La problématique de l’indépendance énergétique de notre pays est ancienne et se pose encore crûment au regard des enjeux environnementaux, sanitaires et géopolitiques actuels. Pour ce qui est de l’énergie électronucléaire, la France dispose de réserves d’uranium qui garantissent pour plusieurs années son approvisionnement dans ce secteur.
*Marie-Claire Cailletaud est dirigeante CGT, responsable des questions industrielles.
Article paru dans le numéro 36 de progressistes (avril-mai-juin 2022)
UN PEU D’HISTOIRE
La France est pauvre en ressources fossiles, alors qu’elles sont historiquement le principal moyen de produire de l’énergie. De ce fait, elle a fait appel aux importations : premier importateur de charbon entre les deux guerres, le pays a eu également recours à l’importation de quantités croissantes d’hydrocarbures.
La reconstruction nationale après la Seconde Guerre mondiale s’appuiera fortement sur le charbon. La mobilisation des mineurs pour la production est décrétée en 1945 par le général de Gaulle et Maurice Thorez : ce sera la bataille du charbon pour contribuer au redressement économique du pays, pour lequel il fallait plus d’électricité. À cette époque la production d’électricité nationale est due essentiellement à des centrales thermiques fonctionnant au charbon et à des barrages hydrauliques dont s’est dotée la France. En 1960, 56 % de la production d’électricité proviennent de l’hydraulique – qui reste la première source renouvelable de production d’énergie en France.
Donc, au milieu du XXe siècle, les seules ressources nationales importantes dans ce domaine étaient la thermoélectricité et l’hydroélectricité. Cette situation a eu plusieurs conséquences. La dépendance énergétique de la France est de 75 % à la veille du premier choc pétrolier. Le pays a eu très tôt une politique d’« efficacité énergétique ». Rappelons la campagne « La chasse au gaspi », lancée en 1979, pour inciter les automobilistes à économiser le pétrole et plus tôt, en 1976, le slogan décrétant que, « en France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées ».
Mais la question de la dépendance énergétique, et donc de l’indépendance énergétique, s’est posée dès la Première Guerre mondiale (George Clemenceau est contraint de pousser un cri d’alarme auprès de ses alliés américains en 1917). Au cours du siècle, le lien entre maîtrise de l’énergie et puissance industrielle s’affirme, prenant même une dimension politique, comme l’illustrera la crise de Suez, en 1956. Et la naissance même de l’Europe s’est appuyée sur une alliance autour du charbon et de l’acier1 ; l’objectif alors affiché est bel et bien politique : empêcher une nouvelle guerre en unissant le charbon et l’acier, base de l’industrie de la France et de l’Allemagne.

Ces questions géostratégiques continueront de se poser, que ce soit pour les ressources fossiles ou pour les métaux, en particulier les terres rares nécessaires dans toutes les nouvelles technologies (batteries de voiture, d’ordinateurs, de téléphones ; cellules photovoltaïques ; aimants des éoliennes…) : « Le Moyen-Orient a le pétrole, nous avons les terres rares », déclarera Deng Xiaoping en 1992.
La question de la dépendance énergétique, et donc de l’indépendance énergétique, s’est posée dès la Première Guerre mondiale.
L’affaire de Suez, qui priva le pays de 90 % de ses approvisionnements énergétiques, conduisit à développer les recherches autour de l’atome civil pour s’affranchir de la dépendance au pétrole. Cela aboutit à la construction, de 55 réacteurs nucléaires entre 1974 et 1980. Ainsi, et avec la fermeture progressive des sites d’extraction de charbon2, la production d’électricité se fait essentiellement à partir de l’énergie nucléaire et hydraulique.
Un dernier marqueur de la politique énergétique française, et pas des moindres, est constitué par le rôle de l’État dans le domaine et par le fait qu’il y a eu, jusque dans les années 2010, un consensus entre les gouvernements successifs sur la place de l’énergie dans la politique du pays et la nécessité de diminuer la dépendance énergétique pour s’affranchir des aléas politiques : en 1928, avec la loi sur les hydrocarbures, la France créa une industrie de raffinage du meilleur niveau européen ainsi qu’une industrie parapétrolière qui devint la deuxième au niveau mondial ; en 1945 est mis en place le Commissariat à l’énergie atomique ; en 1946, c’est la nationalisation des Charbonnages de France et celle du secteur électrique et gazier avec la création des deux grandes entreprises publiques, EDF et GDF, qui regroupent la production, le transport et la distribution d’électricité et de gaz.
