Quelle solution pour les déchets nucléaires ?, Jean-Noël Dumont et Bernard Felix

Quelle solution pour les déchets nucléaires ?, Jean-Noël Dumont et Bernard Felix

RubENVIRONMT-SOCIETE_déchetsNucléaire

UN PROCESSUS DE LONGUE HALEINE

Les premiers travaux sur la gestion à très long terme des déchets radioactifs remontent aux années soixante, avec notamment le développement du procédé de vitrification. Dans la décennie 70, l’engagement du gouvernement dans la réalisation d’un parc électronucléaire s’est accompagné du développement du retraitement à usage civil. Celui-ci permet d’extraire la majeure partie de la matière fissile présente dans le combustible en sortie de réacteur, donc de réduire la toxicité des déchets, sinon leur volume. Le plutonium récupéré est utilisé pour fabriquer le combustible MOX. Les résidus du retraitement sont calcinés et intégrés dans les blocs de verre. La très grande majorité des déchets produits par les activités nucléaires est solidifiée et conditionnée en ligne dans des colis à conteneurs en acier ou en béton. À plus de 96 % ils sont de très faible, de faible ou de moyenne activité à vie courte, c’est-à-dire que leur période de demi-vie, au terme de laquelle la radioactivité est divisée par deux, est inférieure à 31 ans. Ces déchets sont expédiés vers les stockages en surface de l’Andra [1], dont les ouvrages après fer- meture seront surveillés pendant au moins 300 ans, le temps d’une décroissance vers la radioactivité du milieu naturel. Pour les déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL) et ceux de haute activité (HA) [2] une telle solution ne peut être envisagée. Dès les années 70, le stockage profond (au moins 200 mètres) en formation géologique continentale a fait l’objet d’un consensus international qui a été promu par l’agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, organisme spécialisé des Nations Unies. Jusqu’en 1990, la recherche de sites potentiels d’implantation, selon les seuls critères géologiques, s’est appuyée sur le pouvoir exécutif, ce qui a été vécu localement comme une agression et a mené à un blocage. Le besoin de légiférer s’est imposé et le parlement adoptait en 1991 à l’unanimité la « loi Bataille », qui définit trois axes de recherche pour la gestion des déchets HA–MAVL :

• La transmutation qui consiste à transformer les noyaux à vie longue en noyaux à période plus courte par réactions nucléaires. Séduisante sur le papier, cette solution passe par une séparation des différents radioéléments dans le processus de retraitement, par leur incorporation dans des combustibles et leur irradiation dans des réacteurs à neutrons rapides. Si elle permet de réduire la radio toxicité des déchets, elle implique un essor de l’industrie nucléaire et ne supprime pas la nécessité d’un stockage profond.

• Le conditionnement et l’entreposage en surface ou à faible profondeur. Ces ouvrages permettent une mise en attente des déchets et donc de reporter la décision sur leur gestion finale. Cependant dès que leur maintenance cesse, le confinement des déchets et la sûreté se dégradent.

• Le stockage, réversible ou irréversible, dans des formations géologiques profondes. Confiée à l’Andra, cette recherche nécessite des études en laboratoires souterrains. En 2005, échéance fixée par la loi de 1991, trois formations géologiques avaient été explorées dans des départements qui s’étaient portés candidats : la Vienne, le Gard et à la charnière de la Meuse et de la Haute-Marne où un laboratoire souterrain (laboratoire de Bure) a été mis en service en 99 pour étudier in situ le comportement des roches argileuses. Sur la base du dossier présenté par l’Andra, la Commission Nationale d’Évaluation (CNE), composée d’ex- perts, et l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) ont conclu à la faisabilité d’un stockage géologique réversible en Meuse/Haute- Marne. La loi de programme du 28 juin 2006 a confirmé ces choix: Le stockage est la solution de référence et sa démonstration de sûreté doit s’appuyer sur des expérimentations en laboratoire souterrain. Il est donc de fait localisé en Meuse/Haute–Marne. Une gestion réversible devra être possible pendant au moins 100 ans. Le stockage ne peut s’appliquer qu’aux déchets radioactifs ultimes: le stockage des combustibles usés est seulement une option, car leur valorisation complète est envisagée dans les réacteurs de la génération IV. La transmutation est désormais associée aux recherches sur cette nouvelle filière de réacteurs. L’entreposage doit répondre aux besoins de la gestion des colis avant le stockage, sans s’y substituer. Aujourd’hui, l’étude du site, des colis et du concept de stockage est suffisamment avancée pour que, après intégration des données du débat public en cours, une demande d’autorisation de création d’un centre industriel de stockage géologique (Cigéo) soit déposée en 2015 avec un avant-projet d’une première tranche. Après instruction du dossier, une nouvelle loi définira, entre autres, les conditions de la réversibilité.

