GENERAL ELECTRIC : LE NÉCESSAIRE RETOUR D’UNE GESTION PUBLIQUE, Muriel Ternant*

*Muriel Ternant est professeure de physique-chimie, est secrétaire de la fédération PCF du Territoire de Belfort.

Dans une logique de bénéfices immédiats, depuis plusieurs années General Electric a cessé d’investir dans des projets de long terme. Le groupe suit la transition énergétique en cours en Europe : sous-investir dans le nucléaire pour investir dans l’éolien offshore. Ses choix désastreux conduisent à des suppressions d’emplois massives et à des pertes de compétences. Seule une gestion publique permettrait d’accompagner durablement la transition énergétique.

Le secrétaire national du PCF s’est rendu sur le site de GE de Belfort pour rencontrer et soutenir les représentants des salariés qui demandaient la tenue d’une table ronde sur la situation de la filière nucléaire et l’emploi. De gauche à droite : Muriel Ternant, secrétaire fédérale du PCF du Territoire de Belfort, Cyril Caritey, secrétaire du syndicat CGT de General Electric Energy Products France, Fabien Roussel, Marie-Claire Cailletaud, CGT Énergie et membre du CESE.

UN GROUPE EN RESTRUCTURATION

General Electric détient des compétences clés et des capacités de production importantes dans le secteur stratégique de l’électricité : éolien, turbines gaz et vapeur (nucléaire, centrales thermiques ou cycles combinés), turbines hydrauliques, convertisseurs, réseaux, maintenance, ingénierie… Au total, General Electric représente près d’un tiers du potentiel industriel pour la filière énergétique européenne.

Cette filière complète et cohérente de l’industrie de l’énergie est principalement héritée du rachat de la branche énergie d’Alstom, en 2015, dans des conditions si troubles qu’elles ont donné lieu à une commission d’enquête parlementaire diligentée par le député LR Olivier Marleix. Plusieurs instructions sont toujours encours, pour soupçon de pacte de corruption, détournement de fonds publics, prise illégale d’intérêt, optimisation et fraude fiscale.

Au cours de la dernière décennie, General Electric a dilapidé les richesses créées, dans des croissances externes et des dividendes injustifiés qui ont entraîné des pertes de revenus d’activité aggravées par la crise en cours,conduisant le groupe à exercer une pression maximale sur les salaires et les embauches, au freinage des investissements de recherche et développement et de formation de ses salariés. Au total, en dix ans 117,2 Md€ se sont envolés en dividendes et rachats d’actions.

General Electric est aujourd’hui engagé dans un jeu de restructurations incessant qui tend à isoler les différentes spécialités dans des entités étanches et à supprimer progressivement les emplois français et européens en délocalisant les activités de fabrication et d’ingénierie vers l’Asie.

Au-delà des logiques court-termistes liées à la recherche de cash immédiat sans investissement de moyen et de long terme, les choix stratégiques de General Electric dessinent une transition énergétique à l’œuvre en Europe : sous-investissement dans le nucléaire, investissement dans l’éolien offshore, disparition progressive en Europe des activités liées à l’énergie hydraulique, aux centrales à combustion, les centrales à charbon, aux réseaux de distribution de l’électricité…

UNE TRANSITION GÉNÉRATRICE DE PROBLÈMES

La liste des problèmes soulevés par la transition énergétique, avec l’impulsion de financements européens, n’en finit plus.

Pour commencer, cette transition conduit à des destructions d’emplois industriels hautement qualifiés et à la perte de compétences dans des technologies de pointe à très haute valeur ajoutée, ce que ne sont pas les éoliennes. Ensuite, les logiques de marché et les choix politiques européens d’une sortie progressive du nucléaire ne garantissent pas la satisfaction des besoins en électricité. L’augmentation de la facture d’électricité liée à la libéralisation du secteur et aux investissements importants réalisés dans le renouvelable conduit à une précarité énergétique grandissante. Les risques de coupure d’électricité deviennent réels. General Electric a annoncé la fin des activités de production des centrales à charbon au lendemain d’un été particulièrement sec où le manque d’eau pour les circuits de refroidissement des centrales nucléaires a conduit à la remise en route de centrales à charbon.

D’autre part, avec les délocalisations d’activité de production grandit le risque d’une perte de compétences indispensables à l’entretien et à la maintenance du parc actuel de production électrique français. L’emploi et les compétences clés d’un parc diversifié de production électrique sont en train de quitter la France. C’est le cas de l’activité de conception des alternateurs équipant les turbines hydrauliques, de la recherche et développement dans les centrales à gaz ainsi qu’une partie de leur fabrication, la conception et la fabrication des centrales à charbon, les disjoncteurs équipant les réseaux de distribution de l’électricité, la fabrication des ailettes équipant les turbines à vapeur… La liste des activités réalisées hors de France et même hors d’Europe s’allonge. Enfin, les résistances contre les plans de suppressions d’emplois butent sur l’absence d’un projet national pour la filière reposant sur le développement d’un mix énergétique.

