Agriculture : quelle transition? Louis Mazuy*

*LOUIS MAZUY est membre du comité de rédaction de Progressistes.

La pratique agricole fait actuellement face à un paradoxe. D’un côté, elle reste fondamentale pour produire notre nourriture – ainsi que certaines matières premières destinées au textile et à d’autres industries – dans une situation où la population est de plus en plus sensibilisée à la qualité des produits, et où la transition des pratiques de cultures et d’élevage doit réussir pour ne pas épuiser la nature et pour préserver la biodiversité. D’un autre côté, le nombre d’agriculteurs s’est considérablement réduit en France, d’autant que l’installation de jeunes agriculteurs devient de plus en plus difficile; il en résulte que, par exemple, l’élevage dans l’Hexagone a décliné au point qu’il ne suffit pas à satisfaire les besoins nationaux. Les agriculteurs sont soumis à la logique de marché précarisant leur situation; aussi réclamentils des pouvoirs une véritable politique de régulation des prix de vente de leur production, sans avoir à subir des conditions qui ne tiennent pas compte de leurs avis ni de leur expérience.

La préoccupation et le fil conducteur du présent dossier ont été de soumettre au lecteur des réflexions singulières argumentées, évitant au mieux les biais idéologiques auxquels l’agriculture donne lieu. Ces biais peuvent se classer en deux catégories. La première relève du pragmatisme libéral, incapable de penser l’avenir de l’agriculture autrement que soumis à la logique du marché internationalisé; sous contrainte de cette logique l’agriculture, même raisonnée, ne saurait se conformer aux exigences écologiques, ce qui ne permettra pas d’arrêter à temps des dégradations durables du milieu naturel (l’eau, la qualité agronomique des sols, la biodiversité). La seconde se rattache au dogmatisme affirmant qu’il suffit de se conformer aux lois de la nature pour revenir à une agriculture écologique capable de nourrir toute la population, comme si la mécanisation qui a conduit depuis le XXe siècle à une mutation profonde des techniques agricoles était globalement à rejeter. Or les avancées scientifiques et technologiques sont des atouts majeurs pour le présent et l’avenir, pour autant qu’elles soient orientées dans le sens de l’intérêt général, donc sans être dévoyées.

Les articles du dossier ont été sélectionnés pour aborder plusieurs volets. Nous avons d’abord recherché des témoignages et des analyses provenant du milieu agricole. Ces contributions n’épuisent certes pas la problématique, mais sont représentatives du point de vue de ceux qui travaillent dans la filière, qu’ils soient exploitants d’une ferme ou salariés. Les solliciter a été un choix de principe, car les conditions de travail sont une dimension souvent absente dans les positionnements sur le devenir de l’agriculture. Elles sont un des paramètres expliquant le choix de spécialisations et de mécanisations que les agriculteurs ont fait et font, malgré les aléas et endettements qui peuvent en résulter.

Pour un deuxième volet, il a été fait appel à des analyses se référant à des textes de Marx et de Kaustky sur les mutations de l’agriculture liées au capitalisme. Ces contributions documentent une tendance d’actualité : l’accaparement des terres par des financiers ou par des groupes de la distribution, voire de l’industrie agroalimentaire, qui emploient des ouvriers agricoles. Conséquence de cela, l’agriculture familiale voit son avenir menacé; sa survie dépend pour une part des outils coopératifs, qui sont à préserver et/ou à rétablir dans leur finalité. Il serait instructif d’en débattre avec les organisations syndicales. La réflexion et des investigations sont à poursuivre afin de renouveler les positions de principe et de promouvoir des propositions concrètes. C’est un défi auquel le politique doit apporter des réponses. Dans cet esprit, notre dossier comporte un article d’élu argumenté sur les risques en agriculture et l’indemnisation des dégâts dus aux calamités. Un autre article traite d’une politique volontariste de soutien aux prix.

Un troisième volet traite de la transition écologique de l’agriculture, sans prétendre aborder les sujets de façon exhaustive. Une étude prospective de l’INRAE vient d’être publiée en vue de l’abandon des pesticides en Europe d’ici à 2050. Elle conclut que « la transition vers une agriculture sans pesticides chimiques nécessite un mix cohérent de politiques publiques européennes pour réduire l’usage des pesticides, soutenir la transition via une refonte de la politique agricole commune (PAC) et des instruments économiques mobilisables, et créer des marchés sans pesticides chimiques via des accords commerciaux ». Notre dossier publie la contribution de deux experts de l’INRAE sur la réassociation entre cultures et élevages au niveau territorial, qui souligne que la « nécessité agroécologique [est] sous contraintes socio-économiques ».

Ces travaux scientifiques et techniques posent la question d’un renouvellement des politiques agricoles. En complément, ce dossier comprend un article sur l’agriculture biologique et un autre sur le poulet de Bresse, mettant en évidence que des options, estampillées par principe conformes à la nécessité agroécologique, sont à appréhender avec les limites qu’elles comportent.

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