Si la politique gouvernementale a été très présente dans le secteur, il y a cependant eu rapidement des oppositions entre une vision libérale laissant faire le marché et une vision répondant plus à un État stratège à même de donner des perspectives à un secteur hautement capitalistique et qui nécessite des cycles longs. Le tournant engagé à la fin des années 1990 – et suivi depuis par tous les gouvernements – fait la part belle au marché et s’attache à démanteler et à privatiser les entreprises issues « de l’organisation industrielle et du consensus politique fort » de la seconde moitié du XXe siècle.
LA SITUATION ACTUELLE
Aujourd’hui, l’indépendance énergétique se pose encore plus crûment à l’aune des défis environnementaux posés à l’humanité, dont la production d’énergie est une des causes premières, et, plus récemment, de la crise sanitaire et de la crise géopolitique engendrée par la guerre menée par la Russie en Ukraine qui montre à l’Europe sa fragilité en ce domaine et sa très forte dépendance.
Par ailleurs, la crise de la covid a mis en évidence la très forte dépendance de la France en matière industrielle. Notre pays s’est dramatiquement désindustrialisé : en cinquante ans, la place de l’industrie dans le PIB a été divisée par 2 et plus de 2 millions d’emplois dans ce domaine ont été supprimés. En parallèle, notre balance commerciale est structurellement déficitaire et notre empreinte carbone est égale à 1,7 fois nos émissions de gaz à effet de serre. Dans ce contexte, la nécessité de réindustrialiser le pays ne semble plus faire débat. Cela va nécessiter des transformations profondes dans notre appareil productif, avec une économie plus circulaire et des circuits raccourcis. Pour ce faire, il faudra augmenter la part de l’électricité dans notre bouquet énergétique – une énergie bas carbone pour répondre aux défis climatiques, et non comme celle de l’Allemagne, qui fait redémarrer des centrales à lignite très polluantes. Ainsi la production nucléaire revient-elle sur le devant de la scène.
Aujourd’hui, l’indépendance énergétique se pose encore plus crûment à l’aune de deux éléments majeurs : les défis environnementaux posés à l’humanité, dont la production d’énergie est une des causes premières, et, plus récemment, la crise sanitaire et la crise géopolitique.
La nécessité d’acquérir une forte indépendance énergétique, centrale pour tous les domaines de la vie, pour l’industrie comme pour les citoyens (dans notre pays, 13 millions d’habitants souffrent de pauvreté énergétique), n’est plus questionnée. Bien entendu, indépendance ne signifie pas autarcie, et les secours existants via les interconnexions européennes doivent permettre de parer aux situations difficiles. Il est à noter cependant qu’aujourd’hui ces interconnexions sont développées pour répondre aux besoins du marché et de circulation des électrons plus qu’au besoin de secours, alors que cela conduit à des pertes plus importantes.

Par ailleurs, cette interdépendance complexifie le système avec les injections prioritaires d’énergies fatales (solaire, éolien…), qui par ailleurs produisent pratiquement dans les mêmes périodes, le foisonnement électrique étant très faible sur la plaque européenne, conduisant même par moments à des prix de marché négatifs.
POUR OU CONTRE LE NUCLÉAIRE
Les arguments pour développer la production nucléaire sont sources de nombreuses controverses. Le sujet de l’indépendance n’y échappe pas. Ainsi affirme-t-on çà et là que l’indépendance du nucléaire serait un mythe puisque nous ne produisons pas d’uranium. L’indépendance serait plus atteignable avec des énergies de flux.
