Esprit (critique) es-tu là ?, Vincent Laget

Esprit (critique) es-tu là ?, Vincent Laget

 

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Nous vivons dans une société de haute technologie. Il est devenu « naturel », y compris pour nos aînés, de surfer sur Internet. Il est devenu tout autant « naturel » de bénéficier, à la commande d’un simple interrupteur, des bienfaits d’un chauffage ou d’une climatisation, d’éclairage et d’autres serviteurs électriques et électroniques. Les images des sondes spatiales envoyées sur Mars ou sur Saturne ne relèvent quasiment plus de l’exploit technique et ne nous émerveillent plus. Pourtant, sous leur apparente banalité, les objets du quotidien cachent des prouesses technologiques majeures. Ils traduisent une connaissance profonde du monde réel, rendue possible par la démarche scientifique. Ils sont la preuve de la supériorité du discours scientifique sur toutes les autres, et en particulier sur les discours religieux concernant le Monde, pour comprendre le réel. Dans le même temps, les cultes de déraison ne se sont jamais aussi bien portés : les sites de voyance par Internet sont florissants, l’astrologie a pignon sur rue dans les médias et l’homéopathie est remboursée par la Sécurité Sociale. Tout ceci est d’autant plus incompréhensible que l’homéopathie n’a jamais fait la preuve de son efficacité et que ses principes violent les lois de la physique les plus solidement établies ; même chose pour la voyance et l’astrologie, où la réussite des prédictions ne se distingue pas d’un effet du hasard. Pourtant, par un étrange retour des choses, les pseudosciences et autres pseudo-médecines constituent un formidable moyen de (re)découvrir la Science et la méthode scientifique…

DE BRIC ET DE BROCH…

Dans les années 70-80, un scientifique, le Professeur Henri Broch, s’intéresse aux phénomènes « paranormaux » et leur applique la démarche scientifique. Il va chercher à vérifier l’existence de ces phénomènes. Après des années de recherches, la conclusion tombe : leur existence n’est pas démontrée, ce qui ne veut pas dire paradoxalement, qu’étudier ce domaine, soit dénué d’intérêt…

LES HOMMES, DOCUMENTS ET MÉTHODES DU « PARANORMAL »

Tout d’abord, l’étude du domaine « paranormal » renseigne sur les comportements des « tenants », ces personnes qui considèrent pour vrais ces phénomènes hors réalité. Henri Broch note, que ces personnes ont des comportements de croyant : rien ne peut les faire changer d’avis sur ce qu’ils tiennent pour vrai, ce qui les met de facto hors Science. Ensuite, il constate que les productions « paranormales » présentent des similitudes qui les caractérisent. Généralement, elles transgressent des connaissances scientifiques les plus solidement établies, comme dans le cas de l’homéopathie déjà citée plus haut, ou encore dans celui de divers « miracles », comme celui du « sang » de Saint Janvier à Naples, ou encore du « Suaire » de Turin. Alors que la cohérence et le respect des connaissances antérieures sont toujours recherchés en Science, à l’inverse dans le monde « para », plus l’explication du phénomène est nébuleuse, incohérente et mystérieuse, plus elle est considérée comme Vérité… Enfin, restent les méthodes ; Henri Broch identifie des lignes de démarcations claires, qui vont de la naïveté à la simple incompétence, en passant par la fraude ou la possibilité de fraude. Par exemple, des confusions entre les notions de corrélation et de causalité : constater la présence d’un briquet dans la poche d’un malade atteint d’un cancer du poumon (corrélation) ne signifie pas que le briquet cause de manière « paranormale » le cancer du poumon (causalité)…

D’OÙ LA ZÉTÉTIQUE…

L’utilité paradoxale des pseudosciences apparaît maintenant clairement : en montrant ce qui n’est pas Science, elles contribuent à guider la démarche critique vers ce qui est Science. Plus encore, il est possible également de profiter du support motivant que procurent les pseudosciences. Henri Broch a systématisé tout cela en renouvelant une démarche appelée Zététique. Elle repose sur deux catégories de recommandations, les « facettes » et les « effets ». Les facettes sont des principes généraux à respecter pour toute démarche critique ou qui se veut respectueuse de la méthodologie scientifique. Les effets sont des erreurs ou biais de raisonnements à rechercher dans tout discours pour en évaluer sa qualité. Vous en trouverez quelques exemples dans l’encadré qui suit ce texte. Reste maintenant à pratiquer…

QUELQUES EFFETS DE LA ZÉTÉTIQUE

L’effet Puits Vous avez besoin que les autres personnes vous aiment et vous admirent mais vous êtes tout de même apte à être critique envers vous-même. Bien que vous ayez quelques faiblesses de caractère, vous êtes généralement capable de les compenser. Vous possédez de considérables capacités non employées que vous n’avez pas utilisées à votre avantage. Quelques-unes de vos aspirations ont tendance à être assez irréalistes. Discipliné et faisant preuve de self-control extérieurement, vous avez tendance à être soucieux et incertain intérieurement. Quelquefois vous avez même de sérieux doutes quant à savoir si vous avez pris la bonne décision. Vous préférez un petit peu de changement et de variété et êtes insatisfait lorsque vous êtes bloqué par des restrictions ou des limitations. N’est-ce pas une bonne description de votre personnalité, qui pourrait être émise par un voyant, un horoscope ou un test de personnalité de responsable RH? Elle surprend et impressionne fortement parce que nous nous y retrouvons alors qu’elle est produite par une personne qui ne nous connaît pas.

