En grande surface, en magasin spécialisé, dans la restauration, de plus en plus de consommateurs s’orientent vers des produits labélisés bio, sur la base de critères assez divers. Or, outre le désormais familier AB, d’autres labels sollicitent les consommateurs, dont Demeter et Biodyvin, qui se réclament d’une agriculture biodynamique. Marginale mais en expansion, celle-ci prétend aller au-delà du bio par une approche holistique, prenant en compte les « rythmes cosmiques ». Que se cache derrière cette approche ? Cyril Gambari nous aide à distinguer les prétentions de ces labels de la réalité des produits.
Interview réalisé par Thomas Liechti, membre du comité de rédaction de Progressistes
Progressistes : Pour te présenter, peux-tu nous dire un mot de ton parcours et dans quel domaine tu travailles ?
Cyril Gambari : Je suis docteur en microbiologie. Après le bac, j’ai fait une licence en biologie cellulaire, un master en micro – biologie, biologie végétale et biotechnologie, puis une thèse en microbiologie. Aujourd’hui, je suis enseignant en biologie-écologie au lycée agricole Claude-Simon de Rivesaltes.
Progressistes : Depuis tes réseaux sociaux, ton blog[1] et dans tes interventions publiques, tu vulgarises le sujet de l’« agriculture biodynamique », ses principes et les polémiques qui l’entourent. Comment en es-tu venu à t’intéresser à ce sujet ?
C.G. : C’est par le biais de Grégoire Perra[2], ancien professeur dans les écoles Steiner-Waldorf et désormais lanceur d’alerte, que j’ai commencé à me renseigner sur l’agriculture biodynamique. Lors de son interview dans l’émission La Tronche en live[3] de la chaîne YouTube La Tronche en biais, Grégoire Perra présente l’anthroposophie, un mouvement « spirituel » fondé par l’occultiste allemand Rudolf Steiner – et dans lequel il a baigné la majorité de sa vie –, ainsi que ses ramifications dans les domaines de la pédagogie, de la santé et de l’agriculture, etc. Ce témoignage était tellement extraordinaire que j’ai décidé de me renseigner moi-même sur les fondements de l’agriculture anthroposophique, c’est-à-dire de la biodynamie.

Progressistes : Peux-tu résumer les grands principes de l’agriculture biodynamique ? Et qu’est-ce qui différencie cette agriculture de l’agriculture bio ?
C.G. : Les grands principes de l’agriculture biodynamique sont : penser la ferme comme un organisme autonome ; prendre en compte des cycles lunaires, cosmiques et du zodiaque ; utiliser des préparations biodynamiques. Ce sont en bref les trois piliers de l’agriculture bio – dynamiques énoncés par Rudolf Steiner en 1924.
Les biodynamistes prennent le cerf pour sa tendance à accumuler les forces astrales, via ses cornes, dans sa vessie.
Les agriculteurs en biodynamie, pour la plupart, tiennent compte dans leurs itinéraires de culture de la position de la Lune devant les constellations du zodiaque. Il en ressort des jours fruits, feuilles, racines et graines, des jours où il est interdit de travailler car jour de nœud lunaire, etc. Si l’idée de l’influence de la Lune sur les plantes a la vie dure chez les jardiniers et les agriculteurs, de nombreuses études montrent qu’il n’en est rien[4]. Certes la Lune a une influence sur les marées, c’est-à-dire sur des masses d’eau colossales, mais elle n’a pas d’influence ou alors une influence infinitésimale sur les petites masses d’eau. Soutenir que la Lune a une influence sur les plantes, c’est verser dans la pseudo-science. Je suis vraiment désolé pour tous ceux qui ont acheté un calendrier lunaire cette année.
Le cahier des charges de Demeter, la marque principale de la biodynamie, rend obligatoire l’utilisation des préparations biodynamiques. Elles viennent directement de 1924 et de Rudolf Steiner, elles n’ont pas bougé dans leur composition depuis cette époque.
Peu de monde connaît l’existence de ces préparations, elles sont pourtant la base de la biodynamie. Il existe huit préparations, numérotées P500 à P507. Si ceux qui s’intéressent un peu à la biodynamie connaissent la bouse de corne (de la bouse introduite dans une corne de vache), ce n’est pas le cas de la vessie de cerf fourrée d’achillée millefeuille, du crâne d’animal domestique fourré d’écorces de chêne ou encore des mésentères et autres intestins de bovins fourrés de fleurs diverses, car ils sont très peu médiatisés.
