George Monsonégo, disparition d’un homme de conviction, de science et d’action.

Physicien nucléaire de renom, ancien délégué régional à la recherche et à la technologie, militant communiste, George Monsonégo est décédé ce 28 mars à l’âge de 88 ans. Proche de Jean-Pierre Kahane, avec lequel il a contribué à lancer la revue Avancées, ancêtre de Progressistes, nous reproduisons ci-dessous un article paru dans les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) daté du 10 juin 2018 qui donne toute la dimension de ce grand homme au parcours impressionnant. Une vie qui traverse l’histoire récente, de la fin de la décolonisation jusqu’à nos jours. 

voir aussi l’article “Hommage à George Monsonégo, par Francis Wurtz et Hülliya Turan”

Du Maroc à Strasbourg – Georges Monsonégo Science, conscience et action

Par Michèle HERZBERG – 10 juin 2018

Retraité depuis 2002, Georges Monsonégo reste fidèle à lui- même. Homme de conviction, de science et d’action, ce professeur d’université a entre autres créé un laboratoire du CNRS en physique théorique à Cronenbourg (dont il a assuré la direction), et conçu et dirigé un grand centre de calcul intensif. 

Pendant sa carrière de professeur d’université, Georges Monsonégo a, avec la conception et la direction de ce grand centre de calcul intensif, permis l’implantation de chercheurs à Strasbourg, dans de nouveaux domaines nécessitant d’importants moyens de calcul, comme la chimie quantique ou la cartographie automatique. 

Georges Monsonégo a également été Délégué régional à la recherche et à la technologie, de 1981 à 1992, puis conseiller du ministre de l’Éducation et de la Recherche François Fillon et ses successeurs. C’est dans ce contexte qu’il a introduit, par le biais des contrats de plan État-Région, des structures et procédures novatrices au service des PMI, destinées à améliorer leur niveau technologique. 

« La fraternité, forme la plus chaleureuse de la solidarité » 

« Si les deux premiers termes de notre devise nationale, liberté et égalité, peuvent s’imposer par décret, ce n’est pas le cas du troisième, la fraternité, qui est la forme la plus chaleureuse et affective de la solidarité », lance-t-il volontiers. Avant de conter ses propres démarches pour aider des collègues victimes de la répression dans leur pays. Il cite l’exemple du responsable de la recherche brésilienne, Leite Lopès, savant de réputation internationale, qui « échappa de justesse à la junte ». Il raconte comment, avec l’appui de la communauté scientifique, ce chercheur fut « titularisé sur un poste de la fonction publique créé dans (son) laboratoire ». 

Né au Maroc 

Né en 1933 au Maroc où ses parents s’étaient installés après leur mariage à Paris, Georges Monsonégo garde un souvenir attendri de son enfance avec sa mère, institutrice mulhousienne, et son père, qu’il décrit comme « un peu anar ». Il se revoit, gamin d’une dizaine d’années, dans un commissariat avec son père, tous deux « encadrés par deux solides inspecteurs, et l’arrivée intempestive de ma mère qui obtint, en l’exigeant vigoureusement, notre retour à la maison. Tout cela parce que mon père m’avait emmené manifester contre un défilé de la milice pétainiste. Un fait anodin mais qui en novembre 1942 tombait sous le coup des lois de Pétain ». 

Son adolescence a baigné « dans le racisme méprisant de la population européenne à l’égard de la population « indigène », sans parler des multiples formes d’antisémitisme, aggravées par les lois de Vichy ». Il était plongé dans cette société coloniale « faite de violence et d’exclusion, qui allait à l’encontre de mes pratiques et des valeurs familiales ». 

En première, alors qu’il préparait la première partie d’un bac littéraire avec latin, il fit la connaissance d’Abraham Serfati, membre de la direction du parti communiste marocain « qui, quand celui-ci fut interdit, devint, après Mandela, le plus vieux prisonnier du monde ». Cette rencontre relève du hasard : « Il venait d’emménager au rez-de-chaussée d’un immeuble, à moins de cent mètres de chez moi ». La rencontre de l’adolescent avec le brillant centralien a sans doute été déterminante dans le choix de ses engagements futurs. 

