentiel : quels outils pour l’accès au pouvoir, pour son exercice,… et que dire des guerres !

Sont évoqués ici successivement (1) quelques points clés d’une démarche globale telle qu’on pourrait l’idéaliser, (2) un territoire intermédiaire à privilégier pour nous, le « 5+5 », (3) quelques exemples enfin de projets féconds.

LES POINTS CLÉS D’UNE DÉMARCHE GLOBALE

Plusieurs points parmi les prémisses à accepter :

Les technologies et les activités techniques, ne constituent en rien seuls des facteurs de progrès, mais ne sont que l’augmentation pour nos sociétés de l’espace des possibles.

Quel que soit le mode d’expression de cette idée, il est de plus en plus évident qu’une vision exclusivement « mondialisée », laissant la main à des opérateurs financiers, ne saurait poursuivre son processus de généralisation, sans grandes difficultés. Qu’il s’agisse de projets régionaux, nationaux ou de coopération, il devient de plus en plus net que la genèse, la définition, comme la réalisation des projets doivent reposer sur une participation équilibrée de tous les acteurs potentiels. Il s’agit là bien sûr d’une sorte de garantie « démocratique », mais surtout d’une démarche absolument nécessaire pour assurer, par la participation du plus grand nombre, le succès de l’entreprise.

Cette recommandation est d’autant plus impérative lorsqu’il s’agit de projets que l’on pourrait qualifier de « co-développement », mettant en jeu des compétences et des expériences d’acteurs du Nord et du Sud. Il s’agit en fait de promouvoir des conditions de vies collectives plus riches et plus efficaces, qu’il s’agisse d’innovations, de recherche ou de formation.

Dans le cadre des approches systémiques, on doit noter le développement toujours plus grand d’approches susceptibles d’être au service des démarches collectives. Au-delà des préoccupations, par exemple, du type « économies d’énergie », deux grandes classes d’approches sont en cours d’implémentation. La première concerne l’analyse du cycle de vie : cette démarche consiste à examiner, d’une manière exhaustive, l’histoire de tel ou tel composé ou composant, depuis sa toute première origine jusqu’à sa fin de vie, en appréciant quantitativement les coûts réels, y compris environnementaux de l’ensemble des étapes. L’autre, en fort développement ces dernières années, concerne l’écologie industrielle : sous un intitulé qui ressemble fort à un oxymore, il s’agit d’une démarche initiée dans les pays nordiques qui consiste à étudier, par exemple dans une plateforme industrielle, les différents échanges et flux de matière et d’énergie, pour les optimiser, un peu comme ils le sont dans un système vivant (d’où le mot « écologie ») [1].

UN PÉRIMÈTRE, PARMI D’AUTRES, À PRIVILÉGIER: LE «5 + 5» [MÉDITERRANÉE OCCIDENTALE]

Sur le plan général, on peut noter que la Méditerranée, l’un des foyers de civilisation humaine, non le seul, a joué, et jouera peut-être, mais cela ne dépend que des Méditerranéens eux-mêmes, un rôle important pour ses populations et pour toute la planète. Si on considère la partie occidentale du bassin méditerranéen, on peut faire sur ce périmètre, que l’on dénomme parfois le « 5+5 », regroupant, au Nord, Espagne, France, Italie, Île de Malte et Portugal et, au Sud, Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie, quelques observations :

-Populations : ces dix pays représentent environ 270 millions d’habitants (données 2012), soit un peu moins de 1/25 de la planète. Sur ce territoire, 32 % de la population est au Sud, 68 % dans les cinq pays du « Nord ».

-Produits intérieurs bruts : lorsque l’on examine les différents PIB annuels (nous avons choisi les chiffres 2010 du Fond Monétaire International), exprimés en k$ par habitant, on retrouve les disparités classiquement constatées avec, dans l’ordre où les pays sont cités plus haut, les séquences de nombres suivantes : 30,6 – 41,0 – 34,1 – 19,7 – 21,6, pour les pays du Nordet 4,4–11,3–3,2–1,2 et 4,2 pour les pays du Sud. Deux remarques : le PIB moyen de la zone s’établit à 25 k$ /(an.habitant) avec 94 % du PIB global au Nord et 6 % seulement au Sud !

-Bien sûr, on ne saurait se contenter de cette seule approche et les observations faites en termes « d’indice de développement humain » sont également à considérer.

