Déchets radioactifs : comment préserver notre environnement et celui des générations futures ?

Déchets radioactifs : comment préserver notre environnement et celui des générations futures ?

Les déchets radioactifs sont au centre du débat sur l’énergie. Stockage en surface ? en profondeur ? retraitement ? transmutation ? ¨Présentation des grands traits techniques permettant de se situer dans ce débat…

Par Bernard Félix*

LES DÉCHETS FRANÇAIS ET LEUR STOCKAGE

Les déchets radioactifs produits par l’industrie électronucléaire et, secondairement, par la recherche, la défense, les hôpitaux, les laboratoires et l’industrie en général sont très diversifiés. Leur gestion finale est basée sur le principe d’une mise en stockage qui consiste à les confiner dans des ouvrages construits en surface ou en profondeur dans des formations géologiques stables et imperméables. Ces ouvrages ont une durée de vie qui doit garantir un isolement le temps de la décroissance radioactive des radionucléides contenus.

En 2020, les déchets radioactifs représentaient moins de 0,6 % de la masse totale de déchets traités en France, soit un cumul de 1 670 000 m3. Leur radioactivité est très variable : moins de 100 becquerels (Bq) par gramme pour les déchets de très faible activité (TFA) et plus de 108 Bq/g pour les déchets de haute activité (HA), si bien que 94,9 % de la radioactivité des déchets français est contenue dans 0,2 % de leur volume, essentiellement les colis HA des déchets ultimes du retraitement des combustibles usés.

Les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) représentent 60 % du volume total. Ils sont stockés au centre de l’Aube exploité par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Les colis FMA-VC sont empilés dans des ouvrages en béton. Après remplissage, une couverture sera mise en place, comme déjà expérimenté au centre de stockage de la Manche, fermé en 1996. Le centre sera surveillé pendant au moins trois cents ans, avec une réévaluation périodique de sa sûreté. À cette échéance, la radioactivité sera divisée par plus de 1 000 et le site, même banalisé, ne présentera plus de risque pour les populations.

Le centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage de l’Andra (CIRES) pour les déchets TFA, soit 31 % du volume total, présente des similitudes avec les stockages de déchets dangereux. Les alvéoles sont construites en tranchées dans un sol argileux recouvert d’une géomembrane étanche. Après remplissage, les alvéoles sont remblayées et munies d’une couverture étanche.

PARTICULARITÉS DES DÉCHETS DE HAUTE ACTIVITÉ EN FRANCE

À la différence des autres pays qui ont une industrie électronucléaire, la France valorise par recyclage 83 % des combustibles retirés des réacteurs des centrales nucléaires d’EDF. La figure 1 schématise l’état actuel du cycle du combustible.

Figure 1. – Cycle du combustible nucléaire des réacteurs électrogènes d’EDF (Les quantités correspondent à des tonnes par an.)

Grâce au retraitement à La Hague par Orano (anciennement Areva), l’uranium et le plutonium sont séparés des produits de fission, du neptunium, de l’américium et du curium qui sont intégrés dans un verre nucléaire coulé en conteneurs en acier inoxidable réfractaire. Les déchets ultimes du recyclage sont – outre ces colis HA – des coques et embouts compactés ainsi que les déchets de fonctionnement des usines de La Hague.

L’uranium de retraitement, plus riche que l’uranium naturel en isotope fissile (235U), est ré-enrichi pour fabriquer le combustible URE. Le plutonium est combiné à de l’uranium appauvri (issu de l’enrichissement de l’uranium naturel) pour constituer le combustible MOx. Les combustibles URE et MOx représentent 17 % du total des combustibles, et une économie équivalente en minerai d’uranium.

Le CEA a étudié le traitement poussé des combustibles, élargissant la séparation à l’américium. Il rendrait possible la transmutation partielle de ce dernier en l’incorporant dans les combustibles des réacteurs de génération IV, à neutrons rapides. Cette recherche est à l’arrêt par la décision du gouvernement d’arrêter le projet de réacteur ASTRID.

Les produits de fission, le neptunium et le curium ne pourraient pas être transmutés, cependant les colis HA de déchets vitrifiés auraient une puissance thermique et une radioactivité moindres. Globalement, la séparation-transmutation de l’américium permettrait de réduire l’emprise du stockage, mais son impact à long terme ne serait pas significativement modifié.

Production de matières radioactives valorisables (fond jaune) en amont du cycle (fond bleu foncé) par l’enrichissement de l’uranium naturel (fond bleu pâle) et de l’uranium de retraitement par Orano (usines du Tricastin).

Production de plutonium et d’uranium en aval du cycle par retraitement des combustibles usés (fond vert) et de déchets de haute activité vitrifiés (fond gris) par Orano (usines de La Hague).

Mise en entreposage de combustibles usés MOx et URE et d’une partie de l’uranium de retraitement actuellement non valorisés (fond beige).

