Grosse inquiétude pour les stations polaires françaises, Serge Vidal*

Présentes en Arctique comme en Antarctique, les six bases polaires françaises fonctionnent dans des conditions extrêmes. Face à l’augmentation des coûts et aux immenses enjeux scientifiques, les moyens déployés, financiers comme humains, ne sont pas à la hauteur. La recherche polaire a pourtant des enseignements indispensables à livrer, de la médecine à la climatologie.

*Serge Vidal est membre du comité de rédaction de Progressistes

UNE RECHERCHE INDISPENSABLE

Le projet de loi de finances initiale pour 2023 indiquait que la subvention versée à l’Institut Polaire Paul-Émile-Victor (IPEV) serait reconduite à l’identique par rapport à celle de 2022, qui était déjà insuffisante. Compte tenu de l’augmentation des coûts logistiques, un tel budget menaçait la poursuite de l’activité des stations polaires, essentielle pour la recherche sur le climat, l’environnement et la biodiversité. L’effectif, de 40 permanents et d’une centaine de personnes pour les campagnes d’été et les hivernages, n’est également pas à la hauteur des besoins.

L’IPEV est une agence de recherche publique française qui assure le fonctionnement des six bases polaires : Dumont d’Urville et Concordia en Antarctique ; Ny-Ålesund en Arctique ; Port-aux-Français, Alfred-Faure et Martin-de-Viviès sur les îles subantarctiques. L’Institut utilise deux navires pour desservir ces bases : le Marion-Dufresne et l’Astrolabe.

La contribution de la France aux sciences polaires est de tout premier plan dans un grand nombre de disciplines : écologie, écophysiologie, biomédecine, astrophysique, géophysique, météorologie, océanographie, paléoclimatologie, glaciologie, télédétection, sciences humaines et sociales…

L’influence des régions polaires sur le climat et les courants océaniques, leur isolement géographique et la présence des pôles magnétiques font de ces milieux des incontournables de la recherche d’aujourd’hui.

Aux pôles, les processus climatiques sont cruciaux. Ils mettent en jeu les interactions entre l’atmosphère, l’océan, la banquise et les calottes glaciaires. Les informations paléoclimatiques, le progrès des observations, la compréhension des processus polaires sont essentiels pour réduire les incertitudes sur les projections futures. Le puits naturel océanique de carbone et son évolution future sont en grande partie dépendants de la circulation océanique de l’océan Austral. L’influence des régions polaires sur le climat et les courants océaniques, leur isolement géographique et la présence des pôles magnétiques font de ces milieux des incontournables de la recherche d’aujourd’hui.

En hiver, la station franco-italienne Concordia affronte une température moyenne de – 63 °C.

Récemment, la France a apporté une contribution importante à l’élaboration de l’Atlas biogéographique de l’océan Austral, révélant l’importance de la biodiversité polaire : plus de 9 000 espèces antarctiques recensées à ce jour. Le potentiel génétique de la biodiversité polaire, notamment celle des grands fonds, reste mal connu. La question de l’adaptabilité de ces espèces à un environnement changeant demeure posée, qu’il s’agisse de l’évolution rapide du climat, des perturbations anthropiques ou de l’introduction d’espèces invasives et de polluants, parmi lesquels le plastique.

L’ABANDON DE LA RECHERCHE PUBLIQUE SE POURSUIT

Outre un faible financement récurrent, l’Institut doit désormais faire face à un gouffre financier dû à l’augmentation du prix du fioul ainsi que du fret maritime. Il a accumulé un déficit de 3,7 millions d’euros en 2022 pour un budget annuel de 16 millions d’euros.

Les moyens sont octroyés essentiellement sur des appels à projet, si bien que les chercheurs passent un quart de leur temps à faire de la recherche de budget.

Travailler dans les conditions extrêmes (– 55 °C en moyenne) qu’ils connaissent nécessite d’énormes moyens. Ainsi, pour éviter que le froid polaire ne détruise ses infrastructures, Concordia doit être chauffée toute l’année. « Pour produire un litre d’eau potable à Concordia, il faut un litre de fioul, et il faut un autre litre de fioul pour amener ce litre fioul à la station », résume Catherine Ritz. Plusieurs rapports ont pointé ces dernières années l’affaiblissement de l’Institut polaire face à ses homologues allemands (53 millions d’euros) et Australien (88 millions d’euros).

Le 10 octobre 2022, une centaine de chercheurs, parmi lesquels les climatologues Valérie Masson- Delmotte, Édouard Bard et Jean Jouzel, ainsi que Jérôme Chappellaz, ancien directeur de l’IPEV, signent une tribune dans le journal le Monde, pour alerter sur la reconduction de la subvention pour 2023 à l’identique de son montant pour 2022. « On est très inquiet : l’Institut polaire va droit dans le mur. On envisage même de fermer la station (franco-italienne) Concordia, à l’extrême limite. Et une fermeture, c’est irréversible », prévient Catherine Ritz, glaciologue et présidente du conseil d’administration de l’Institut, basé à Brest.

6 MILLIARDS D’EUROS PAR AN MANQUENT À LA RECHERCHE PUBLIQUE

La recherche publique craque comme tous les services publics dégradés volontairement depuis deux décennies (l’hôpital, la poste, les mairies…).

L’Institut doit désormais faire face à un gouffre financier dû à l’augmentation du prix du fioul ainsi que du fret maritime. Il a accumulé un déficit de 3,7 millions d’euros en 2022.

Grâce à la publication de la tribune mentionnée, des amendements ont été votés, notamment à l’initiative des députés de gauche, lors du débat budgétaire à l’Assemblée nationale pour une rallonge à l’IPEV en 2023. Toutefois, à ce stade du débat parlementaire, les amendements ne peuvent pas accroître la dépense publique, c’est-à-dire que cette rallonge de 3 millions d’euros (les premiers amendements issus de la majorité ne prévoyaient qu’une rallonge de 500 000 €) n’est qu’une aide exceptionnelle pour faire face à la hausse du coût de l’énergie, et elle se fait en ponctionnant un autre budget de la recherche. Depuis des années, la recherche publique souffre d’un sous-investissement de l’Etat. De fait, ces moyens sont octroyés essentiellement sur des appels à projet, qui ont une durée de quelques années. Si bien que les chercheurs passent un quart de leur temps à faire de la recherche de budget au détriment de la recherche dans leur domaine. La stratégie européenne, dite de Lisbonne, prévoyait en 2010 de porter en dix ans les dépenses de recherche à 3 % du PIB. En France, cet objectif n’a jamais été atteint. Le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, dans un avis voté en 2020, demandait l’affectation de moyens supplémentaires à hauteur de 6 milliards d’euros pour atteindre l’objectif de 1 % de PIB de dépenses publiques et aux entreprises d’augmenter leurs dépenses de recherche pour atteindre l’objectif de 2 % de PIB de dépenses privées.

Une réflexion sur “Grosse inquiétude pour les stations polaires françaises, Serge Vidal*

  1. La Constitution interdit en effet d’augmenter les dépenses budgétaires. sans prévoir une  » économie » compensatrice. C’est une nouvelle manifestation de notre « démocratie  » très encadrée dont l’intervention du flic Darmanin contre la LDH. Viard , climatologue, Pr au Collège de France, devrait pourtant peser son poids comme scientifique. Prenons garde face à cette ignorance ministérielle, qui poursuit la mise en place de l’Etat policier que construit ce sous produit de harki.

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