Des luttes pour reconquérir la mer et un étang, Jean-Claude Cheinet
L’étang de Berre est tel un cercle au milieu du rectangle des Bouches du Rhône, à l’ouest de Marseille. Mi-
estuaire pour des rivières côtières, mi-lagune méditerranéenne peu profonde, c’est un vaste étang marin débouchant dans le Golfe de Fos. L’essor industriel et portuaire du XXe siècle a fait de cette région le réceptacle des rejets des industries et des villes. L’écologie politique n’existait pas encore, que déjà sur place la résistance aux pollueurs commençait…
LES PIONNIERS (1960-1970)
Les années 1960 voient la construction de la vaste zone industrialo-portuaire de Fos sur mer avec la pétro-chimie et la sidérurgie : il s’agit de la plus grande zone d’industries lourdes du Sud de la France. La Durance est détournée vers l’étang de Berre afin de raccourcir le canal d’amenée vers la nouvelle centrale hydro-électrique Saint-Chamas. S’affrontent alors deux points de vue : autour de la droite locale on glorifie la technologie, « l’effet de chasse » qui va emporter les pollutions et la possibilité d’élever des truites dans cet étang marin, mais autour des municipalités communistes on s’inquiète. Les pêcheurs sont les premiers à manifester d’autant que l’on commence à connaître les effets de la pollution au mercure de la baie Minamata au Japon. Rassemblements et manifestations contre « les pollueurs » se succèdent autour du député communiste René Rieubon, des marins pêcheurs CGT qui barrent le Golfe de Fos, des syndicats de la zone et même des curés qui sonnent le tocsin ! Les années 1970 voient le développement des préoccupations environnementales et la multiplication des contestations, par exemple contre l’implantation militaire sur le plateau du Larzac. Le gouvernement craint que l’étang de Berre ne devienne un deuxième « Larzac ». Sous la pression du mouvement emmené par les communistes, il décide donc la création d’un SPPPI (Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles) placé sous l’autorité du Préfet, celle de AIRFOBEP organisme, chargé de surveiller la pollution aérienne et plus tard celle du CYPRES, auquel est confiée l’information préventive sur le risque industriel. Un bâtiment spécial est construit à Martigues pour abriter ces différents organismes qui réunissent l’ensemble des acteurs concernés : industriels, élus, Etat et, plus tard, associations et syndicats. Cette initiative s’avère fructueuse: en quelques années, la pollution régresse dans la région, l’étang lui-même atteint
L’ENVIRONNEMENT, ARME DE LA RECOMPOSITION POLITIQUE (1970-1990)
Mais la réduction des rejets industriels met en évidence l’eutrophisation des eaux de l’étang, avec son cortège de poussées algales, de mortalité de poissons… Parmi les responsables, la centrale EDF de Saint-Chamas et les eaux douces déversées en raison du détournement de la Durance. Or le retournement politique du gou- vernement et l’avancée des idées ultralibérales font d’EDF, société nationalisée, un coupable idéal pour les médias en meute. Le problème écologique bien réel devient prétexte à une opération politique visant l’entreprise publique. Dans ce contexte, les communistes se retrouvent isolés et sur la défensive. Sans doute y a-t-il des actions entamées par le syndicat CGT-EDF et par le MLNE (le Mouvement national de lutte pour l’environnement, créé en 1981) : pétition, manifestation relayée par une proposition de loi du député puis du sénateur communiste local. Reste que c’est la campagne adverse qui marque. Les manifestations pour « fermer la centrale » sont emmenées par le Parti socialiste et aboutissent à rassembler, dans une Union sacrée bien ambiguë, tout l’arc politique contre les communistes, notamment ceux de Martigues. Le tout débouche sur un référendum local visant la centrale et l’escalade continue. Des menaces de plasticage sont proférées et on va même jusqu’à détériorer une sculpture devant l’entrée de la centrale, et ce en présence du député PS. Cependant le lendemain de cet épisode, l’explosion à proximité d’une raffinerie, entraînant la mort de 9 personnes, contribue à ramener sur terre quelques-uns. L’instrumentalisation politique ne s’arrête pas là. Un député de droite s’empare entre-temps à son tour du sujet et, reprenant une idée de la proposition de loi communiste, il lance la création de l’EPAREB, établissement public administratif chargé de l’aménagement des rives de l’étang. Il faut attendre l’arrivée de la gauche plurielle, à la fin des années 1990, pour que soit créée une nouvelle structure : le GIPREB.
D’UNE PHASE TECHNIQUE À UNE RENTE POLITIQUE (DES ANNÉES 2000 À NOS JOURS)
Le nouveau GIP (groupement d’intérêt public) mène une concertation qui débouche sur un consensus autour de la réalisation de travaux de dérivation des eaux du canal usinier vers le Rhône, avec la possibilité de récu- pérer au passage une bonne partie de la production électrique. Dans le même temps, les manifestations contre la centrale s’estompent et ce d’autant plus vite que c’est le maire PS de Berre, ancien fer de lance de la contestation, qui devient le président du GIPREB. Il transforme très vite cette fonction en rente politique, encore augmentée quand il accède à la présidence d’AIRFOBEP ce qui fait de, lui l’acteur local incontournable sur l’environnement industriel. Toutes les études techniques et socio-économiques confirment entre-temps la faisabilité et la rentabilité des travaux envisagés. Un vrai projet d’aménagement régional apparaît. L’obstacle
est celui du financement, dans un temps où chacun agite la « rigueur » ou le « sérieux » budgétaire… De nou-
velles études sont alors commandées, ce qui fait s’enliser la situation. Cet enlisement est accentué par l’affadissement ou la disparition des mouvements de luttes, aussi bien en raison de la désillusion générale que de l’affaiblissement des communistes. Ces luttes avaient pourtant connu un bel essor, et les communistes avaient su leur donner une visée générale de transformation du cadre de vie et de travail. La réduction de cette ambition à la préservation écologique de l’étang, et aussi à la consolidation électorale de certains élus, tarit la sève de tout cela. Ce sont pourtant les idées que les communistes avançaient qui l’ont emporté, mais ce sont leurs opposants qui en tirent profit pour se présenter en sauveur de l’environnement régional. Dans la période qui vient, les communistes et progressistes de la région sauront-ils redonner vie à un projet qui fasse converger les multiples luttes environnementales sur la pollution et la santé, sur les risques industriels,
sur l’aménagement équilibré du territoire ? Seule cette convergence, autour de l’idée d’une maîtrise des rapports entre la société locale et son environnement, est susceptible de relancer un mouvement d’ensemble d’une population qui, il y a plus de 40 ans, a réussi à innover.
JEAN-CLAUDE CHEINET est membre de la commission écologie du PCF. Il est l’ancien président du CYPRES (Centre d’information pour la prévention des risques majeurs), militant pour la sûreté industrielle.
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