L’uranium n’est certes plus produit en France – la dernière mine a fermé en 2001 – bien qu’il reste des réserves de cet élément dans notre sous-sol, mais dans des sites estimés non rentables. Aussi, ORANO (ex-Areva) extrait de l’uranium dans trois pays (Niger, Canada et Kazakhstan), lequel est converti et enrichi dans l’Hexagone, et produit aussi du MOx3 (usine Melox du Gard) avec lequel il alimente les centrales nucléaires à eau légère. La France réduit ses besoins en uranium naturel en recyclant ses combustibles usés : 10 % de l’électricité nucléaire française est produite à partir de matières recyclées (combustibles MOx). À ce titre, il est à signaler que les stocks dont dispose notre pays nous mettent à l’abri pour quelques années.
À court terme, EDF dispose d’un stock d’uranium en France correspondant à deux ans de production d’électricité ; en comparaison, les réserves d’hydrocarbures représentent moins de six mois de la consommation annuelle française. Enfin, la France dispose d’un stock stratégique d’uranium appauvri qui peut se substituer à tout moment à cinq années de consommation d’uranium naturel en utilisant les capacités modernes de conversion et d’enrichissement domestiques. À moyen terme, la France possède, au travers d’ORANO, un portefeuille de réserves en uranium représentant trente années de consommation. À long terme, les ressources connues en uranium représentent cent trente années de consommation mondiale, et jusqu’à deux cent cinquante si l’on inclut les ressources estimées.
PERSPECTIVES
Le prix de l’uranium intervient peu sur le prix final de production électrique, ce qui nous protège des aléas du marché. De plus, l’avenir de la filière nucléaire passe par les réacteurs de 4e génération, lesquels permettront une indépendance sur des millénaires.
À court terme, EDF dispose d’un stock d’uranium en France correspondant à deux ans de production d’électricité. À moyen terme, elle possède, au travers d’ORANO, un portefeuille de réserves en uranium représentant 30 ans de consommation.
Pour produire une même quantité d’électricité, le réacteur EPR consommera 7 à 15 % d’uranium en moins que les réacteurs de 2e génération. Et les réacteurs de 4e génération iront encore plus loin : ils réduiront pratiquement à néant l’éventuelle problématique d’une hypothétique dépendance à l’uranium ; ils seront capables d’éliminer pratiquement tous les déchets et ne nécessiteront pratiquement plus d’uranium. En effet, l’avantage de ce type de réacteur, c’est qu’il produit plus de combustible qu’il n’en consomme. Il ne nécessiterait que 1 à 2 t d’uranium naturel par an.
Environ 250 000 t d’uranium appauvri sont actuellement entreposées sur plusieurs sites en France. Avec les réacteurs de 4e génération, les stocks d’uranium appauvri disponibles, en combinaison avec les combustibles usés contenant du plutonium, permettront, à partir du siècle prochain, de s’affranchir totalement des mines d’uranium pendant des millénaires : on valorisera dès lors les 99 % de l’uranium extrait mis actuellement de côté.
Contrairement à d’autres matières premières – le pétrole par exemple –, la « Bourse » de l’uranium n’est pas très développée. La majorité des échanges se fait au travers de contrats à long terme, s’étalant parfois sur plus de dix ans, qui permettent une stabilité des prix. L’uranium ne représente qu’une faible part du coût complet de production de l’électricité d’origine nucléaire, de l’ordre de 5 %, ce qui nous met à l’abri des fluctuations de marché. De la sorte, si le prix de l’uranium montait, l’impact serait faible : à titre d’exemple, un doublement du prix de l’uranium se traduit par une augmentation d’environ 5 % du coût de production de l’électricité nucléaire. En revanche, quand le prix du gaz double, le coût de production de l’électricité produite par combustion de gaz augmente d’environ 60 %.
Enfin, concernant la possibilité d’avoir une réelle indépendance avec des énergies de flux, celles-ci ont besoin pour produire de l’électricité de matériaux ainsi que de métaux stratégiques et de terres rares qui ne sont pas produites sur le sol national.
1. C’est la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), créée en 1950.
2. Le 21 décembre 1990, le dernier puits en activité dans le nord de la France arrête sa production.
3. Le MOx (mixed oxide) désigne un combustible constitué d’un mélange d’oxydes de plutonium et d’uranium.
Et après la 2eme guerre, faute d’entreprises capables d’effectuer les travaux de terrassement des barrages, c’est EDF avec ses agents qui réalisaient les travaux…. Un service public à l’initiative…