COMMENT EST-CE POSSIBLE ?

En utilisant des phrases vagues, floues voire contradictoires, mêlant tout et son contraire. Ainsi, la phrase « Bien que vous ayez quelques faiblesses de caractère, vous êtes généralement capable de les compenser » en est un parfait exemple : nous avons tous des faiblesses de caractère que nous allons plus ou moins bien compenser. Dès lors, c’est une banalité toujours vraie où tout le monde va se reconnaître. L’absence de contexte particulier du sujet peut aussi être importante pour donner du sens. Par exemple, une phrase comme « Vous allez faire partie des forts » n’a pas de sens sans son contexte : fort en quoi ? En mathématiques ? En sport ? En macramé ? En tartes aux fraises ? En… faiblesse? C’est ce contexte que chaque lecteur va apporter pour donner un sens particulier à la phrase (pour lui) et dès lors, se reconnaître. Il s’agit, en psychologie, de la manifestation de l’effet Forer, du nom du psychologue ayant la première fois testé cet effet en 1948, ou encore, en sciences humaines, de l’effet Barnum. Pour la zététique, elle est dénommée effet puits et s’explique ainsi : plus un discours est vague (profond dans le sens de creux), plus les personnes qui l’écoutent peuvent se reconnaître, et se reconnaître majoritairement, dans ce discours. Effet Boule de neige : accumuler les détails dans un récit de Ne main Untel déclare que Machin a dit que Chose avait appris chez Truc que etc. C’est le témoignage de Ne main où chaque intermédiaire rajoute un élément de son cru à l’histoire de départ. Effet Bipède : prendre l’effet pour la cause C’est raisonner d’une ferme conviction vers une cause possible, raisonner à rebours. C’est un des effets les plus pervers et des plus difficilement identifiables. Très souvent, il consiste à prendre l’effet pour la cause. Une bonne illustration de cet effet peut être donnée par l’affirmation suivante : le fait que nous portions des pantalons prouve que Dieu a voulu que nous soyons bipèdes. Effet Cigogne : confondre corrélation et causalité L’Effet Cigogne consiste à tout simplement confondre un lien statistique (corrélation) entre deux variables avec un lien de cause à effet (causalité). L’exemple du briquet en est une parfaite illustration.

QUELQUES FACETTES DE LA ZÉTÉTIQUE

Le bizarre est probable Nous sommes frappés, dans la vie courante, par certaines coïncidences particulièrement stupéfiantes : rencontrer dans le métro un ami d’enfance perdu de vue depuis 20 ans, penser à une personne et apprendre son décès 5 minutes plus tard, etc. Nous attribuons une faible probabilité à ces événements de se réaliser, ce qui les rend d’autant plus extraordinaires. Or, s’il y a effectivement peu de chance qu’un événement extraordinaire précis nous arrive, en revanche il est quasi certain que nous serons tous dans notre vie l’objet d’un événement extraordinaire, parce que le nombre des événements perçus comme tels est lui quasi-infini.

L’ORIGINE DE L’INFORMATION EST FONDAMENTALE

Il faut toujours avoir un petit doute sur la validité d’une information tant qu’on n’a pas pu vérifier par soi-même son origine. En effet, on constatera alors souvent que soit l’information rapportée n’est pas l’information d’origine (effet petits ruisseaux), soit qu’elle vient d’informateurs pas toujours compétents dans le domaine (voir ci-après).

LA COMPÉTENCE DE L’INFORMATEUR EST ÉGALEMENT FONDAMENTALE

L’information a d’autant plus de chance d’être de meilleure qualité qu’elle provient de personnes compétentes dans le domaine concerné. Ainsi, sur de l’astrophysique, nous pourrons consulter Hubert Reeves ou Claude Allègre sur de la géologie. Gare toutefois au glissement du domaine de compétence : toujours garder à l’esprit que l’opinion d’Hubert Reeves sur les pesticides comme celle de Claude Allègre sur le réchauffement climatique ne valent pas plus que celle de Mireille Mathieu sur l’existence des trous noirs…

VINCENT LAGET, responsable du groupe AFIS 92 (Association Française pour l’Information Scientifique).

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