Islamo-gauchisme, de l’accusation politique au débat scientifique, Clément Arambourou

L’actualité autour des déclarations de Frederique Vidal ont fait réagir la communauté scientifique et ont provoqué l’indignation. Au delà de ces réactions, est il possible d’ouvrir le débat scientifique sur certains énoncés issus de certaines recherches en sociologie ?

Clément Arambourou est enseignant de SES

En accusant les universitaires d’islamo-gauchisme, Frédérique Vidal lance une attaque contre le corps professionnel dont elle doit être la porte-parole. Elle se place ainsi dans une situation particulièrement délicate. 

Par cette accusation, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche pointe du doigt certaines dérives militantes qu’elle juge opposées à la science.

Les universitaires ont logiquement réagi. Certains l’on fait en mettant en avant l’origine de la notion d’islamo-gauchisme qu’ils attribuent aux franges les plus brunes du spectre intellectuel. D’autres ont souligné l’absence de fondements scientifiques de cette notion. 

Néanmoins, il n’est pas certain que renvoyer les accusations à l’accusateur – ici celles en politisations et en manque de scientificité – soit le meilleur moyen de se disculper ; c’est celui qui dit qui l’est lancent les enfants dans la cour de récréation, or, on attend ici un débat s’élevant au-dessus du niveau des bacs à sable. Surtout, en procédant ainsi, la communauté universitaire esquive la question épistémologique : quelle est la réelle valeur scientifique des énoncés incriminés par la ministre ?

Tout d’abord, les spécialistes de sciences sociales pourraient rappeler la position du sociologue allemand Max Weber qui, au début du vingtième siècle, entendait souligner les conditions de possibilité d’une alliance entre vision idéologique et travail scientifique. Même un juriste anarchiste peut apporter sa pierre à l’édifice de la connaissance expliquait-il, non pas malgré ses convictions anarchistes mais grâce à elle, mais seulement à la condition qu’il soumette ses intuitions particulières à la démarche de sa discipline. En ce sens, et par exemple, les plus grands économistes d’Adam Smith à Thomas Piketty en passant par Karl Marx ont su mettre leurs appréciations du capitalisme au service de la connaissance scientifique. 

Ensuite, ces spécialistes pourraient affirmer que la valeur scientifique des énoncés dépend du respect des règles de la méthode sociologique pour citer le fondateur de la sociologie française qu’est Émile Durkheim. Les universitaires incriminés exposeraient alors leurs démarches scientifiques. 

Il serait tout d’abord possible de parler de la logique de certains concepts. Est-ce que la notion d’islamophobie qui tend à amalgamer différents rejets – des étrangers, des musulmans, de l’islam, des religions – est vraiment plus sérieuse que la notion fourre-tout d’islamo-gauchisme ? Peut-être, mais les éléments allant en ce sens manquent grandement dans le débat public actuel. 

Il serait ensuite possible de parler de l’utilité de ces concepts. Ainsi, il ne suffit pas de laisser planer le soupçon – celui de la question rhétorique aveugle à la race ou aveugle au racisme ? – pour montrer les apports du concept de race au sens sociologique du terme. Il faut montrer qu’il permet de poser des questions nouvelles et de faire des distinctions plus pertinentes que, par exemple, la notion d’ethnie mobilisée dans la tradition ethnologique. 

Il serait encore possible d’évaluer les usages réels de ces concepts polémiques. La notion de privilège blanc est-elle employée non pas dans des revues d’Humanités ou de Studies mais dans les revues de sciences sociales que, par exemple, les sociologues français lisent et utilisent ?

La facilité ou la difficulté à apporter des réponses positives à ces questions précises permettrait de clore au moins provisoirement un débat qui, du fait d’un jeu d’associés-rivaux entre des détracteurs et leurs contempteurs, pollue à la fois les institutions scientifiques et l’espace politique. 

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