Dans la nuit du 2 au 3 octobre 2020, il est tombé plus de 650 millions de tonnes d’eau sur les vallées maralpines. La Roya, la Tinée, la Vésubie et, dans une moindre mesure, l’Esteron ont subi un véritable cataclysme dont on se souvient encore.
*GÉRARD PIEL a été vice-président, communiste, du conseil régional PACA.
MICHEL MASSEGLIA anime des associations de la vallée de la Roya.
La tempête Alex a laissé derrière elle un paysage dévasté. Les pluies diluviennes et les crues brutales ont ravagé le haut pays des Alpes-Maritimes provoquant « la plus importante catastrophe depuis 1945, en France métropolitaine » : 10 morts, 8 disparus, 13 000 sinistrés, plus de 1 milliard d’euros de dégâts…
Le département subit de plus en plus souvent des catastrophes meurtrières. En quelques années, trois inondations majeures se sont succédé : octobre 2015 en zone littorale, 20 morts, 600 millions de dégâts ; 23 novembre 2019, la quasi-totalité du département est touchée ; Alex en octobre 2020.
Les inondations ne sont pas le seul fléau auquel doivent faire face les habitants des Alpes-Maritimes ; il y a aussi les risques climatiques, les incendies, les mouvements de terrain, les avalanches, les séismes, et même les tsunamis. Or, plutôt que d’inculquer une culture de la prévention, les élus (pratiquement tous de droite) préfèrent la culture du risque. Quand on privilégie depuis des années le développement débridé du bâtiment et d’un immobilier qui ne répondent pas aux besoins de la population mais à celui de toujours plus de profits, on ne s’embarrasse pas des règles les plus élémentaires de sécurité.

De fait, les localités des vallées sont devenues des cités dortoirs : là résident les salariés travaillant dans les grandes villes de la côte, où ils ne peuvent plus se loger. Comme les communes des Alpes-Maritimes ne respectent pas la loi SRU, les faibles revenus (80 % des ménages du département sont éligibles à un logement social) vont habiter de plus en plus loin de leur lieu de travail, y compris dans le Var et les Alpes-de-Haute-Provence. Dans la vallée de la Roya, raison de plus, un moyen de transport bénéficiait à ceux qui faisaient le choix d’y résider : le train !
LA CRUE CENTENNALE
La Roya serpente le long de la frontière avec l’Italie et elle est confortée par la Bévéra. Elle prend sa source au col de Tende et débouche dans la Méditerranée après avoir traversé la commune italienne de Vintimille. Long de 60 km, dont 20 en Italie, le fleuve est couplé à une liaison routière et à une ligne ferroviaire avec un embranchement vers Nice à Breil-sur-Roya.
Les localités des vallées sont devenues des cités-dortoirs : là résident les salariés travaillant dans les grandes villes de la côte, où ils ne peuvent plus se loger.
Avec la tempête, au-delà de la catastrophe humaine et matérielle, c’est aussi une catastrophe écologique : le lit majeur de la Roya a été mis à nu, toutes les espèces végétales et animales y ont disparu, près de 200 véhicules ont été emportés… autant de causes de pollutions du fleuve et de la mer. Sans compter que les six stations d’épuration ont été endommagées, certaines ne sont toujours pas fonctionnelles. La RD 6204, qui suit le cours de la Roya, est restée impraticable pendant de longs mois ; début novembre 2022, deux ponts ont été posés, mais les travaux sont loin d’être terminés. Tende, Breil-sur-Roya, Fontan, Saorge, La Brigue et leurs hameaux ont perdu des services publics, l’accès à l’eau potable, à l’électricité et aux télécommunications, ainsi que des équipements culturels et sportifs. La moitié des habitants de Tende ont quitté leur village, et nombreux sont ceux qui n’y retourneront pas.
Avec la tempête, au-delà de la catastrophe humaine et matérielle, c’est aussi une catastrophe écologique : le lit majeur de la Roya a été mis à nu, toutes les espèces végétales et animales y ont disparu.
