Mauvais contrôle de la réaction nucléaire, rupture de circuit, perte de refroidissement ou d’alimentation électrique… du fait d’une défaillance interne ou d’une agression externe, l’accident de centrale nucléaire est physiquement possible. Toute la démarche de sûreté, ses règles et ses anticipations, est conçue pour qu’il ne se produise pas. Les obligations de transparence et les contrôles sont là pour que le système ne dérive pas.
*Serge Vidal est ingénieur-chercheur EDF retraité.
Article paru dans le numéro 36 de progressistes (avril-mai-juin 2022)
Un accident nucléaire est toujours possible. Sa gravité, variable, est codifiée par une échelle médiatique internationale allant de 0 (événements d’exploitation) à 7 (accidents majeurs, tels ceux de Tchernobyl et de Fukushima). Cette échelle différencie anomalies, incidents et accidents, ce qui n’est pas toujours fait clairement par les médias.
UNE TACHE ORIGINELLE
Le contrôle des réactions nucléaires ayant été, historiquement, réalisé et conçu à des fins militaires – obtenir des destructions massives chez l’adversaire –, la confusion existe, et est entretenue, avec leur maîtrise pour produire de l’électricité alors que les risques sont de tout autre nature : ceux liés aux centrales nucléaires ne doivent pas être confondus avec la grande dangerosité des bombes.
Avec l’expérience et le recul que l’on a sur les accidents intervenus, on peut caractériser assez bien les dégâts causés et adapter les mesures de protection des populations.
D’un côté, l’effet d’une bombe est avant tout mécanique : larguée sur la tour Eiffel, elle engendrerait une boule de feu de 6 km de diamètre et brûlerait n’importe qui dans un rayon de 75 km ; dans le cadre d’un conflit, cela entraînerait probablement un embrasement mondial. Certains ont évoqué l’éventualité d’un hiver nucléaire avec une baisse globale de la température terrestre. Elle serait accompagnée d’une dégradation de la couche d’ozone, induisant une augmentation des rayonnements ultraviolets.
De l’autre, les conséquences d’un accident de centrale sont avant tout des rejets radioactifs, gazeux ou liquides, avec des dégâts matériels localisés sur l’installation. L’intensité et la durée des radiations radioactives dépendent de la matière émettrice. Avec l’expérience et le recul que l’on a sur les accidents survenus, on peut caractériser assez bien les dégâts causés et adapter les mesures de protection des populations.
DEUX POIDS DEUX MESURES
La disponibilité croissante de l’énergie bon marché est partie intégrante des progrès que nous avons observés au cours des derniers siècles. Cependant, toutes les sources d’énergie ont des effets négatifs qui diffèrent énormément par leur ampleur et qu’il faut continuellement tâcher de réduire.
La pollution de l’air, les combustibles fossiles et la combustion de biomasse (bois, fumier et charbon de bois) sont responsables de la plupart des décès provoqués par l’activité énergétique, et ce de façon récurrente.
Pour ce qui est des accidents, considérons ceux qui se sont produits et qui peuvent encore se produire dans l’extraction des combustibles (charbon, uranium, métaux rares, pétrole et gaz), dans le transport des matières premières et dans les infrastructures, lors de la construction des centrales électriques, et enfin lors de leur fonctionnement et de leur démantèlement. Cela dit, la pollution de l’air, les combustibles fossiles et la combustion de biomasse (bois, fumier et charbon de bois) sont responsables de la plupart des décès provoqués par l’activité énergétique, et ce de façon récurrente.
Dans le contexte de ces risques, les travailleurs sont les premières victimes des accidents potentiels. Il faut donc qu’ils disposent d’informations et de droits syndicaux et d’intervention étendus.
Si beaucoup se souviennent de Tchernobyl (26 avril 1986) ou de Fukushima (11 mars 2011), peu se rappellent la catastrophe de Bhopal. Pourtant, le 3 décembre 1984, dans cette ville de l’Inde la fuite de 40 t de gaz toxiques de l’usine de pesticides d’Union Carbide a fait près de 4 000 morts dans les trois premières semaines, et probablement au moins 8 000 dans les vingt années suivantes.
Le risque induit par la rupture d’un ou plusieurs barrages hydrauliques, par exemple, en cas de séisme est lui aussi accepté.
