Progressistes : Comment concevoir l’action environnementale à l’échelle locale : une série de mesures en tant que telles ou une action continuelle intégrée à des politiques plus globales comme l’urbanisme, les déchets, les transports, le logement ?
Hervé Bramy : D’une ville à l’autre la prise en compte des enjeux environnementaux dans les projets municipaux varie. Ils sont de nature différente selon que l’on habite en milieu urbain ou rural et surtout selon le niveau de sensibilité des populations à ces enjeux. Dans les quartiers populaires, là où la souffrance sociale s’exprime avec force c’est en tout premier lieu les conditions vitales d’existence qui prédominent. C’est pourquoi les communistes et leurs élus, face à la crise du capitalisme qui meurtrit tant de vies, agissent et luttent, dans un même mouvement, contre les inégalités sociales et environnementales. C’est un positionnement offensif de justice humaine. Ceci dit, je ne crois pas connaître de municipalité qui ne soit pas soucieuse de l’environnement. Aucune ville ne peut se désintéresser de l’environnement, des projets industriels et économiques qui s’implantent sur son territoire afin d’en prévoir toutes les conséquences qui y sont associées dont celle de la qualité environnementale. Pour revenir à la question, pour les élus d’une façon générale cela se traduit par des politiques publiques plus ou moins élaborées et par des actes de gestion qui peuvent être innovants. De nombreuses villes se sont engagées dans la construction d’Agendas 21 ou dispositifs analogues. Dès lors qu’on ne se limite pas à de l’affichage et que l’on avance d’un même pas sur l’économique, le social et l’environne- ment, les trois piliers du développement durable, cette démarche globale me paraît la plus intéressante car ellemobilise l’ensemble des secteurs municipaux sur la durée tout en permettant à chacun-e de prendreconscience de l’ensemble des néces-
sités et des enjeux, d’en mesurer les avancées ou les obstacles. J’y ajoute la démocratie car l’efficacité commande à la fois de comprendre les défis et de les partager. Ceci est valable tant pour les habitants que les agents des collectivités.
Progressistes : Des budgets spécifiques sont-ils alloués à l’écologie dans les communes ?
Hervé Bramy : Là encore cela varie d’une ville à l’autre selon les opportunités locales. Généralement les services des collectivités locales, qu’ils soient de compétence obligatoire comme l’eau ou les ordures ménagères par exemple pour les communes ou volontaires comme les espaces verts ou les agendas 21 structurent le périmètre de la délégation des élus à l’écologie. Donc, de ce fait, une part du budget globalde la municipalité est affectée à cette délégation sans oublier les budgets annexes comme celui de l’eau (au nom du principe l’eau paye l’eau…). Pour gérer leurs domaines les élus se voient également attribuer des lignes budgétaires en fonctionnement pour réaliser des initiatives publiques de sensibilisation (Journées de l’environnement, actions éducatives…) ou d’investissement pour des projets décidés par le Conseil municipal (serres municipales, stations d’épuration…).
Progressistes : On est frappé par le nombre de réalisations d’élus communistes dans le domaine de l’environnement, par exemple en Seine St Denis, les élus ont été précurseurs avec des politiques volontaristes en développant la géothermie avec un surcoût clairement assumé, on pourrait citer des centaines d’exemples similaires dans toute la France… Comment expliquer le décalage entre cette réalitéet les idées reçues sur le « retard » des communistes sur ces questions ?
HB : Effectivement, contrairement aux idées reçues, les élus communistes se sont pleinement investisdans ce domaine avec la même ambition que dans tous les autres domaines : répondre aux besoins de leurs concitoyens. La réintroduction du tramway en région parisienne, c’est le résultat d’une lutte victorieuse de 10 ans animée par le Président communiste de Seine-Saint-Denis Georges Valbon dans les années quatre-vingt.
À la même époque, la réalisation du parc de La Courneuve – qui porte aujourd’hui son nom –, sur les friches d’un immense bidonville, constituait un véritable défi. Passer de moins d’un m2 d’espaces verts par habitant à 12 actuellement, c’est-à-dire au dessus des normes européennes. Sans oublier de mentionner leur classement Natura 2 000. La « greffe » a pris et nous sommes en mesure de présenter un bilan en matière de biodiversité bien plus riche que nombre de départements ruraux d’Ile de France. C’est dans cette dynamique que la plupart des municipalités de Seine-Saint-Denis ont réalisé leur parc communal.
