Propos d’un producteur de lait, Jean-Marc Thénoz*

Répondre aux préoccupations sanitaires et écologiques en tirant parti des avancées technologiques est le fil conducteur de ce témoignage, ce qui nous amène progressivement à découvrir que les conditions de travail sont un paramètre significatif dans le choix de spécialisation et de mécanisation.

*JEAN-MARC THÉNOZ est agriculteur.

Je me suis installé en 1990 dans l’exploitation familiale qui produisait du lait et des poulets de Bresse. Étant seul à travailler sur l’exploitation et passionné par la sélection des vaches de race monbéliarde, je n’ai pas poursuivi l’élevage de poulets de Bresse, très exigeant en main-d’œuvre. Mon père a fait appel à l’insémination artificielle depuis ses débuts, ce qui a permis d’avancer rapidement dans la sélection bovine. En 2014, mon fils a repris une exploitation voisine. Nous nous sommes associés et avons ainsi agrandi l’exploitation à 195 ha, ce qui nous a permis, avec 145 vaches laitières, de développer notre cheptel et notre activité laitière.

LE LAIT

La traite et le suivi de la qualité

En un siècle, les techniques ont beaucoup évolué. Mon père a tout connu : la traite manuelle, la traite au pot suspendu, la traite au pot à terre, la salle de traite lorsque je me suis installé, la traite robotisée lorsque mon fils s’est associé avec moi. Le choix de la robotisation s’est fait surtout pour avoir des horaires de travail plus souples. Lors des chantiers comme la fenaison, la moisson, l’ensilage…, le robot permet l’intervention d’une seule personne durant la traite, sans complications en cas de retard. De plus, il nous évite les gestes répétitifs de la traite tout en nous apportant une grande quantité d’informations : qualité du lait, santé de la vache, stade de la reproduction.

Traite dans une laiterie par un robot. La robotisation permet l’intervention d’une seule personne durant l’opération, sans complications en cas de retard. Le robot apporte une grande quantité d’informations : qualité du lait, santé de la vache, stade de la reproduction.

Nous suivons minutieusement ce qui se passe grâce à l’enregistrement de mesures automatiques du lait. Avant, nous avions une connaissance plutôt « physique » des vaches, basée principalement sur l’observation visuelle. Désormais, nous les connaissons différemment et mieux. En cas de problème de santé d’une vache, nous pouvons intervenir précocement. Par exemple, la température élevée du lait et une augmentation de sa conductivité nous informent d’une infection, qui est la plupart du temps une mammite (infection de la mamelle). Ainsi, nous pouvons engager le traitement de l’infection avant même les premiers signes cliniques. Lors de chaque ramassage du lait par le laitier, un échantillon est prélevé pour en contrôler la qualité.

Le bien-être animal

Lors de l’installation de mon fils, il a été décidé de construire un nouveau bâtiment. Sachant que la température de confort d’une vache est de – 5 à 10 °C et que les conditions climatiques ne cessent d’empirer (canicules), nos vaches sont élevées dans un bâtiment spacieux (larges couloirs de circulation), lumineux, bien aéré et ventilé (long pan ouvert et brasseur d’air), brumisation (humidification de l’air par de fines gouttelettes d’eau). Comme les humains, les vaches recherchent la fraîcheur.

Des cultures intermédiaires à vocation énergétique, des CIVE, sont également incorporées.

En pâturage, par temps chaud elles s’agglutinent sous les arbres, se couchent dans leurs déjections, se salissent, ce qui peut altérer la qualité du lait (bactéries…). L’amélioration du bien-être des vaches, séjournant en permanence dans notre nouveau bâtiment, a ainsi permis d’optimiser leur potentiel de production de lait.

L’alimentation

Les fourrages destinés à notre troupeau sont produits sur notre exploitation. Ce sont de l’herbe et du maïs ensilés – stockés en tas sous des bâches hermétiques sans oxygène, donc sans fermentation. On ajoute de la luzerne déshydratée, de la farine d’orge et de maïs ainsi qu’un aliment du commerce riche en protéines. Un complément minéral apporte du calcium, du magnésium, du phosphore et quelquefois des oligoéléments (sélénium…).

Je suis un adhérent d’une CUMA (coopérative d’utilisation de matériel agricole). Elle permet d’utiliser du matériel à la pointe de la technologie à des tarifs très corrects.

Des profils métaboliques (analyses de sang pour doser oligoéléments et vitamines) sont effectués par sondage. Lorsque des carences sont constatées, des compléments sont ajoutés à la ration, ce qui est très important pour assurer une bonne immunité à la vache afin qu’elle soit en bonne santé. Cela évite d’éventuels traitements antibiotiques. Notre travail de collecte de la nourriture a évolué. Au siècle dernier, la récolte mécanisée du foin s’effectuait par bottes de l’ordre d’une vingtaine de kilos à charger manuellement sur un char, travail pénible et exigeant d’être, de préférence, au moins quatre opérateurs pour s’affranchir au mieux des aléas météorologiques (risque de pluie). Maintenant, elle se réalise par des balles très lourdes, d’une compacité limitant l’inconvénient de la pluie et manipulables grâce à une grande fourche montée sur un tracteur. Le besoin de main-d’œuvre est moindre.