Pour répondre aux besoins les plus élémentaires, il s’est agi tout d’abord de rétablir les réseaux : eau, électricité, téléphone et routes, voie ferrée.
LE TRAIN, LIGNE DE VIE
Ironie du sort, le train qui était voué à disparaître devient tout d’un coup la solution. Alors que durant dix-sept années et trois mandats de gauche à la région PACA, associés à des luttes des associations d’usagers et du syndicat CGT, avaient permis d’effacer des décennies d’indifférence des pouvoirs publics concernant cette ligne vouée à la fermeture, le retour de la droite faisait de nouveau peser la menace d’arrêt définitif de la ligne. Présent dès le début des opérations de secours, le train a assuré le ravitaillement des habitants : il a servi à l’acheminement de milliers de litres d’eau potable, de denrées alimentaires et de produits de première nécessité. Le haut de la vallée a retrouvé, sept mois après des travaux colossaux pour consolider la voie ferrée endommagée, sa « ligne de vie », qui n’a jamais autant mérité son nom. Le train a ainsi montré son incomparable utilité en temps de crise. À souligner que pendant douze mois la gratuité du transport a permis à tous les usagers, dont les volontaires qui venaient aider à la reconstruction, de pouvoir utiliser le train en toute sécurité. Bien sûr, il reste encore bien des choses à parfaire, comme le cadencement, qui est inadapté, et l’augmentation de la vitesse entre Tende et Breil-sur-Roya.
RÉTABLIR LES AXES ROUTIERS
La réfection du réseau routier privilégie la RD 6204, principale infrastructure routière d’accès à ce territoire, par le bas de la vallée pour terminer par le haut et le col de Tende, porte d’accès au Piémont et à l’Italie du Nord. Travaux complexes avec la finalisation du nouveau tunnel du col de Tende. Deux ouvrages d’art définitifs – Caïros (55 m) et Ambo (75 m) –, auxquels s’ajouteront le pont du Bourg-Neuf et ses 14 arches, à Tende, et sans doute par de la Ca’ au col de Tende dans les derniers hectomètres avant la frontière, symbolisent la reconstruction définitive de la vallée. Le col de Tende et son tunnel routier historique, datant de 1882, constituent la porte d’entrée du Piémont, au nord. Ce passage, qui relie le nord de l’Italie aux régions Ligurie (Italie) et PACA, a une importance économique et touristique considérable. Les travaux ont repris, avec une fin prévue pour 2025. Une solution plutôt précaire a été actée avec l’ouverture de la piste dite « des 50 lacets », celle-là même qui, avant 1882, permettait aux diligences d’atteindre l’Italie en passant par l’ancien col de Tende. Elle permet aussi de rejoindre Castérino (sauf l’hiver). La route d’accès au centre touristique de Castérino reste partiellement coupée après le lac des Mesces (ou Mesches), qui est à l’entrée de la vallée des Merveilles. À ce jour, 10 km ont pu être rétablis par le département entre Saint-Dalmas et les Mesces. De nombreux travaux de génie civil se poursuivent sur l’itinéraire. Une piste reste toutefois praticable par les seuls riverains qui, pour certains, n’ont jamais déserté ces lieux pour ainsi dire coupés du monde.
Et surtout ne pas relâcher cette pression si longtemps entretenue par les associations d’usagers et de défense du rail azuréen, ainsi que par les élus, en particulier communistes, qui n’ont jamais cessé d’être à leurs côtés. Rien n’est jamais acquis dans ce domaine. En tout cas, il convient de rendre hommage à ces citoyens qui n’ont jamais baissé les bras et qui ont joué un rôle essentiel dans la résilience de la population.
L’AÏGO ÈS D’OR ! : « L’EAU VAUT DE L’OR »
Depuis des décennies, la Roya fait partie du « château d’eau du littoral azuréen ». L’eau du fleuve, ainsi que celle de ses affluents français, a toujours répondu aux besoins en eau potable des grandes villes de la côte : Vintimille, Menton… et aussi de la principauté de Monaco.
Dans les grandes villes de la côte, la plus grande partie de l’eau du bassin-versant de la Roya était distribuée par Veolia.