UNE FILIÈRE AFFAIBLIE PAR DES CHOIX INCOHÉRENTS

Trois traits saillants de la transition énergétique qui est en train de se développer en Europe peuvent être relevés. Primo, le développement de fermes excentrées de très grande puissante utilisant les énergies renouvelables : parcs éolien off-shore, principalement en mer du Nord, champs photovoltaïques en Europe du Sud puis en Afrique. Deuxio, le développement de lignes de transmissions à très haute tension en courant continu pour relier ces fermes aux lieux de consommation, en diminuant les pertes d’énergie liées à la transmission par courant alternatif ; cette nouvelle distribution de sources excentrées reposant sur des énergies par nature intermittentes nécessite le développement de réseaux électriques denses et « intelligents ». Tertio, le choix de petites centrales d’appoint sur les sites de grande consommation (grands sites industriels énergivores, centres de données…) : centrales nucléaires, centrales à gaz de faible puissance. Sur le marché des équipements de la production d’électricité, General Electric perd des parts au profit de nouveaux acteurs, notamment asiatiques, alors que la position de Siemens est confortée. Le groupe paye les frais de sa stratégie purement financière conduisant à un sous-investissement chronique, une segmentation de la chaîne de valeur dans la recherche du moindre coût introduisant d’importants défauts de qualité, des retards, la perte de confiance des clients.

C’est donc toute la cohérence et la robustesse d’une filière industrielle stratégique qui est aujourd’hui enjeu : cohérence recherche-production-service, transversalité des compétences, notamment sur l’arbre mécanique qui équipe les différents types de centrales (hydraulique, à combustion, vapeur pour le charbon et le nucléaire), multi-activité pour être en mesure de faire face aux rebonds de marché.

L’ILLUSOIRE PERSPECTIVE D’UNE SOLUTION

Un article du Canard enchaîné daté du 14 octobre 2020 évoque des négociations autour du rachat de GEAST, qui ne concerne que l’implantation française des activités nucléaires de General Electric, sans les établissements suisses, polonais, indiens, chinois, où une grande partie de la fabrication des turbines est réalisée. Il s’agit donc de la possibilité du retour d’une partie des activités nucléaires dans le giron français. Une telle opération, qui nécessite l’accord de l’État, conduirait à la séparation de la fabrication de la turbine vapeur des autres turbines (hydraulique, à combustion) et affaiblirait l’activité de maintenance des centrales en la séparant d’une partie de la fabrication.

Le périmètre de ce rachat ne règle pas non plus le devenir des activités de production de centrales à charbon (dont la fin a été annoncée au cours du mois de septembre 2020), des compétences dans la fabrication des alternateurs équipant les centrales hydrauliques (plan de suppressions d’emplois dans l’entité Hydro de Belfort enclenché en septembre) et dans la fabrication des disjoncteurs haute tension pour les réseaux de distribution d’électricité (plan de suppressions d’emplois dans l’entité Grid de Villeurbanne et de Saint-Priest enclenché en septembre).

L’éventuel retour dans le giron français de l’emblématique turbine Arabelle équipant la moitié des centrales nucléaires du monde ne doit donc pas fonctionner comme une illusion qui laisserait partir le reste de la filière.

RETROUVER UNE GESTION COHÉRENTE

Il y a urgence à retrouver une maîtrise publique de l’ensemble des activités actuellement détenues par General Electric et à élaborer une stratégie industrielle pour la transition énergétique en France et en Europe de nature à répondre aux besoins d’une énergie bon marché et décarbonée. Le rachat des capacités de production dans le nucléaire doit être associé à un ensemble de décisions.

Tout d’abord, l’exigence d’un moratoire sur tous les plans de suppressions d’emploi à General Electric. Deuxièmement, des prises de participation publique immédiates dans toutes les entités de General Electric, avec comme perspective la nationalisation complète de sa branche énergie. En troisième lieu, une nouvelle logique d’investissements, d’emploi, de formation et de recherches dans les territoires, ce qui implique à la fois une nouvelle logique de financement, sortie des griffes du grand capital et reposant sur la mobilisation des leviers financiers (Banque publique d’investissement…) et du crédit bancaire, assortie de pouvoirs nouveaux dans les entreprises et dans les collectivités locales pour mettre en œuvre de nouveaux critères reposant non sur la rentabilité financière mais sur la recherche d’une réelle d’efficacité. Enfin, pour définir la transition sur laquelle doit reposer la stratégie publique pour la filière énergétique, il est nécessaire de prolonger les états généraux de l’énergie qui ont été organisés par le PCF.

Le gouvernement français a les leviers pour agir. Les établissements General Electric en France sont protégés parla loi, car ils relèvent du secteur stratégique de l’approvisionnement en énergie. Pour pouvoir racheter la branche énergie d’Alstom en 2015,la multinationale états-unienne s’était engagée devant Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, à main-tenir les activités et à les développer,sous peine de sanctions. Pourtant,aujourd’hui, l’État accompagne la stratégie de désengagement de General Electric.

Il y a urgence à mener une grande bataille politique et populaire autour de l’exigence d’une maîtrise publique d’une filière stratégique de la transition énergétique. C’est le sens de l’action du Parti communiste, qui s’engage dans la construction d’états généraux de l’énergie et poursuit en l’amplifiant sa campagne de signature de la carte-pétition « Pas d’électricité sans industrie, pas de choix citoyen sans maîtrise industrielle ».

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