Ces préparations à épandre dans les champs ou destinées à arroser le tas de compost ont toutes une signification dans l’anthroposophie de Steiner. Ainsi pour la préparation P502 les biodynamistes prennent le cerf pour sa tendance à accumuler les forces astrales, via ses cornes, dans sa vessie. Selon Rudolf Steiner, le cerf est l’animal qui capte le plus ce qui provient de l’environnement de la Terre. Toujours selon Steiner, l’achillée, étant connue pour sa capacité à soigner les problèmes de reins ou de vessie qui proviennent d’un déséquilibre astral, va transmettre les forces de Vénus et réguler le processus potassium par l’intermédiaire du soufre. Ceux qui vont promouvoir la biodynamie aujourd’hui font toujours appel aux mêmes arguments : toutes les préparations ont ce genre de signification ; on ne peut vraiment les comprendre sans avoir lu Steiner et les avoir passées sous le prisme de l’anthroposophie.
L’agriculture biodynamique diffère de l’agriculture simplement biologique par tous ses principes ésotériques.
Il est à noter que le consommateur peut être trompé par des produits estampillés Demeter et affichant également le label Vegan[5] car, je le disais, toutes les préparations biodynamiques sont obligatoires pour prétendre au label Demeter.
L’agriculture biodynamique diffère de l’agriculture simplement biologique par tous ces principes ésotériques. Il faut aussi savoir que pour obtenir le label Demeter[6] l’agriculteur doit être en agriculture biologique depuis au moins quatre ans.
Progressistes : L’agriculture biodynamique se vante d’excellents résultats écologiques ainsi que d’effets positifs sur la santé du consommateur. D’après le site du label Demeter, elle a la prétention de « régénérer les écosystèmes en plein accord avec le vivant » et l’objectif de produire des « aliments nutritifs et avec le maximum de vitalité pour l’être humain ». Qu’en est-il concrètement ?
C.G. : Très concrètement, l’agriculture biodynamique offre les mêmes résultats que l’agriculture biologique[7]. Les bonnes pratiques paysannes – rotation des cultures, lâcher d’auxiliaires, enherbement, plantation de haies, etc. – qui sont utilisées à la fois en agriculture biologique et en agriculture biodynamique expliquent le peu de différences observé entre les deux.
La biodynamie c’est du bio plus de la pseudo-science. Les prétentions de Demeter ne s’appuient sur rien de solide, rien de concret. C’est ce qu’on pourrait appeler du marketing.
La très large majorité des études scientifiques comparant l’agriculture conventionnelle, l’agriculture biologique et l’agriculture biodynamique montrent des résultats similaires quant aux rendements, à la faune et à la microbiologie des sols, à l’incidence des maladies… et à la qualité nutritionnelle entre les produits des deux dernières. La biodynamie c’est du bio plus de la pseudo-science.
Les prétentions de Demeter ne s’appuient sur rien de solide, rien de concret. C’est ce qu’on pourrait appeler du marketing.
Progressistes : En France, l’agriculture biodynamique semble aujourd’hui se concentrer essentiellement sur la production de vin, ce qui semble d’ailleurs paradoxal au regard de l’objectif de produire des « aliments nutritifs et avec le maximum de vitalité pour l’être humain ». Qu’est-ce qui l’explique ?
C.G. : C’est extrêmement paradoxal, d’autant plus que, selon Rudolf Steiner, « L’alcool dispense l’homme d’une activité qui normalement émane de son moi. L’alcool imite le moi. Il accélère la circulation sanguine et les passions s’en trouvent stimulées. Le vin coupe l’homme de toute influence spirituelle car il introduit un contre-moi »[8].
Si la biodynamie n’est pas dangereuse, ce sont les idées qui la sous-tendent, dont notamment celles de l’anthroposophie, qui le sont.
Il faut bien comprendre que la biodynamie, en termes d’exploitation agricole mondiale, ne représente rien. En France, c’est 0,02 % de la surface agricole qui est concernée, et dans cet ensemble 0,4 % correspondent à des domaines viticoles et 0,03 % à d’autres parcelles (maraîchage notamment). À mon sens, il y a donc là encore une histoire de marketing. Qu’est-ce qui est mieux pour l’image de la biodynamie, vendre des choux-fleurs biodynamiques ou un excellent cru millésimé ?
Soutenir que la Lune a une influence sur les plantes, c’est verser dans la pseudo-science. Je suis vraiment désolé pour tous ceux qui ont acheté un calendrier lunaire cette année.
