Sur la nomination du conseiller économique à la concurrence: éloge du fou du roi, médiocrité de l’abbé de cour, et autres métastases du caméléon, Yves Bréchet*

Yves Bréchet est ancien haut-commissaire à l’énergie atomique, membre de l’académie des sciences.

Bis repetita non placent…

Il y a eu, cela ne vous aura pas échappé, quelques vagues concernant la nomination de Fiona Scott-Morton pour succéder à Pierre Regibeau comme conseiller à la concurrence. L’occupant du poste , comme premier et ultime et courageux pied de nez officiel aux citoyens qui le nourrissent grassement (et vont continuer à le faire après son départ pour une retraite que charitablement nous lui souhaitons longue et paisible et si possible, loin de toute possibilité d’influence…), a donné une interview proprement lunaire aux Echos belges [1]. La candidate pressentie était une lobbyiste des GAFA, ce qui a fait quelques remous dans le landernau et a finalement fait échouer sa nomination. Qu’à cela ne tienne, le candidat pour la remplacer est son clone barbu en complet veston, double nationalité autrichien américain, Florian Ederer [2]

On ne change pas une équipe qui gagne certes, mais qui gagne quoi et pour qui?  

Et on continue donc comme si de rien n’était, au cœur de l’été (on ne sait jamais, des fois que ça se remarque hors la trêve estivale), dans le défilé des candidats conseillers de la commission européenne, tous sortis du même moule et nourris à la même mamelle, tous nommés pour mener une politique en roue libre que plus personne ne contrôle, et qui ne rend de comptes à personne.

Regardez par curiosité la lettre de mission de Ursula Van Der Leyen a Kadri Simmon, la commissaire pour l’énergie, datant de 2019 (https://commissioners.ec.europa.eu ): on se demande si la lettre a été même seulement cachetée entre la chancellerie à Berlin et la commission à Bruxelles, tant la proximité de vues est évidente, et on se demande sur quels paillassons Madame Van der Leyen s’essuie les pieds, tant les réactions gouvernementales ont été absentes… Et, jusqu’à plus ample informé, une lettre de mission reste en vigueur tant qu’une autre ne l’a pas remplacée… On peut toujours bomber le torse, c’est la politique allemande qui est préconisée.

Mais revenons à nos “conseillers économiques pour la concurrence”.

C’est tout l’inverse du fou du roi qui avait pour fonction de dire au monarque, sous couvert de plaisanterie, des vérités, que sa cour lui aurait cachées. Ils disent, eux, sous couvert d’un sérieux pontifiant, bardés de diplômes académiques, les mêmes niaiseries qui aveuglent ceux qui nous gouvernent, parce qu’ils ont la même inexpérience de ce que peut être une industrie. Les fous du roi étaient transgressifs, les conseillers sont serviles, le costume du fou du roi est bigarré, le conseiller est couleur de caméléon…L’un risque la bastonnade à être trop franc, l’autre gagne sa prébende à être assez rampant. Les seules qualités requises pour le poste sont la souplesse de la colonne vertébrale, un talent marqué pour la dissimulation, une propension à ne dire au maître que ce qu’il croit déjà savoir, et une adéquation parfaite à l’idéologie dominante. Ce ne sont pas des fous du rois, ce sont des abbés de cour.

Mais a-t-on vraiment besoin des abbés de cour?

Et si on se passait de conseillers économiques, plutôt que de devoir, suite à leurs sages conseils, importer de l’acier, de l’aluminium, des terres rares, des composants électroniques, des molécules pharmaceutiques et demain des produits agricoles etc.??? Ces conseillers qui ne sortent d’un confortable anonymat que pour dire des inepties (comme le précèdent abbé en commandite de ce poste…) laissent le citoyen perplexe… N’est-ce pas précisément la définition biologique du parasite que de travailler exclusivement à sa propre reproduction ?

Et si, à supposer que la fonction soit utile, ce qui reste à prouver, on offrait à ces « conseillers » un voyage gratuit dans tous les sites industriels que leur géniales idées ont contribué à détruire au nom d’une mondialisation heureuse, dans l’idée qu’on pouvait créer de la richesse sans rien fabriquer? Et si on les occupait pendant quelques mois à rencontrer des gens? Vous savez, ces manants qui ne peuvent pas se payer un costard, qui travaillent, là-bas, loin de la rue de la Loi, et qui fabriquent des choses quand d’autres polissent des discours. Et si on se demandait enfin pourquoi son prédécesseur, resté si discret, avant de délirer par écrit à son départ, a pu prospérer au voisinage de celle qui voulait proposer (imposer?) une lobbyiste des GAFA? Et si on se demandait quelle confiance on peut faire à une personne ( M. Vestager) au jugement si sûr, pour choisir qui doit conseiller la politique de la concurrence? Et si on était devant un cas patent de clonage intellectuel sans limite? Quand les cellules se reproduisent sans contrôle, on appelle ça un cancer…


Et si on se demandait pourquoi le parlement, les états et les gouvernements ne réagissent que quand la trahison devient patente? Et si on se demandait si cette perte intégrale de responsabilité n’est pas précisément ce qui est en train de tuer l’Europe après l’avoir dépecée et vendue en morceaux , et avoir réussi le tour de force de la rendre impopulaire auprès des peuples? Quand se reproduit partout le phénomène, on appelle cela des métastases, et à ce stade, c’est souvent mortel pour l’organisme qui n’a pas été traité à temps…


[1] ( voir par exemple https://www.lecho.be/economie-politique/europe-economie/Pierre-Regibeau-l-ex-bras-droit-belge-de-Vestager-Si-l-industrie-lourde-europeenne-disparait-qu-il-en-soit-ainsi/10484583

[2] ( voir par exemple https://www.lefigaro.fr/conjoncture/qui-est-florian-ederer-l-ami-et-fidele-de-fiona-scott-morton-qui-brigue-sa-place-a-la-commission-europeenne-20230814?utm_source=app&utm_medium=sms&utm_campaign=fr.playsoft.lefigarov3 )

2 réflexions sur “Sur la nomination du conseiller économique à la concurrence: éloge du fou du roi, médiocrité de l’abbé de cour, et autres métastases du caméléon, Yves Bréchet*

  1. J’adore vos analyse M. Bréchet. J’aimerais posséder vos capacités d’analyse et votre esprit critique. Je me souviens très bien de votre audition à l’assemblée nationale sur le nucléaire. Un grand moment. Bravo. On a besoin de vous, continuez.

  2. Intéressant article posant certainement un vrai problème. Mais 2 remarques : pour un non initié qui ne connaît rien de la politique allemande je ne sais rien du fond du pb. Et les liens en note sont inexploitables quand on n’est pas abonné aux services correspondants.

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