La 5G suscite des débats sur ses risques écologiques, sociétaux et sanitaires. Pourtant, au-delà des réticences et des avantages, cette nouvelle technologie est porteuse de progrès. Si elle soulève des interrogations, comme c’est souvent lors de l’apparition d’une nouvelle technologie, rien ne permet pour le moment de l’inculper de réels dangers.
*Yann Le Pollotec est ingénieur.
L’ARRIVÉE D’UNE NOUVELLE TECHNOLOGIE : UN ENJEU SYSTÉMATIQUE DE DÉBAT
À l’heure d’aujourd’hui, il existe une certaine hystérisation autour de la 5G. Elle est présentée tantôt comme la révolution technologique incontournable qu’il ne faudrait absolument pas manquer, tantôt comme un danger apocalyptique pour notre santé, nos libertés, la planète. Or il en va des révolutions technologiques comme des révolutions politiques : elles sont imprévisibles, elles ont des causes multifactorielles. Et surtout une révolution est imprédictible. Une nouvelle technologie peut ne pas apporter la révolution attendue, quand une autre va impacter la société bien plus profondément que ce qui était prédit. Il y a quelques années, on prédisait qu’en 2020 seraient disponibles 50 milliards d’objets connectés ; or en 2019 il n’y en avait que 7,6 milliards. De même, la blockchain devait révolutionner le monde de la finance et tuer les banques. Si aujourd’hui elle impacte le système bancaire et monétaire, on est très loin d’une révolution. Lorsque Graham Bell inventa le téléphone, il pensait révolutionner le monde de la culture en permettant l’écoute à domicile de pièces de théâtre et d’opéras : l’appropriation sociale de son invention en a décidé autrement… À l’inverse, on a vu arriver des révolutions dont on n’avait pas prévu l’ampleur. C’est le cas du smartphone qui, couplé à la 4G, aux techniques de streaming et au wi-fi, a été une vraie révolution inattendue.
La 6G est déjà à l’essai dans les laboratoires. Fort à parier qu’elle sera aussi présentée par certains comme révolutionnaire alors que d’autres la dénonceront comme une menace pour l’humanité et la planète…
LES SPÉCIFICITÉS DE LA 5G
La 5G, cinquième génération des standards en matière de téléphonie mobile, succède à la 4G, qui est l’actuel standard et qui nous permet, entre autres, l’usage sur nos smartphones du Web. La 5G se différencie en performance par rapport à 4G sur trois points : le débit, le temps de latence (le temps nécessaire pour qu’une donnée aille d’un émetteur à un récepteur) et la densité du nombre de connexions simultanées.
Les débits en 5G seront jusqu’à 10 fois plus élevés que ceux de la 4G, ils sont donc comparables à la fibre. Le temps de latence est considérablement réduit par rapport à la 4G. C’est décisif pour des applications dans l’industrie où des échanges de données humains-machines connectées-robots sont constants et doivent être quasi immédiats, ou dans les trans-ports (véhicules autonomes ou semi-autonomes). Enfin, la 5G se caractérise par sa densité, puisqu’elle permettra à terme la connexion de 1 million d’équipements au kilomètre carré, soit 10 fois plus que la 4G.
Par rapport à la 4G, la 5G utilise de nouvelles fréquences de trans-missions, autour de 3,5 GHz et de 26 GHz, dont la portée est plus courte, ce qui implique plus d’antennes. Selon les opposants à la 5G, l’usage de ces fréquences provoquerait un risque accru de cancers, de dommages génétiques et neurologiques. Mais les partisans de la 5G avancent que, contrairement aux antennes 4G qui diffusent par zone et arrosent tout le monde, l’antenne 5G va se connecter et cibler uniquement une personne qui utilise un service 5G ; celle qui n’utilise pas de service 5G ne recevra pas d’ondes ni quoique ce soit, ce qui limiterait considérablement l’exposition aux rayonnements électro-magnétiques.