La catastrophe a tout emporté sur son passage, de nombreuses sources ont tari ou baissé et ainsi réduit fortement le débit du fleuve et de ses affluents. C’est le moment où les élus (de droite) de la communauté d’agglomération de la Riviera française (CARF) ont décidé de modifier complètement la gestion et la distribution de l’eau dans les villages de la Roya.
Jusqu’à présent, beaucoup de villages distribuaient l’eau eux-mêmes et la facturaient selon un forfait dit « au robinet ». Chaque village avait sa méthode pour déterminer le montant que devaient payer les ménages ou les syndicats d’arrosants ; concernant les hameaux, ils disposaient de puits et de sources qui leur permettaient d’être autonomes. Mais, dans les grandes villes de la côte, la plus grande partie de l’eau du bassin-versant de la Roya était distribuée par Veolia. La CARF ayant confié la gestion de l’eau de toute la vallée à Veolia, ce changement drastique va générer une forte augmentation du prix de l’eau pour les habitants de la vallée et permettre à Veolia de mettre la main sur la ressource en eau.
Jusqu’à présent beaucoup de villages distribuaient l’eau eux-mêmes et la facturaient selon un forfait dit « au robinet ».
Ce changement n’est pas anodin, car la société privée pourra donner la préférence à ses propres priorités, ce qui pourrait occasionner des situations aberrantes. Un exemple : depuis le mois de janvier 2022, le département des Alpes-Maritimes est en alerte sécheresse, des restrictions plus ou moins sévères ont été décidées tout au long de l’année par le préfet ; dans la vallée de la Roya, en détresse hydrique, comme dans le reste du département. Ces restrictions ont été appliquées, et dans le même temps la principauté de Monaco, qui n’a jamais été en alerte sécheresse, a pu continuer de remplir les piscines, d’arroser les pelouses et les golfs avec l’eau potable de la Roya.
UN AUTRE DÉVELOPPEMENT POUR LA VALLÉE
Après les travaux les plus urgents, les stigmates de la tempête sont encore loin de disparaître. Les ravages sur l’environnement, mais aussi le désespoir de centaines de sinistrés, dont beaucoup ont tout perdu et se sentent abandonnés, ont plongé la vallée dans un marasme qu’il a fallu surmonter.
Rapidement, la solidarité s’est déployée, massive, jusqu’à la dernière période des collectifs de toute sorte agissaient dans la Roya. Les communistes, qui ont toujours été très présents dans la vallée, n’ont pas failli : en première ligne pour défendre le rail, ils ont également lancé une pétition pour une gestion publique de l’eau et de l’assainissement, et ils continuent d’être au plus près de la population, tout comme les compagnons d’Emmaüs et d’autres associations.
Pour ce qui est de la vallée de la Vésubie, le député de droite Éric Ciotti a choisi la reconstruction à l’identique, en privilégiant le tourisme avec un parc à loups, auquel il vient d’ajouter la création d’un stade d’eau vive sur les lieux même de la catastrophe, parc qui, s’il se réalise, obligera à pomper dans les nappes phréatiques déjà mises à mal.
À l’inverse, dans la Roya les sinistrés ont choisi d’élaborer collectivement les projets qui seront instruits et financés. Les transformations du paysage, les mobilités, l’accès aux soins, l’agriculture ainsi que l’animation culturelle sont leurs premiers axes d’interventions.
Pour l’heure, l’État, les collectivités et les opérateurs privés s’y sont engagés dans une reconstruction résiliente et durable. Avec une concertation qui associe l’ensemble des forces vives de la vallée, il s’agit de coconstruire à partir d’une vision commune un autre avenir. Mais, compte tenu des aléas du train et de l’eau, force est de constater que rien n’est gagné.
POUR ALLER PLUS LOIN
Lire la contribution d’un collectif d’habitants de la vallée dans l’ouvrage collectif l’Eau dans tous ses états, édité par Émile Communication, maison d’édition du Mouvement national de lutte pour l’environnement.
https://www.vermenagna-roya.eu/fr/patrimoine/centrale-hydroelectrique-de-piene-basse/
?