Lorsque de grands projets « inutiles » s’invitent sur une commune, Alain Pagano

Lorsque de grands projets « inutiles » s’invitent sur une commune, Alain Pagano

 grenouille

Avec la bataille contre l’installation d’un aéroport à Notre Dame des Landes, l’idée de « grands projets inutiles » a fait surface et s’est popularisée dans l’opinion publique, nombre de personnes croyant défendre des problématiques environnementales avec ce concept. Grattons un peu le vernis de « l’écologiquement correct » pour regarder sa compatibilité avec le développement durable.

Dans un premier temps, avant les problématiques environnementales elles-mêmes, il faut bien voir qu’un des arguments majeurs pour décréter l’inutilité des grands projets est un argument économique. On nous assène que l’heure n’est plus aux grands projets dispendieux à l’heure de politiques d’austérité sans précédent. Autrement dit, c’est une manière de valider l’austérité et de renoncer à des projets de développement humain! Drôle d’argument quand il est porté par des gens qui se veulent de gauche… Je conteste cette idée simpliste, me battant pour une alternative à l’austérité, pour le développement humain, l’humain d’abord!

J’y ajoute que, du point de vue du scientifique que je suis, l’Homme fait partie de la « Nature », est une des composantes des écosystèmes(1). C’est la définition des biologistes, des écologues dont je fais partie. Cela implique que, au lieu d’avoir une vision dogmatique de l’écologie où Homme et Nature sont incompatibles et opposés, on doit, au contraire, considérer qu’il ne peut y avoir de respect des écosystèmes quand l’homme est maltraité. Oui, le développement humain (social, culturel…), c’est la condition d’une prise en compte par le plus grand nombre des problématiques environnementales.

Les fameux «grands projets» sont souvent des projets d’aménagement du territoire d’ampleur (aéroport, ligne TGV, autoroute…). Sont-ils inutiles? Derrière cette inutilité affirmée par les « défenseurs de l’environnement » se cachent plusieurs raisons au refus, certaines avouables, d’autres moins… Certains refusent les projets par intérêt individuel de propriétaires (on ne veut pas avoir de nuisances à côté de chez soi). Ce qui doit être entendu et peut être résolu. D’autres parce qu’il y a des impacts environnementaux négatifs. Mais là encore cela peut être résolu. D’autres parce qu’ils jugent que le projet en lui-même est inutile. Prenons ces arguments un par un pour essayer de mettre en place une démarche progressiste soucieuse de l’environnement face à des projets d’aménagement du territoire:

1) Vérifier l’utilité sociale, l’intérêt collectif d’un projet, en faisant abstraction, dans un premier temps des impacts environnementaux. Tel projet correspond-il exclusivement à l’intérêt financier des grands groupes du BTP ou à une réelle amélioration du quotidien des gens? Mais une fois cela fait…

2) Se battre pour le bien-être humain. Par exemple, exiger des protections contre les nuisances environnementales. L’expérience des militants est truffée d’exemples où il est possible d’obtenir une réduction des nuisances pour le plus grand nombre (murs anti bruits, chaussées couvertes, interdiction des vols de nuits…). Cela répond à la défense des intérêts individuels et est très rassembleur. Et indissociablement,

3) Travailler à la minimisation des impacts environnementaux au sens large. La loi y oblige à travers des mesures compensatoires, et la science le permet avec l’écologie de la restauration. Qu’il me soit permis de développer ici sur cet aspect peu connu à travers mon expérience professionnelle. Lors de la construction de l’autoroute A87, des dizaines de zones humides ont été supprimées dans lesquels vivaient des espèces protégées. Il était donc possible de mettre en échec ce projet autoroutier, ou, à tout le moins, demande des modifications de tracé. J’ai travaillé, avec mon laboratoire de l’époque, à proposer des mesures compensatoires c’est-à-dire des recréations de zones humides pour compenser celles qui étaient détruites. La grande majorité des espèces que nous surveillions sont revenues sur ces nouvelles zones humides, de nouvelles se sont installées. Foin de scientisme, je ne dis pas que tout fonctionne à merveille dans tous les cas, mais cette expérience, parmi d’autres, montre qu’il est possible de travailler à des mesures compensatoires de qualité qui réduisent ou annulent les impacts environnementaux. On doit travailler à leur application, avec les compétences des bureaux d’études en environnement et des chercheurs en écologie de la restauration.

En conclusion, si les grands projets sont réellement inutiles… Point besoin de les défendre. S’ils sont utiles (et à c’est sans doute le cas de la plupart d’entre eux), rien n’empêche qu’ils soient conçus dans une logique de développement durable. Il faut simplement créer les rapports de force pour que les citoyens et les écosystèmes soient respectés dans les projets (réduction des nuisances, mesure de restauration d’écosystèmes). Il n’y a rien de fondamentalement et irrémédiablement incompatible entre projet de développement humain et respect de l’environnement.

ALAIN PAGANO est Maître de conférences en écologie et membre du conseil national du PCF.

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