-Un élément important enfin est à noter : si on considère les vingt-six langues parlées dans le monde par plus de 50 millions d’habitants (données 1998), on trouve les six langues parlées dans le « 5+5 » : l’espagnol (390 millions de locuteurs dans le monde), l’arabe (250), le portugais (190), le français (130), l’italien (65) et l’anglais « véhiculaire » (510 millions d’anglo- phones dans le monde). C’est assez dire qu’il ne doit pas y avoir, dans cet espace, et qu’il n’y a pas, d’ailleurs, de problèmes de langues et de communication entre les hommes, tous les hommes, surtout si on prend en compte l’effet «modèle à trois langues » (ceci sans compter la pratique, supplémentaire, des langues de proximité).

ÉVOCATION DE QUELQUES EXEMPLES DE PROJETS

Nombreux sont d’ores et déjà les projets, certains parfois anciens, qui satisfont tout à fait aux critères suggérés ci-dessus, projets souvent menés à des échelles locales, nationales et/ou régionales, des projets qui se situent résolument dans les champs du concret.

Dans de nombreuses situations, avec des perspectives d’application, proches ou lointaines, l’échelle « régionale » est souvent la bonne échelle à laquelle les recherches doivent être définies et menées et les progrès réalisés. De nombreux exemples, souvent classiques, peuvent être cités de problématiques particulières, souvent à forts impacts sociétaux. Bien sûr, on peut penser aux incidences du changement climatique sur les territoires méditerranéens. On peut penser aussi à tous les efforts menés en commun sur les régions arides. Et pour ne pas se restreindre au seul espace « 5+5 », pourquoi ne pas évoquer les recherches sur l’olivier, dont les trois leaders mondiaux sont méditerranéens, l’Espagne et la Tunisie certes, mais aussi la Grèce. Un exemple emblématique : le modèle arabo-andalou en gestion de l’eau. « L’émergence de l’école hydraulique arabe, avec ses ramifications orientales et maghrébines, a constitué un fait capital de l’histoire des sciences et techniques arabes au Moyen-Âge. Outre l’accumulation de connaissances nouvelles et d’un savoir-faire élaboré dans les domaines de l’ingénierie de l’eau, cette école a pu, très tôt, imaginer et mettre en place des institutions efficaces, capables de gérer le réseau hydraulique et d’assurer sa pérennité, en se basant sur des principes à la fois efficaces et équitables… En héritant de ce modèle arabe de gestion de l’eau, l’Espagne a su le conserver, l’entretenir et le perfectionner. Et lorsque les puissances industrielles du XIXe siècle étaient à la recherche de moyens susceptibles d’améliorer leurs systèmes d’irrigation, elles ont eu l’intelligence de le valoriser et de le défendre en tant que modèle de gestion locale et participative de l’eau. » [2].

On peut penser également aux projets « continentaux », en Afrique : il y a quelques décennies, une ceinture verte au sud de l’Algérie, actuellement le projet de « Grande muraille verte » [3].

EN GUISE DE CONCLUSION…

Sans aucun doute, les enjeux liés aux hétérogénéités considérables que connaît notre planète, entre pays certes mais aussi entre régions ou groupes sociaux au sein des pays, demandent des actions de grande ampleur, ce d’autant plus que notre Terre, sur laquelle un milliard d’habitants ne mangent pas à leur faim, accueillera deux milliards d’habitants de plus dans les trente ans qui viennent. C’est assez dire que tout ce qui pourra contribuer, par le recours à des démarches systémiques parfois récentes, sur des projets innovants d’extension territoriale bien définie, à la réduction des inégalités, à la participation du plus grand nombre aux décisions d’avenir, peut être précieux pour le futur.

*MICHEL COMBARNOUS est professeur émérite Université Bordeaux 1. Professeur associé à l’Université de Gabès en Tunisie (2006-2011)

[1] Nicolas BUCLET – Écologie industrielle et territoriale: stratégies locales pour un développement durable – 309 pages – Presses Universitaires du Septentrion, 2011

[2] Mohammed EL FAIZ et al. in : « L’ingénieur moderne au Maghreb (19e – 20e siècles)»-ÉricGOBE-Institutde recherche sur le Maghreb contemporain – Maisonneuve et Larose, 2004

[3] Abdoulaye DIA – Stratégie de développe- ment durable face aux changements clima- tiques et à la désertification : l’initiative africaine de la Grande muraille verte. Pages 79- 80. Livret stratégique du Colloque «Science, enseignement et technologie pour le développement de l’Afrique », Dakar, 30 octobre – 3 novembre 2012

 

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