LA SANTÉ MENACÉE
La 5G et la santé excitent bien des fantasmes qui ne sont pas sans rappeler les peurs qui accompagnèrent le début du transport de passager par le chemin de fer. On pourrait avoir la cruauté de rappeler à ce propos l’intervention parlementaire, en 1836, du grand scientifique François Arago, qui ne faisait que reprendre la littérature médicale dominante de l’époque1On prédisait que le train et ses terribles vitesses (plus de 40 km/h !) allait provoquer des décollements de la rétine et, dans les tunnels, à cause de la différence de pression, l’explosion des poumons. Les mouvements de trépidation des wagons devaient dégénérer les organismes., sur les dangers du chemin de fer pour la santé des voyageurs.
S’il est relativement facile de démontrer la toxicité pour la santé humaine de telle ou telle technologie, il est beaucoup plus difficile d’apporter la preuve de son innocuité. En effet, le 1er juillet 2020, devant le Sénat, Oliver Merckel, parlant de la 5G au nom de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses)2https://www.anses.fr/fr/content/d%C3%A9ploiement-de-la-5g-en-france-l%E2%80%99anses-se-mobilise-pour-%C3%A9valuer-les-risques-pour-la-sant%C3%A9, indiquait : « On ne peut pas démontrer qu’il n’y a pas de risques, on ne pourra jamais […] la science ne peut pas donner une réponse totalement tranchée sur ces questions. ». Et il soulignait que pour toute la téléphonie mobile, que ce soit la 2G, la 3G, la 4G ou la 5G, le danger principal ne venait pas des antennes mais du téléphone « de par la proximité de cette source d’émission de radiofréquence par rapport au corps ».
Pour l’instant, il existe peu d’études sur l’impact de la 5G3Quatre études sur les fréquences à 3,5 GHz et aucune étude spécifique sur les 26 GHz. Par contre, en prenant en compte un spectre étendu on a 174 études sur la bande passante 24-60 GHz. sur la santé, et leurs conclusions varient selon leurs commanditaires; cependant, la majorité d’entre elles semblerait plutôt montrer que la 5G serait soit moins nocive que l’actuelle 4G, soit, au pis, tout aussi nocive mais de manière différente. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a elle-même une communication contradictoire sur le sujet. D’un côté, elle affirme : « Au cours des trente dernières années, environ 25 000 articles scientifiques ont été publiés sur les effets biologiques et les applications médicales des rayonnements électromagnétiques. S’appuyant sur un examen approfondi de la littérature scientifique, l’OMS a conclu que les données actuelles ne confirment en aucun cas l’existence d’effets sanitaires résultant d’une exposition à des champs électro-magnétiques de faible intensité. Toutefois, notre connaissance des effets biologiques de ces champs comporte encore certaines lacunes et la recherche doit se poursuivre pour les combler »4https://www.who.int/peh-emf/about/WhatisEMF/fr/index5.html ; de l’autre, elle classe ces ondes comme possibles cancérigènes.
C’est pourquoi pour la 5G comme pour toute nouvelle technologie, il dépend de savoir où l’on place le curseur du principe de précaution, mais aussi de développer des moyens publics d’expertises et de surveillance réellement indépendants des lobbys en tout genre.
LA 5G ET L’ÉCOLOGIE, AVANTAGES ET DÉSAVANTAGES
À l’heure actuelle, la 5G apparaît comme énergivore et consommatrice de terres rares. Mais cela est le propre de tout l’écosystème numérique, dont l’impact brut sur le réchauffement climatique croît de manière exponentielle. Cependant, il faut nuancer cet impact brut par un impact relatif, car le numérique permet aussi d’importantes économies d’énergie et de matières premières. Ainsi, le télétravail va générer un transfert de consommation électrique de l’entreprise vers les ménages, et en même temps il économise du transport en voiture, en bus. De même, le développement du e-commerce face aux grandes surfaces n’a-t-il pas, in fine, un bilan énergétique globalement positif ? Visiter Venise en immersion virtuelle grâce à la 5G est-il pire ou meilleur pour l’écologie que de faire le voyage physique ? Idem pour les outils de maintenance prédictive que la 5G rendra possibles.