Dans le secteur de l’eau, les départements communistes de la région parisienne (93 et 94) ont été précurseurs dans la démarche de gestion informatisée des réseaux d’assainissement notamment pour faire face aux inondations urbaines résultantes de l’artificialisation des sols. Du monde entier des délégations d’élus sont venues découvrir leurs réalisations. Nous avons contribué à la création du Syndicat Interdépartemental de l’Assainissement en région Parisienne (SIAAP) – le plus important d’Europe – aujourd’hui dirigé par un élu communiste Maurice Ouzoulias afin d’agir pour un retour de la qualité du milieu aquatique (Seine et Marne). Pari réussi, car la Seine accueille à nouveau des espècesaquatiques qui avaient totalement disparu.
Nous avons également contribué à la création d’organisations similaires pour les déchets ménagers. Jusqu’en 2008 la Seine-Saint-Denis a organisé la plus grande manifestation citoyenne, associative et de services publics à l’initiative d’une collectivité d’Ile de France : la Biennale de l’environnement. Ce grand forum de débats, de sensibilisation et de mobilisations en faveur de l’écologie urbaine a brutalement été interrompu suite à l’arrivée d’un président socialiste, alors que le Val de Marne poursuit et développe son Festival citoyen de l’OH ! Enfin il est vrai que durant les mêmes années quatre-vingt les mairescommunistes de la région parisienne se sont engagés dans un audacieux programme de géothermie pour alimenter les réseaux de chaleur de leur commune sans aucune aide financière et de surcroît en payant la TVA comme pour un service en secteur commercial. Alors pourquoi, dans l’appréciation de la politique des communistes, tout cela est-il passé au second plan ? Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation. Le passé dit « productiviste » des communistes qui a pu être compris comme une opposition entre développement industriel et préservation de la nature ? Pourtant on voit bien actuellement les dégâts sociaux de désindustrialisation de notre pays. La prééminence de leur engagement social auprès des populations les plus démunies ? Le fait d’avoir pour le Parti communiste, durant une trop longue période, délégué le portage de ses choix écologiques à des associations ? Sans doute un peu de chacune de ces approches. Enfin, nous-même, nous valorisons assez peu les réalisations de nos élus au-delà des populations concernées. C’est pour inverser ce constat que nous envisageons la réalisation d’un répertoire des actions réalisées dans nos collectivités locales.
Progressistes : En pleine crise et en pleine réforme territoriale qui réduisent les res- sources des communes : comment aujourd’hui financer de telles politiques ?
HB : Les politiques d’austérité font mal aux politiques publiques locales. Tous les secteurs sont concernés. L’austérité contraint à faire des choix imprévus, ralentit le rythme des réalisations ou bien les reporte à plus long terme. Les dotations de l’État sont réduites, les subventions européennes en baisse constante. L’augmentation de l’impôt local n’est pas envisageable. Le recours à l’emprunt est une possibilité mais elle reste limitée compte tenu de ses conséquences sur l’endettement des collectivités territoriales. À l’échelle d’une commune les possibilités sont restreintes et ce d’autant plus lorsque le budget du ministère de l’écologie est une nouvelle fois fortement raboté.
Pour toutes ces raisons il est urgent de sortir des politiques d’austérité, de penser un autre partage desrichesses, de donner un autre rôle à l’euro. Une autre politique de crédit doit pouvoir intégrer plus fortement des critères environnementaux. Les taux seraient d’autant plus bas que seraient importantes les dimensions environnementales. Enfin pour contribuer au débat sur la décroissance la réduction des dépenses d’armement pourrait utilement être reportée sur l’écologie.
Progressistes : Une réponse à un problème écologique légitime peut créer d’autres types de nuisances qu’on accepte difficilement : par exemple la présence d’usine de méthanisation pour traiter les déchetsplutôt que de les enfouir. Comment alors organiser une consultation démocratique sur des sujets aussi sensibles, sans tomber dans l’instrumentalisation des peurs et n’intéresser que les « anti », avec à la clé le blocage de tous ces projets ?
HB : La démocratie n’est pas un but mais un moyen d’avancer ensemble pour le bien de tous et de la planète. Tout projet requiert de l’information afin de permettre à nos concitoyenne-s de comprendre et d’en maîtriser les enjeux. Un choix démocratique demande des citoyens documentés et associés à toutes les phases du projet, de l’idée à sa réalisation. Pour réussir la démarche doit être conçue comme un élément à part entière du projet. Sans cela le camp de la peur, de l’opposition politicienne (surtout à la veille d’élections) risque de l’emporter ou pour le moins de « polluer » la véritable perception des objectifs poursuivis. Quant aux formes, elles sont multiples : conférences d’information par le promoteur du projet, ateliers de concertation, publications électroniques et papier, compte rendu régulier de l’avancée du projet etc.…
Pour ce qui concerne les communistes notre ambition est de co-élaborer les projets. Cela demande unhaut niveau de responsabilisation de toutes les parties engagées. C’est ce que nous faisons au Blanc Mesnil (93) pour la réalisation d’un écopôle qui regroupe une usine d’assainissement du SIAAP et une usine de méthanisation du SYTOM. Cette dernière est au cœur d’un conflit politicien où les opposants jouent sur les peurs et l’irrationnel. Finalement on se rend compte que répondre à toutes les questions et associer la population sont un gain de temps et un atout pour la réussite, car cela demande d’aller au-delà du projet lui-même et de bâtir avec tous les
réponses à un enjeu de société. Que faisons-nous de nos déchets ménagers alors que la loi interdit de lesverser dorénavant en décharge et que les capacités d’incinération en Ile de France sont suffisantes ? Nous voulons faire le choix que les déchets soient considérés comme des produits utiles au développement humain durable en contribuant utilement à la lutte contre le réchauffement climatique par le captage du méthane.