Le recours à des réacteurs de génération IV consacrerait l’arrêt de l’extraction minière d’uranium, qui représente l’impact environnemental le plus important. Ils utiliseraient le plutonium et l’uranium de retraitement accumulés ainsi que ceux issus du retraitement des combustibles usés URE et MOx (en beige, figure 1), et surtout l’uranium appauvri (en jaune). Si l’abandon du projet ASTRID devenait définitif, ces matières radioactives devraient être considérées comme des déchets à vie longue (jaune) et de haute activité (beige).

Le stockage des déchets de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL) impose leur isolement de la biosphère pendant des dizaines de milliers d’années, ce dans une formation géologique profonde, conformément à la directive européenne du 19 juillet 2011.

Les colis de déchets vitrifiés et de combustibles usés considérés comme déchets sont exothermiques et devront être entreposés pendant plusieurs dizaines d’années pour amener leur puissance thermique à un niveau permettant leur stockage. Celui-ci commencerait dans la décennie 2070-2080, et de fait le stockage géologique ne sera dédié pendant une longue période qu’aux colis de déchets MA-VL.

LE PROJET CIGÉO

Cigéo est un projet de l’Andrade stockage géologique des déchets de haute et moyenne activité à vie longue, représenté sur la figure 2 ; il est implanté à environ 500 m de profondeur dans une couche d’argilite de 130 m d’épaisseur située entre Meuse et Haute-Marne. Cette couche, restée stable depuis des millions d’années, est suffisamment résistante pour y creuser des cavités, très imperméable et dépourvue de richesse naturelle.

Les déchets doivent être confinés sur une durée suffisante permettant la décroissance radioactive avant que les transferts, très lents en profondeur, atteignent la surface. Les doses reçues en surface resteront ainsi plusieurs ordres de grandeur en dessous de celles dues à la radioactivité naturelle.

Des alvéoles horizontales accueilleraient à 500 m de profondeur les colis de déchets durant plus d’un siècle, avec la possibilité de les retirer, le stockage devant être réversible. Des tranches seront construites pendant que d’autres seront remplies. Creusement et fermeture cohabiteront avec les opérations de stockage, impliquant une séparation stricte. À terme, il est prévu de fermer alvéoles, galeries, puits et descenderies suivant un plan décennal, concerté avec les parties prenantes. Cigéo s’étendra alors en profondeur sur 15 km². Sa mémoire devra être conservée au moins cinq cents ans.

Figure 2. – Installations souterraines du projet de stockage géologique Cigéo. Source : Andra.

Sur l’image, on peut visualiser les puits, verticaux, de desserte du chantier de construction ; en diagonale, les descenderies pour le transfert des colis de déchets ; et, à l’horizontale, les alvéoles de stockage à 500 m de profondeur.

En 2013 un débat public a conclu que Cigéo devait être développé par étapes, avec une première phase industrielle pilote de dix ans, pendant laquelle le stockage sera mis en œuvre à petite échelle et sa réversibilité démontrée.

La démocratie est indispensable pour accompagner les décisions sur Cigéo. Qui accepterait, sans se poser de question, d’accueillir dans son sous-sol des déchets radioactifs ? L’insertion de Cigéo dans le territoire tout comme sa gestion réversible ne sont possibles que si les préoccupations des habitants sont prises en compte.

Si l’enjeu financier est important (25 milliards d’euros répartis sur un siècle, ce qui ne représente que 1 à 2 % du coût de l’électricité), il ne peut être avancé comme un obstacle ni au dialogue nécessaire ni au choix des meilleures solutions. Les provisions financières nécessaires viendront grever le cours de l’action d’EDF, aujourd’hui société anonyme cotée en Bourse et placée sur un marché concurrentiel. Le récent projet Hercule prévoit d’isoler la production d’électricité nucléaire dans une entité séparée, donc fragilisée.

En 2021, l’Andra a déposé un dossier de déclaration d’utilité publique soumis à enquête publique, et en 2022 une demande d’autorisation de création sera instruite par l’Autorité de sûreté nucléaire.

À l’issue de ces instructions, la décision reviendra au Parlement et au gouvernement. Quel que soit l’avenir de la filière nucléaire, le stockage des déchets devra être assuré sur la très longue durée et dans le respect absolu des règles de sûreté. Il revient à la puissance publique de garantir la qualité technique et financière d’un tel projet ; elle devra confirmer qu’elle en garde la maîtrise.

En 2006, les élus communistes avaient qualifié d’« avancée » la loi de programme du 28 juin 2006 qui définit des conditions de création de Cigéo et qui pose le principe de sa réversibilité.

Stocker en profondeur les déchets dont on ne peut attendre ni réduction de la dangerosité ni valorisation est la solution la plus responsable. Elle permet de limiter la charge transférée aux générations futures. C’est dans ce sens que, en 2016, les groupes communistes au Sénat et à l’Assemblée nationale ont soutenu la loi sur la réversibilité, qui est la capacité, pour les générations à venir, soit de poursuivre la construction et l’exploitation des tranches successives du stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion.

*BERNARD FELIX est ingénieur-conseil, ancien ingénieur de recherche au CEA et à l’Andra.

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