Les produits biodynamiques se vendent en moyenne plus cher que des produits simplement bio, pas étonnant donc que les grands noms de la viticulture commencent à s’y intéresser. Pas étonnant non plus que la biodynamie veuille récupérer de telles images de marque, et ce autant pour le prestige que pour la cotisation : l’adhésion à Biodyvin, le label de la biodynamie s’occupant uniquement du vin, coûte 150 €, s’y ajoutent une cotisation annuelle de 200 € ainsi que l’adhésion de 165 € à l’association Mouvement pour l’agriculture biodynamique (MABD). Pour les produits Demeter, la cotisation annuelle s’élève à 180 €, somme à laquelle il faut ajouter l’adhésion au MABD et un versement de 0,4 % du montant des ventes annuelles.

Progressistes : Si les produits issus de l’agriculture biodynamique ne sont pas dangereux et présentent des caractéristiques similaires aux produits issus de l’agriculture biologique et si sa pratique reste marginale chez les producteurs, en quoi pourrait-elle représenter un danger ou un problème ?
C.G. : C’est la question centrale lorsqu’on aborde la biodynamie. On considère souvent qu’elle ne peut faire de mal. Certes elle n’est pas dangereuse pour les sols ou les cultures, mais qu’en est-il des humains, des agriculteurs et de leurs familles, des restaurateurs, des cavistes et des consommateurs ?
On l’a dit, la biodynamie n’existe pas sans l’anthroposophie. Or il s’avère que la biodynamie, c’est l’organe agricole de l’anthroposophie et qu’elle véhicule et diffuse les idées de ce mouvement, par ailleurs considéré par la Miviludes (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) et par les associations de défense des familles et de l’individu comme dérive sectaire et pouvant notamment « entraîner de lourdes dérives auprès de populations vulnérables : les personnes malades et les mineurs » [9].
Les langues commencent à se délier, et des témoignages faisant ressortir un lien prégnant entre la biodynamie et l’anthroposophie au sein de parcelles agricoles peuvent faire froid dans le dos. La doctrine de l’anthroposophie est aussi dispensée aux jeunes en wwoofing[10], en quête d’alternatives et d’agriculture respectueuse de l’environnement, comme l’explique Jeanne Soradt, qui a baigné dans cette mouvance pendant deux ans[11]. La pensée de Steiner touche alors du bout des doigts des jeunes, hommes et femmes, cherchant des réponses. On peut retrouver trois de ces témoignages écrits sur les cahiers de recherche AgriGenre, du sociologue Valéry Rasplus ; ils sont également disponibles en vidéos : Être ou ne pas être en biodynamie, sur la chaîne You- Tube Skeptics in the Pub – Valais. Acheter un produit en biodynamie, c’est financer cette dérive sectaire. En effet, selon Ophélie Neiman, Demeter International finance à hauteur de 100000 € par an la Société anthroposophique universelle[12].

Si la biodynamie n’est pas dangereuse, ce sont les idées qui la sous-tendent, dont notamment celles de l’anthroposophie, qui le sont. Ainsi, dans le domaine de la médecine, selon l’anthroposophie, toute maladie découle d’une dette karmique causée par les erreurs et les péchés de vies antérieures ; il est donc impossible de se soigner avec la médecine moderne, mais des traitements anthroposophiques existent : par exemple, de l’extrait fermenté de gui soignerait le cancer. Évidemment les traitements de la médecine anthroposophique sont, comme les préparations biodynamiques, inutiles et non soutenus par la science.
Dans le domaine de la pédagogie, la plupart des élèves des écoles Steiner-Waldorf sont incapables de faire la différence entre la mythologie de l’anthroposophie et la vraie histoire. Là encore, les témoignages d’anciens élèves font peur.
On l’a dit, la biodynamie n’existe pas sans l’anthroposophie. Or il s’avère que la biodynamie, c’est l’organe agricole de l’anthroposophie et qu’elle véhicule et diffuse les idées de ce mouvement.
Au-delà, l’anthroposophie de Steiner prône une hiérarchisation des races, avec la race aryenne au sommet, vision pangermanique par excellence.
Quel pourcentage d’agriculteurs va baigner dans ce bouillon d’inculture dangereux et répandre à son tour ces idées-là ? Parce qu’il faut garder à l’esprit que des membres de la Société anthroposophique universelle sont responsables de formations au MABD. En définitive, oui, la biodynamie est dangereuse et problématique, mais pas dans le champ ou dans la serre : c’est dans la tête qu’elle va faire son office, via l’anthroposophie.
Progressistes : Quelles sont les raisons qui peuvent motiver aujourd’hui un producteur à choisir de passer sa production sous un modèle biodynamique ? L’adhésion aux considérations ésotériques de l’anthroposophie est-elle obligatoire chez les agriculteurs, vignerons, etc., qui travaillent sous ces labels ?