Ayant réussi son bac littéraire, il se souvient en éclatant de rire qu’il annonça à ceux de sa classe qui avaient réussi qu’il opterait, lui, pour un deuxième bac, scientifique (mathelem), renonçant ainsi à la poursuite de la filière littéraire. « Le prix à payer a été le sacrifice de mes vacances d’été pour me mettre à niveau en mathématiques et en physique. » Il est encore étonné aujourd’hui d’avoir été reçu avec mention. Il commence alors à la rentrée 1951 « math sup » . Mais, « étouffant sous le poids de programmes vieillots », il part « par bateau en plein mois de décembre à l’université de Bordeaux », où il est reçu au certificat « mathématiques générales ». 

« Je militais beaucoup » 

Il milite énormément et adhère au Parti communiste français en 1952. L’année 1955, il prépare le certificat de physique générale. C’est aussi une année politiquement riche et combative « avec les luttes intenses victorieuses contre le projet de création d’une communauté européenne de Défense ». L’examen arrive. « L’épreuve principale, raconte-t-il, consistait en un problème. Cette année-là il portait sur des circuits électriques alambiqués. » Matière qu’il n’avait pas travaillée, « étant uniquement séduit par le caractère très abstrait de la thermodynamique ». Plutôt que de rendre une feuille blanche, il utilise ses compétences en thermodynamique pour fournir quelques chiffres dans sa copie. « Mais je pensais qu’ils n’avaient rien à voir avec les vraies réponses », s’amuse-t-il. Aussi est-il très surpris quand, quelques jours plus tard, sa logeuse vient lui dire qu’un monsieur le demande. « C’était le professeur qui avait posé ce problème d’examen. Il venait me féliciter de mes réponses, qui étaient justes mais obtenues d’une manière originale, à laquelle il n’avait pas pensé. Il me proposait d’entrer dans son labo pour y préparer une thèse ». 

C’est sans doute ce qui a incité Georges Monsonégo à faire de la recherche. Mais c’est la physique nucléaire théorique qu’il choisit. 

Quand il évoque sa période bordelaise, on y sent de la nostalgie, le souvenir d’une période heureuse. Il réussit ses études. Il vit la phase de la décolonisation aux premières loges puisqu’il préside un comité anticolonialiste regroupant des représentants d’une quinzaine de pays. Mais surtout, c’est là qu’il rencontre la femme de sa vie, Simone, étudiante en linguistique, qu’il épouse le 18 juin 1955 (et avec laquelle il aura la chance de partager 62 ans de vie commune). Leur fille Hélène naît le 27 décembre à Talence, près de Bordeaux (leur fils Pierre naîtra le 14 octobre 1962 à Strasbourg). 

Son recrutement au CNRS en 1958 marque la fin de la période bordelaise. Son laboratoire est à Orsay, dirigé par Joliot-Curie (Prix Nobel). Georges Monsonégo engage alors une course contre la montre. Nous sommes en effet en pleine guerre d’Algérie et pour lui, il est vital de soutenir sa thèse avant la date d’expiration de son sursis (mars 1960). Pari gagné , sa thèse est remarquée par le prix Nobel Niels Bohr, qui l’invite à passer trois mois renouvelables dans son célèbre institut de Copenhague. Cela sera reporté car il lui faut rejoindre Montluçon, pour un service militaire de 28 mois. Deux mois plus tard, à cause de ses convictions politiques, il est muté à Vincennes dans « une compagnie semi-disciplinaire comprenant de jeunes bergers kabyles enlevés par l’armée française, et qui n’avaient pas de permission de sortie, ainsi que des jeunes détenus de droit commun ». Les services de sécurité du fort de Vincennes ont pour secrétaire un jeune, pupille de la nation, qui prépare le concours d’entrée des Arts et Métiers. À sa demande, Georges Monsonégo l’aide « à préparer le concours » tandis que ce jeune appelé obtient qu’il « organise des cours de français ». Cette fonction de « maître » lui permet « d’obtenir une permission de sortie par semaine pour ces Algériens ». 

Il se souvient aussi de la tentative de putsch du 21 avril 1961. 