C’est pourquoi il est nécessaire de fournir des évaluations et des indicateurs globaux qui ne prennent pas en compte seulement le numérique et la 5Gde manière isolée. Une analyse sérieuse doit prendre en compte la question de la réutilisation de la chaleur produite par les data centers, les équipements de télécom et de la production massive d’électricité décarbonée car, qu’on le veuille ou non, l’augmentation de la population mondiale implique une augmentation de la consommation d’électricité… sauf à trouver normal que des milliards d’humains soient privés de cette énergie. Par ailleurs, il faut poursuivre les efforts de lutte contre l’obsolescence programmée, comme le fait la filière de smartphones reconditionnés, et pour l’optimisation des algorithmes afin qu’ils soient moins gourmands en puissance de calcul.
Si la 5G ne doit pas être déployée sans que la préservation de l’environnement soit un impératif de son cahier des charges, elle n’est pas en elle-même écocide et peut même être une partie de la solution.
UNE QUESTION AVANT TOUT POLITIQUE ET GÉOPOLITIQUE
Une autre inquiétude émerge,celle de l’augmentation de la visiosurveillance de la société. Ce problème politique avait déjà été posé à propos de l’usage des technologies actuelles (vidéo-surveillance, drones, reconnaissance faciale, géolocalisation, « googlelisations », gestion des données médicales par les GAFA, exploitation des graphes de relations sociales sur les réseaux sociaux…). La 5G n’implique pas un changement qualitatif du problème, mais elle pose la question d’aller au-delà de la protection des données personnelles en passant à une protection et des droits collectifs à faire valoir sur les données et leur exploitation algorithmique. Aux États-Unis, par exemple, les technologies 5G sont en retard de plusieurs années par rapport à la Chine (Huawei, ZTE), la Corée du Sud (Samsung) et l’Europe (Ericsson, Nokia-Alcatel). Pour gagner le temps nécessaire à développer leur propre technologie, les États-Unis déploient une double stratégie d’influence : les équipements de Huawei sont accusés d’espionnage au profit de l’État chinois5Accusation jamais prouvée, contrairement aux révélations de Snowden sur les pratiques des sociétés états-uniennes en liaison avec la NSA et le Pentagone., et pour bloquer les Coréens et les Européens on lance en sous-main des campagnes via des ONG et certains médias accusant la 5G d’être dangereuse pour la santé, écocide et liberticide.
L’objectif des États-Unis est donc de retarder, principalement en Europe, le déploiement de la 5G pour avoir le temps de refaire leur retard technologique et d’imposer leur équipement comme norme internationale.
LA 5G ET LE CYBERPIRATAGE
Ceux qui prédisent qu’après la covid la prochaine catastrophe planétaire sera une paralysie mondiale des systèmes informatiques par une cyberattaque virale n’ont probablement pas tort. Cela dit, la 5G n’a pas inventé les risques liés au cyberpiratage,au cyberterrorisme et aux cybercrimes. Certes, elle va mécaniquement les aggraver par le volume gigantesque de données qui transitera par elle, mais sans en changer la nature fondamentale. Ça serait donc plutôt une raison supplémentaire de prendre ces risques au sérieux, et d’en faire un enjeu majeur de défense nationale en créant une nouvelle branche de notre armée, au même titre que l’armée de l’air, l’armée de terre et la marine.
DES GAINS CONSIDÉRABLES POUR L’INFORMATIQUE
Les gains de 5G par rapport à la 4G en débit, temps de latence et nombre de connexions au kilomètre carré devraient permettre la généralisation des véhicules autonomes ou semi-autonomes, une accélération de la robotisation et de l’usage du big data couplé à l’intelligence artificielle, en particulier dans l’industrie.
En matière de santé, outre des applications de télémédecine et téléchirurgie, certains imaginent déjà d’équiper notre corps de capteurs émettant des informations en permanence, permettant ainsi de faire de la médecine préventive, un peu comme on fait déjà de la maintenance préventive de moteurs d’avion. Cela pourrait prévenir ou éviter nombre d’AVC, de crises cardiaques… Mais là aussi il faudra que le législateur intervienne pour éviter des usages socialement toxiques de ses flux de données par les assureurs, les banquiers et les DRH. De même, par rapport à l’impact écologique et social, en positif comme en négatif, l’usage de la 5G par les industries du divertissement et de la culture 5G : jeux vidéo, e-sport, tourisme virtuel… devra être évalué et encadré par le législateur.