LES CULTURES

Lors du semis du colza est incorporée une faible quantité de semences d’une variété très précoce. Celle-ci fleurira très tôt au printemps et attirera les insectes ravageurs de la fleur, en laissant la variété principale du semis fleurir sans être inquiétée par les insectes. Ce principe permet d’éviter les traitements insecticides. Une solution analogue est disponible pour les variétés d’orge d’hiver, les rendant résistantes à la jaunisse nanisante et permettant de se passer d’un insecticide d’élimination des pucerons vecteurs de cette maladie.

Les doses d’azote apportées aux cultures sont ajustées grâce à des photos satellitaires. Cette modulation limite les doses, avec un impact fortement réduit sur l’environnement.

Une autre disposition permet de préserver l’environnement tout en nous permettant des économies : le prix des engrais a triplé début 2023. Les doses d’azote apportées aux cultures sont ajustées grâce à des photos satellitaires des parcelles de céréales. Des logiciels déterminent les quantités de biomasse et définissent les quantités d’engrais à épandre dans les différentes zones du champ. Cette modulation limite la dose, avec un impact fortement réduit sur l’environnement.

UNE NÉCESSAIRE ORGANISATION

La CUMA

Depuis mon installation, je suis un adhérent d’une CUMA (coopérative d’utilisation de matériel agricole) créée en 1947 et employant six salariés. Elle permet d’utiliser du matériel à la pointe de la technologie à des tarifs très corrects.

Quand des fermes se libèrent, ce sont souvent des investisseurs qui achètent, en arrêtant l’élevage et en mettant tout en cultures (suppression des prairies et des haies).

Les équipements sont variés, ceux de récolte (moissonneuse-batteuse, ensileuse, presses rondes et carrées), ceux pour le travail du sol et le semis (épandeurs à fumier, tonnes à lisier, mélangeuse automotrice…).

Le groupement d’employeurs

Vingt ans auparavant, beaucoup d’entre nous étions seuls à travailler sur nos exploitations. La création de notre groupement d’employeurs a une vocation de service de remplacement, grâce à l’embauche d’un jeune en CDI ; ses journées de travail sont réparties entre nos huit exploitations pour qu’il soit apte à faire le travail si l’un de nous a des problèmes de santé ou autres. C’est une assurance de continuité de notre activité.

La méthanisation

En 2018, face à la baisse des prix de vente de nos produits, nous nous sommes associés à six autres exploitations pour nous diversifier, en faisant construire une unité de méthanisation collective en injection. Elle traite nos effluents d’élevage – lisier et fumier –, ce qui limite les rejets de gaz à effet de serre à l’air libre. Des cultures intermédiaires à vocation énergétique, des CIVE, y sont également incorporées.

L’unité de méthanisation produit l’équivalent du gaz nécessaire à 600 foyers.

Elles s’insèrent entre deux cultures principales, en permettant de piéger les nitrates et de limiter l’érosion. Par exemple, du seigle est semé au mois d’octobre pour être récolté en mai avant d’implanter du maïs. L’unité de méthanisation produit l’équivalent du gaz nécessaire à 600 foyers.

LES PRÉOCCUPATIONS POUR L’AVENIR

Dans notre coopérative laitière, 40 % des adhérents ont plus de 57 ans. Leur remplacement par des jeunes agriculteurs est loin d’être assuré. La motivation pour produire du lait n’est plus là. L’élevage est très gourmand en main-d’œuvre et ne permet pas de se libérer pour un week-end ou des vacances. De plus, la rémunération n’est pas au rendez-vous. Quand des fermes se libèrent, ce sont souvent des investisseurs qui achètent, en arrêtant l’élevage et en mettant tout en cultures (suppression des prairies et des haies). Les jeunes susceptibles d’être candidats pour reprendre une ferme n’ont souvent pas les moyens financiers pour rivaliser. La taille des fermes céréalières possédées par des investisseurs va sans doute fortement augmenter.

La pression des normes et des clichés

Les médias multiplient les commentaires sur l’agriculture et l’élevage, avec des clichés éloignés en partie de la réalité que nous vivons. Notre profession est sujette à des critiques venant des habitants vivant à proximité et des milieux urbains. Elle subit l’accroissement des exigences venant des règlementations et des normes. Nous sommes bien conscients que l’agriculture et l’élevage doivent adopter des pratiques dites « raisonnées », mais nous sommes sous la pression d’une concurrence étrangère, pour laquelle la règlementation est moins contraignante. Cette situation crée parmi nous un malaise et le sentiment que tout le monde veut nous imposer des contraintes sans tenir compte ni de notre avis ni de notre expérience d’agriculteur.

Prix rémunérateurs et PAC

En subventionnant les agriculteurs en proportion du nombre d’hectares, la PAC favorise l’accroissement de la taille des fermes en superficie. Les éleveurs ont besoin du retour à des prix rémunérateurs, avec une garantie les protégeant des fluctuations des marchés. La vocation des coopératives était initialement de nous rassembler par type de production pour limiter l’impact du marché et être plus forts face aux distributeurs et aux entreprises agroalimentaires contrôlées par des financiers. Mais ma coopérative laitière a fini par tomber sous la coupe d’un grand groupe. Être adhérent d’une coopérative nous lie à elle dans un premier temps pour dix ans, puis nous pouvons en sortir tous les cinq ans en faisant les démarches dans les règles.

5 réflexions sur “Propos d’un producteur de lait, Jean-Marc Thénoz*

  1. bonjour
    il y a quelques années ,j’avais proposé à des sociétés d’engrais normandes et bretonnes de récupérer les lisiers pour les incorporer dans leurs productions d’engrais solides ou liquides .Sans réponse de leurs parts ,d’ailleurs.

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