CIGÉO : UN PROJET HORS NORMES

L’objectif est de confiner la radioactivité un temps suffisant pour que sa décroissance limite l’impact des transferts résiduels sur l’environnement à un niveau très inférieur à celui de la radioactivité naturelle. On utilise pour cela les propriétés d’imperméa- bilité et de rétention d’une couche argileuse de 130 m d’épaisseur, travers la barrière géologique s’appuie sur les données expérimentales acquises notamment au laboratoire souterrain de Bure, ainsi que sur l’observation d’analogues naturels dont certains remontent à plusieurs millions d’années. Cigéo accueillera des déchets MAVL-HA issus d’installations industrielles, militaires et de recherche existantes et en construction pendant toute leur durée d’exploitation. Il se déploiera sur une centaine d’années, avec la construction de tranches successives et simultanément, l’exploitation des premières d’entre elles et la fermeture éventuelle des plus anciennes. À 500 mètres de profondeur, dans une couche argileuse du bassin parisien située à 230 km à l’est de Paris, des alvéoles horizontaux seront creusés pour y placer des colis de déchets radioactifs. Après une exploitation de plus d’un siècle, le stockage occupera en profondeur une emprise de l’ordre de 15 km². Pour répondre à la demande de réversibilité, il est conçu de telle sorte que, pendant la durée d’exploitation, les colis puissent, si nécessaire, être récupérés. À terme, il doit pouvoir être fermé, en commençant par les alvéoles, puis les galeries et enfin les puits et descenderies. Ceci pourra se faire suivant un rythme qui sera révisé tous les dix ans, après consultation des parties prenantes. Après fermeture, la mémoire du site devra être conservée au moins 500 ans. Des enjeux industriels, sociétaux, et financiers immédiats Le projet Cigéo doit s’insérer dans un territoire. Les préoccupations de la population locale sont compréhensibles : qui accepterait, sans se poser de questions, d’accueillir dans son sous-sol des déchets radioactifs? Mais il répond aussi à un enjeu national: la gestion à long terme des déchets radioactifs HA-MAVL est incontournable quelle que soit la place réservée au nucléaire dans la production d’électricité et ce d’autant qu’une part significative est déjà produite. Si la décision finale reviendra au gouvernement, dans un cadre défini par le Parlement, elle implique toute la société. La démocratie devra accompagner le processus de décision puis de gestion réversible de Cigéo et les rendre transparents. D’où l’importance du débat public actuel, et de sa poursuite dans un climat serein. Malheureusement, les premières réunions ont été sabotées par des opposants anti-nucléaires qui font monter les inquiétudes avec l’objectif de faire rejeter le projet et ainsi préserver l’argument de l’absence de solution à long terme pour les déchets. Ce projet représente aussi un enjeu financier important. Depuis la transformation d’EDF en société anonyme cotée en bourse, dans le contexte européen de libéralisation du marché de l’électricité, le montant des provisions pour le stockage influe directement sur le cours de l’action. La pression est forte pour réduire le coût de Cigéo, même s’il reste modéré au regard du coût de l’électricité [3]. La logique de court terme pousserait à choisir le maintien prolongé en entreposage, une mesure dilatoire qui nécessite un moindre investissement, mais qui laisserait à une autre génération la charge de la gestion finale de déchets issus de la production de notre électricité. C’est ainsi que la capacité de l’Andra, agence publique, à assurer la maîtrise d’ouvrage du projet Cigéo, a été mise en cause. Comme le rapportait le député socialiste Christian Bataille en 2001, nous sommes convaincus que “le stockage des déchets et l’entreposage à long terme des combustibles irradiés doivent impérativement rester entre les mains d’entreprises dépendant étroitement de la puissance publique qui, jusqu’à preuve du contraire, reste la seule capable d’assurer sur de très longues durées le maintien des structures nécessaires au respect absolu des règles de sûreté. Ne laissons pas des spéculateurs pénétrer dans un secteur qu’ils n’auraient ni la volonté ni les capacités de gérer sur le très long terme”.

BERNARD FELIX est un ancien administrateur salarié CGT de l’Andra JEAN-NOËL DUMONT est administrateur salarié CGT.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.