Progressistes : La France connaît une grave crise industrielle avec des fermetures d’usines qui se multiplient. Comment mener des luttes pour maintenir ces outils de production tout en veillant à tenir un discours d’avenir sur leur nécessaire évolution ? N’y a-t-il pas un risque d’apparaître comme de simples défenseurs du statu quo ?
HB : Les communistes aspirent à l’élaboration d’un nouveau mode de production et de consommation qui sorte la société du productivisme capitaliste. La planification écologique et démocratique est la méthode pour dépasser le système productif actuel afin d’en bâtir un nouveau qui respecte la planète et préserve les ressources naturelles. Pierre Laurent l’a rappelé à Lille, en novembre dernier (2012), l’industrie et l’écologie sont indissociablement solidaires. L’une ne progressera pas sans l’autre. Nous considérons qu’un nouveau développement industriel est indispensable pour la transformation écologique de notre société. Les salariés doivent être des acteurs déterminants de cette transformation. Ils sont les mieux placés – parce que concernés directement en tant que salariés mais aussi citoyens – pour réussir cette transformation du fait de leurs savoir-faire et de leur expérience accumulés de la production. Ils doivent pouvoir disposer de droits nouveaux d’information, de décisions afin de peser utilement sur les choix stratégiques des entreprises. Le critère du profit qui est la seule boussole des actionnaires doit êtreconsidérablement minoré pour laisser la place aux enjeux sociaux et environnementaux. De ce point devue là, les collectivités et les élus sont des points d’appuis essentiels.
Progressistes : Que penser de l’idée à la mode aujourd’hui d’ « autonomie énergétique » que vantent nombre de collectivités, idée qu’on retrouve avec le concept de bâtiments à énergie positive, de régionsautonomes en énergie ?
HB : Face aux dangers du réchauffement climatique la société est au cœur de choix déterminants pour l’avenir de l‘humanité. Si chaque source d’énergie présente des avantages il est urgent d’engager un processus de réduction progressive mais continue des énergies carbonées (gaz, pétrole, charbon : celles qui produisent les gaz à effet de serre). Un autre mix énergétique est à l’ordre du jour. Pour ce qui nous concerne nous préconisons un mix composé de nucléaire et d’énergies renouvelables. Tout ce qui peutêtre fait pour économiser l’énergie doit être entrepris et c’est dans cette voie que je situe la réalisation de bâtiment à faible énergie ou à énergie positive. Toutefois je ne souscris pas à l’idée que nous serions en capacité de tendre vers un système d’autonomie énergétique au plan local reposant pour l’essentiel sur les énergies renouvelables. Comment cela est-il envisageable à l’échelle des métropoles urbaines quand les énergies renouvelables stagneront à 10-20 % de l’énergie finale consommée, dans l’état actuel de nos connaissances et avec des contraintes d’implantation fortes ? En effet, malgré tous nos efforts la demande d’énergie ne cesse de croître et huit millions de personnes sont des précaires énergétiques dansnotre seul pays. Nous devons concevoir un système de production d’énergie décarboné, solidaire et surtout le sortir des griffes du marché pour l’inscrire dans un grand pôle public.
Actuellement les particuliers et les collectivités sont sollicités pour développer des installations qui deviennent des rentes de financement sur le dos de tous les usagers via la CSPE (contribution au Service Public de l’énergie) prélevée sur nos factures. C’est injuste et risque de remettre en cause notre système original de péréquation tarifaire qui traite chaque usager de façon équitable. Encore une fois contribuer à réduire la consommation d’énergie est nécessaire, par contre, bâtir un projet de société locale sur l’autonomie énergétique me paraît inconcevable.
*HERVÉ BRAMY est conseiller général de
la Seine-Saint-Denis et responsable du pôle
environnement du PCF
Une réflexion sur “Environnement et gestion municipale : quelques clés pour comprendre et agir, Hervé Bramy”