Cet épisode marque la fin de son séjour sous l’uniforme en métropole, au bout de 14 mois. Le gouvernement l’envoie participer à la « pacification ». Il part avec un handicap, « un dossier de la sécurité militaire avec copie aux services de sécurité de la région militaire dont je dépendrai en Algérie ». Mais il a aussi quelques atouts : « Mon élève des services de sécurité de Vincennes m’avait affecté dans une unité non combattante, l’aviation légère de l’Armée de terre (ALAT), à Alger, parce qu’il y avait un Institut de Recherche Nucléaire dont je connaissais bien le directeur pour avoir siégé avec lui dans une commission au CNRS. » 

Coups de chance en cascade 

Dès son arrivée à Alger en mai 1961, après le putsch raté, une cascade de hasards heureux se succèdent : « C’est un sergent « pied noir », responsable aux effectifs de mon régiment d’affectation, qui s’est occupé de mon enregistrement. Voyant mon lieu de naissance, il a cru que la lourde enveloppe émanant de la sécurité militaire de Vincennes concernait des activités de soutien au putsch et, sans l’ouvrir, il l’a jetée. » Et les coups de chance continuent. « Huit jours plus tard, j’ai rencontré sur la plage un jeune couple dont la blancheur de peau indiquait qu’ils venaient d’arriver. J’ai été abasourdi quand l’homme a précisé qu’il était affecté à la réception du courrier à la sécurité militaire d’Alger. Après bien des hésitations, je lui ai parlé de mon cas et il m’a assuré que mon dossier serait un non-dossier pour la sécurité militaire d’Alger. Un mois plus tard, il m’a apporté ce fameux dossier qui relatait tous mes faits et gestes depuis mon arrivée à Bordeaux, nous l’avons brûlé solennellement au-dessus de mon lavabo. » 

La chance ne le quitte pas. « J’apprends que le colonel du régiment et le directeur du centre de recherche sont voisins, se fréquentent, et tout s’arrange. Je suis affecté à une antenne des ALAT en plein Alger, qui gère le parc des hélicoptères avec pour seule obligation d’y être présent une après-midi par semaine, l’essentiel de mon temps étant dévolu à la recherche .»

Et voilà que, malgré toutes les objections de son mari (« Alger était une ville très dangereuse avec une moyenne de 80 explosions de tout bord par jour »), Simone lui annonce son arrivée par bateau « avec Hélène qui avait alors 5 ans et demi, et une quatre chevaux dont l’immatriculation métropolitaine se terminant par JJ75 allait nous être très utile ». On est fin mai 1961, dans une ville « truffée de barrages composés soit par les soldats du contingent soit par des milices locales, sans compter les quartiers interdits aux Européens ». Georges Monsonégo reste encore aujourd’hui étonné de leur grande mobilité, « en jouant selon la nature des barrages sur ma carte d’identité civile ou militaire ». Il faut régler une série de problèmes de la vie quotidienne. « Simone fait un aller-retour pour confier Hélène à sa grand-mère et postule pour un poste d’auxiliaire au lycée de jeunes filles d’Alger car je n’avais qu’un « salaire » de 30 centimes par jour. Nous nous sommes logés dans une cité universitaire quasiment vide. » 

Au début de l’année 1962 arrive à Alger, où « aux explosions et tueries se mêlent désormais des concerts de casseroles, un représentant de la faculté des sciences de Strasbourg qui me propose un poste d’enseignant-chercheur. C’est ainsi que je suis arrivé ici malgré une autre proposition de la faculté des sciences de Bordeaux ». 

Ayant choisi Strasbourg, c’est là qu’il retourne à la vie civile et commence une nouvelle vie professionnelle. « À la demande du CNRS et en particulier d’Hubert Curien qui deviendra ministre de la Recherche et de la technologie, je suis chargé de la création d’un centre de recherche en physique théorique, et d’en assurer la direction, pour renforcer le centre nucléaire de Cronenbourg ». Tout cela ne présenta aucune difficulté de réalisation. « Par contre, la réalisation du deuxième projet fut beaucoup plus difficile. La première difficulté était le plan de calcul national interministériel, dont le rôle était d’imposer le matériel français Bull, inadapté (manque de puissance et pauvreté de logiciels). Il fallait en fait pour Strasbourg un centre de calcul intensif pour les besoins locaux, mais aussi pour permettre le développement de domaines comme la chimie quantique, la géographie, le centre de données stellaires. Strasbourg put enfin s’équiper d’un ordinateur ayant la puissance maximale pour l’époque. La deuxième difficulté était de mettre cet outil au service des chercheurs, 24h sur 24, comme pour les accélérateurs de particules. Ce problème fut brillamment réglé par le Conseil d’État en restant dans le cadre de la fonction publique, contrairement à ce qui se fait aujourd’hui. »

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