LES CONSÉQUENCES DE TCHERNOBYL
En 2002, les organisations internationales dépendant de l’ONU (OMS, PNUD, UNICEF, FAO, UNSCEAR, AIEA, BM) et les gouvernements russe, biélorusse et ukrainien ont publié un rapport établissant le bilan sanitaire de la catastrophe1. Dans les premiers jours après l’accident, 31 personnes sont mortes, dont 2 sous l’effet de l’explosion et 28 à la suite d’une exposition aiguë aux rayonnements. Dans les dix années suivantes, 14 autres sont décédées dans les mêmes conditions ; 134 personnes ont eu un syndrome d’irradiation aiguë.

Les experts internationaux ont estimé que les radiations pourraient causer jusqu’à 4 000 décès parmi les populations les plus exposées, à savoir les travailleurs intervenus en urgence et les résidents des zones les plus contaminées. Ce nombre comporte à la fois les décès par cancer et par leucémie radio-induits reconnus et une prédiction statistique fondée sur des estimations de doses de rayonnement reçues par ces populations. Comme en moyenne environ un quart des personnes meurent d’un cancer spontané non causé par les radiations, une augmentation radio-induite d’environ 3 % est difficile à observer. Cette estimation du nombre de décès est bien inférieure aux spéculations très médiatisées selon lesquelles l’exposition aux rayonnements aurait fait des dizaines de milliers de morts, voire, selon Greenpeace, jusqu’à un demi-million de personnes.
L’accident a également entraîné de nombreux cas de cancer de la thyroïde chez les enfants. Selon des estimations, on pourrait atteindre jusqu’à 8 000 cas dans les cinquante ans à venir. Cette maladie n’est généralement pas mortelle mais nécessite un traitement coûteux. Aucune association avec une maladie héréditaire chez les enfants des survivants n’a jusqu’à présent été détectée.
Les retombées radioactives de l’accident ont contaminé de vastes territoires en Russie (60 000 km2), en Biélorussie (45 000 km2) et en Ukraine (38 000 km2), affectant la vie rurale pour des décennies. La population de ces territoires compte environ 6 millions d’habitants ; 350 000 personnes ont été déplacées, leur réinstallation fut une expérience profondément traumatisante ; certaines ont été évacuées immédiatement après l’accident, d’autres ont été réinstallées quelques années plus tard. L’impact économique et politique a été énorme pour l’URSS, qui était déjà en difficulté. Résultat : un effondrement du niveau de vie et d’une grande partie de l’État-providence.
L’explosion de Tchernobyl a libéré l’équivalent de 30 % de la radioactivité du réacteur, une proportion énorme, jamais égalée. On a pu détecter des éléments radioactifs volatils artificiels tout autour du monde ; à ce sujet, il faut rappeler que les seuils de détection sont infinitésimaux. La position de la communauté scientifique, relative au fait qu’en dessous d’un certain seuil les effets sur la santé sont négligeables, a été contestée. Conséquences : la détresse pour des millions de personnes et une mauvaise affectation des ressources.
Qui n’a pas entendu en France que « le nuage s’est arrêté à la frontière » ? Construction médiatique caricaturale de la position officielle selon laquelle la situation ne justifiait pas, dans notre pays, de prendre des contre-mesures sanitaires. Des cartes du passage du nuage en France ont été régulièrement publiées.
La radioactivité du nuage de Tchernobyl sur la population française a été, en termes de dosage, de l’ordre de 0,1 mSv (millisievert) en moyenne, et la controverse la plus âpre ne revendique jamais plus de 0,2 mSv pour quelques zones très localisées. En règle générale, la dose annuelle absorbée du fait de la radioactivité ambiante est de 2 mSv. Le nuage radioactif de Tchernobyl n’est donc responsable d’aucun impact sanitaire mesurable sur la totalité du territoire français.
Une augmentation des cancers de la thyroïde a été observée chez les adultes en France, mais cette augmentation a commencé vers 1975, avant Tchernobyl donc, sans changement de tendance depuis l’accident. L’irradiation de la thyroïde de l’adulte ne donne pratiquement jamais de cancer. On trouve une croissance identique dans beaucoup d’autres pays, par exemple en Australie. Cette augmentation est sans rapport avec la contamination de notre territoire.