Ce qu’installent les opérateurs de télécom à l’heure actuelle s’apparente plus à de la 4G+ qu’à de la 5G : ils continuent d’utiliser le cœur des réseaux 4G tout en ajoutant petit à petit des antennes 5G. La vraie 5G avec une infrastructure réseau dédiée serait probablement opérationnelle en 2023-2025, avec la possibilité théorique de connecter un million d’objets au kilomètre carré.
Ce n’est pas la 5G en elle-même qui va révolutionner le monde, mais une convergence technologique qui va d’abord se faire sentir dans les entreprises : le « cloud distribué», le « edge computing», c’est-à-dire le stockage et l’analyse des données au plus proche de l’utilisation et des besoins, l’intelligence artificielle, la réalité augmentée et la réalité virtuelle, la robotisation ainsi que l’industrie des objets connectés. La mise en réseau de ces technologies était bloquée par les débits limités de la 4G. Toutes ces technologies vont progressivement se nourrir les unes des autres pour amplifier les potentialités de la transformation numérique des modes de production et d’échange. Potentiellement, cette convergence pourrait apporter des progrès que nous ne pouvons même pas imager aujourd’hui dans les domaines de la santé6https://www.institutsapiens.fr/wp-content/uploads/2020/07/5G-au-service-de-la-sant%C3%A9-22-juillet.pdf, de l’énergie7https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0306261919316599, de la productionindustrielle8https://lindustrie40.fr/category/reseau-5g/, de la gestion des déchets, des transports, de l’écologie, de la protection civile.Dans les années à venir, on imagine mal une usine s’implantant dans un territoire non connecté à la 5G9https://www.industrie-techno.com/article/dossier-comment-la-5g-veut-transformer-les-usines.58966. C’est pourquoi, si on veut une renaissance industrielle de notre pays assise sur des uni-tés de production distribuées et adaptables aux besoins, le déploiement de la 5G et des technologies de connexion qui lui succéderont est indispensable. Par contre, de tels choix d’aménagement du territoire ne peuvent être abandonnés aux opérateurs privés et à la« main invisible du marché ». D’où la nécessité de créer une filière nationale dans le cadre de coopérations européennes autour des télécoms, incluant opérateurs de service public, équipementiers, composants électroniques, cybersécurité et applications.
Pour la 5G comme pour d’autres questions, l’État et les collectivités territoriales ne doivent pas mettre en œuvre les politiques publiques que les entreprises veulent bien leur vendre, mais au contraire il faut que les entreprises se mettent au service des choix politiques effectués parle gouvernement et les exécutifs des territoires.
MISE AUX ENCHÈRES DES FRÉQUENCES ET CALENDRIER DE DÉPLOIEMENT
Pour fonctionner, la 5G va utiliser une gamme de fréquences qui jusqu’ici était réservée pour un usage militaire. Le gouvernement, via l’Autorité de régulation des communications électro-niques, a mis aux enchères les licences d’exploitation de ces fréquences pour quinze ans auprès des opérateurs de télé-com : Orange, Bouygues, Free et SFR, avec l’obligation de respecter un cahier des charges minimum et un calendrier de déploiement.
Outre qu’à travers ces enchères on vend un bien commun public, laisser, sans cohérence de filière, la réalisation de la 5G dans le cadre de la concurrence a des opérateurs privés10L’État n’est plus qu’un actionnaire minoritaire d’Orange, avec 23 % des actions. motivés essentiellement par le profit et la rétribution des actionnaires n’offre aucune garantie de couverture égalitaire des territoires par ce nouveau mode de télécommunication. Le retard français dans le déploiement de la fibre optique à très haut débit le montre.
Faute de vision stratégique, de maîtrise de la filière et d’outils publics comme un opérateur de télécom nationalisé ou des régies de télécom, la 5G, au lieu d’être un levier de résorption des inégalités territoriales, risque de devenir un accélérateur de la fracture numérique. Le système des enchères fait que la valorisation optimale des fréquences prime sur l’aménagement du territoire.
CONCLUSION
La question n’est donc pas de s’opposer à la 5G en elle-même, mais de mettre son usage au service du développement humain sur les territoires, dans le cadre d’une maîtrise publique et citoyenne s’intégrant dans une stratégie numérique globale bas carbone, le respect drastique des normes de rayonnement électromagnétique associé à une stricte surveillance des éventuels effets sanitaires de la 5G.