C.G. : On l’a vu, le marketing est, je pense, un argument majeur dans le choix de la biodynamie. Mais il faut aussi imaginer qu’il y a un manque flagrant de labels faisant mieux que le AB. De plus en plus, les agriculteurs – et les consommateurs – ont une méfiance vis-à-vis du bio. Ils veulent une démarche qui va au-delà, ils veulent du « plus bio que bio ». C’est là que la biodynamie intervient, dans ce nouvel espace inoccupé.
L’adhésion à toutes les considérations de Steiner et de l’anthroposophie semble secondaire, l’agriculteur peut facilement les ignorer. Mais dans tous les cas il fera les préparations biodynamiques obligatoires soit sans les comprendre, soit en les ignorant. Et surtout il participera toujours au financement de l’anthroposophie et des problèmes indiqués.
Ce que nous montrent les témoignages que j’ai évoqués, c’est que même en étant un laïcard convaincu, sans croire à toutes ces fadaises, on arrive quand même à mettre un pied dans l’occultisme de Steiner… et on s’aperçoit qu’on y baigne en fait complètement.
Progressistes : Comment agir pour limiter l’influence de la biodynamie chez les producteurs et distributeurs au-delà du simple comportement de consommation ?
C.G. : À mon sens, et c’est une réponse toute personnelle, cela passe par vulgariser sur tous les supports ce qu’est vraiment la biodynamie. Ses prétentions d’abord, et ce qu’en dit la science. Et puis tout simplement mettre des images sur des mots, ça marche bien. On a parlé des vessies de cerfs fourrées d’achillée millefeuille ou de crânes d’animaux domestiques… Allez voir directement sur le site de Demeter.
Quand je montre les préparations biodynamiques à des consommateurs, ils n’en croient pas leurs yeux, encore plus s’ils sont végans.
Quand je montre les préparations biodynamiques à des consommateurs, ils n’en croient pas leurs yeux, encore plus s’ils sont végans. Si de plus en plus de consommateurs font remonter les problèmes de la biodynamie vers les producteurs et distributeurs, c’est gagné. Il y a quand même du boulot !
Si un agriculteur en bio veut passer à la biodynamie, je l’invite à aller voir par exemple du côté de Patrick Baudouin, viticulteur en Anjou qui refuse catégoriquement la biodynamie[13]. Et ce n’est pas le seul, de nombreux agriculteurs commencent à s’élever contre la biodynamie.
[1] « Et la science derrière la biodynamie ? » (www.cyril-dgnr.com)
[2] Pour accéder au blog de G. Perra, www.veritesteiner.wordpress.com
[3] TenL#68 : « Les secrets de l’anthroposophie » (https://youtu.be/MA8reahSL0g).
[4] Voir à ce sujet Noëlle Dorion et Jacques Mouchotte, « Jardiner avec la lune : mythe ou réalité ? », Société nationale d’horticulture de France, 2012.
[5] 5. Le mode de vie végan, au-delà du seul aspect alimentaire, exclut toute consommation ou usage de produits d’origine animale ou issus de l’exploitation des animaux en général.
[6] Fiche technique 2022 « Stockage et matériel des préparations biodynamiques » (www.demeter.fr)
[7] Jean-Jacques Ingremeau, « Cultiver avec la Lune : superstition ou technique validée ? », Lato Sensu, SPS, no 330, oct. 2019, et Jacques Bolard, « Vin biodynamique, vin bio : quelle différence ? », Lato Sensu, SPS, no 326, oct. 2018.
[8] Rudolf Steiner, Alimentation et développement spirituel, Éditions anthroposophiques romandes, 2006.
[9] Rapport d’activité de la Miviludes sur l’année 2021, p. 72 (www.miviludes.interieur.gouv.fr).
[10] Terme dérivé de World Wild Oportunities on Organic Farms, nom d’un réseau crée à Londres en 1971 fondé sur l’échange : contre hébergement, nourriture et enseignement, assistance en maraîchage, jardinage…
[11] Le témoignage de Jeanne Soradt sur la mouvance anthroposophique est disponible en ligne (www.agrigenre.hypotheses.org).
[12] Ophélie Neiman, « Rudolf Steiner, le philosophe qui a fait germer la biodynamie », le Monde, sept. 2021.
[13] https://www.patrickbaudouin.com/LA-VIGNE-ET-LE-VIN-BIODYNAMIE.html?lang=fr
2 réflexions sur “La biodynamie : occultisme et dérive sectaire, Cyril Gambari*”