LES CONSÉQUENCES DE FUKUSHIMA DAIICHI
C’est un gigantesque tsunami qui a provoqué l’accident de Fukushima : quatre réacteurs de la centrale ont été endommagés. À ce jour, selon le gouvernement japonais, aucun décès n’a été attribué au syndrome d’irradiation aiguë ; et hormis six décès dus à des accidents de chantier, un seul décès à la suite d’un cancer du poumon dû aux radiations de Fukushima a été recensé.
Étant donné le faible niveau d’exposition, les effets sanitaires potentiels dus aux radiations seront certainement très faibles et difficilement discernables par des études épidémiologiques au sein des populations touchées, y compris chez les travailleurs2.

une raffinerie du groupe Japan Cosmo Oil a brûlé.
Le tsunami, consécutif à un séisme de niveau 8,9 sur l’échelle de Richter, a provoqué en tant que tel près de 20 000 morts. Des vagues ont atteint 14 m de hauteur. Environ 400 km de côte ont été dévastés sur une profondeur de plusieurs kilomètres. Plusieurs sites chimiques ont été gravement atteints. Des incendies et des rejets de produits toxiques ont été constatés autour de ces sites, dans l’eau comme dans l’atmosphère. À Chiba, non loin de Tokyo, une usine produisant entre autres du benzène, du toluène et du xylène a été ravagée par un incendie. Sur le même site, une raffinerie du groupe Japan Cosmo Oil a brûlé. Dans le port de Sendai, c’est une raffinerie contrôlée par JX Nippon Oil & Energy Corp. qui s’est consumée.
Encore aujourd’hui, dans certains médias, il n’est pas rare de voir attribuer, directement ou par des formulations floues, les conséquences du tsunami à la centrale nucléaire.
Environ 150 000 personnes ont été déplacées. Ces évacuations ont engendré une dégradation de l’état de santé des populations affectées par les changements de conditions de vie, le stress psychologique, la stigmatisation sociale, etc.
Une autre orientation des vents – par exemple en direction de Tokyo –, qui soufflaient vers la mer au moment de la catastrophe, aurait probablement aggravé les conséquences de l’accident. Cela reste évaluable. Heureusement, la centrale nucléaire d’Onagawa, aussi proche de l’épicentre du séisme que Daiichi, n’a pas subi de dégâts notables.
L’impact de cet événement a été avant tout économique et environnemental, essentiellement du fait de la contamination de l’eau de mer. Les responsabilités de la compagnie privée Tepco, qui n’a pas suffisamment anticipé la situation, ont été reconnues.
L’ÉTUDE DES ACCIDENTS CONTRIBUE À EN EMPÊCHER LA REPRODUCTION
Si la démarche de sûreté est totalement orientée pour éviter un accident qui pénaliserait aussi les exploitants nucléaires et sachant qu’une partie des dispositifs installés dans les centrales sont là pour en limiter les effets, l’étude des conséquences d’un accident potentiel est nécessaire. En la matière, la France dispose d’un plan de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur3.
Comme d’autres catastrophes, l’accident nucléaire majeur se caractérise par une probabilité infinitésimale et un dommage immense.
Les pressions productives, les privatisations, la dégradation du statut des travailleurs ainsi que la suffisance des dirigeants sont de nature à dégrader l’exploitation des centrales et à faire obstacle à l’amélioration des installations.
Une étude européenne de 1995 sur les effets externes des différentes énergies, dite Externe, évalue, dans son scénario le plus sombre, le coût d’un accident à 83 milliards d’euros (montant à actualiser). Un seul accident nucléaire avec dissémination massive de radioactivité en France annihilerait donc tout l’avantage économique de cette source d’énergie.
La probabilité d’accidents n’est pas constante dans le temps. La conception des réacteurs change au fil des décennies. Ceux d’aujourd’hui sont globalement plus sûrs que les réacteurs de première génération. De plus, avec le temps, les normes de sûreté sont mieux appliquées et plus sévères. Il ne reste pas moins que les pressions productives, les privatisations, la dégradation du statut des travailleurs ainsi que la suffisance des dirigeants sont de nature à dégrader l’exploitation des centrales et à faire obstacle à l’amélioration des installations. La vigilance doit donc être permanente.
1. https://www.who.int/news/item/05-09-2005-chernobyl-the-true-scale-of-the-accident
Une réflexion sur “Les conséquences d’un accident nucléaire, Serge Vidal*”