Pour une politique territoriale de santé, Éric May*

La population et les acteurs du secteur sont conscients de la nécessité de traiter les questions de santé, surtout l’accès aux soins, du point de vue des territoires. À l’heure de la reconstruction du système de santé (une urgence au regard de sa défaillance lors de la Covid-19), la question de la proximité est centrale, intégrant les questions de l’accessibilité géographique, sociale et financière aux établissements de santé et aux professionnels de ville.

*Le docteur Éric May, généraliste, est directeur du centre municipal de santé de Malakoff (Hauts-de-Seine).

 

DES INÉGALITÉS SOCIALES ET TERRITORIALES À RÉDUIRE

Les inégalités sociales de santé sont désormais avérées. Pour rappel, elles ne se résument pas à des inégalités de ressources. Elles sont les conséquences d’inégalités multiples – sociales et environnementales – qui touchent au logement, à l’emploi, aux conditions de travail, à la vie sociale et culturelle, au niveau d’instruction. Elles se sont encore aggravées ces dernières années par la poursuite de politiques néolibérales des gouvernements qui se sont succédé. L’effet sur la santé de la population en est direct, il se traduit par un constat lapidaire : se soigner coûte de plus en plus cher, et donc les renoncements aux soins sont toujours plus nombreux.

Les inégalités territoriales de santé sont elles aussi bien identifiées. Elles participent à l’aggravation des inégalités sociales de santé et d’accès aux soins et sont la conséquence, entre autres :

  • d’une absence de politique d’aménagement concertée et complémentaire des territoires en structures de santé, de ville et hospitalières, de soins et de prévention, accessibles à toutes et à tous, et coordonnées dans le cadre d’un service public territorial de santé ;
  • d’une réduction toujours plus importante des moyens donnés à la ville comme à l’hôpital, qui de ce fait ne peuvent répondre à la hauteur des besoins de la population. Les lois de financement de la Sécurité sociale se succèdent, les ONDAM[1]Objectif national des dépenses d’assurance maladie, un dispositif de la Sécurité sociale qui fixe les autorisations estimatives de certaines dépenses des branches « assurance maladie » et « accidents du travail ». aussi, depuis des années réduisant toujours un peu plus le financement du système de santé, au prétexte du seul objectif d’équilibre des comptes de la Sécurité sociale;
  • du désinvestissement massif de l’État dans les services publics de soins, ce non seulement dans l’hôpital public au seul profit des entreprises et réseaux de santé privés lucratifs, mais aussi dans les services publics de prévention, médecine scolaire et PMI, proches de la disparition…

Ainsi, il n’est qu’à observer l’hôpital public.

En termes territoriaux, on ne peut que constater le sous-équipement en structures de santé dans les zones sensibles, là où les populations connaissent les plus grandes difficultés sociales.

En termes de moyens, la crise désormais permanente des urgences est un des symptômes de la gravité de la situation de l’hôpital public, que l’épidémie de covid n’a fait qu’aggraver et qui se résume avant tout à un manque de lits et de personnels quand le gouvernement n’y voit qu’un problème d’organisation et de frein aux changements de la part justement des personnels…

En termes d’organisation, l’objectif de réduction des temps de séjour hospitaliers des patients (à visée économique et de gestion de la pénurie de moyens) se heurte à une absence de coordination organisée entre l’hôpital et la ville, absence qui se traduit par des retours à domicile trop précoces, dans des conditions de sécurité insuffisantes, avec des professionnels de santé de ville prévenus souvent trop tardivement, sans capacité d’anticipation ni d’organisation adaptée.Le risque est un retour rapide des patients à l’hôpital.

Au-delà de l’analyse critique (nécessaire), que peut-on proposer ?

POUR UN SERVICE PUBLIC TERRITORIAL

On ne peut plus aujourd’hui concevoir l’hôpital public et la médecine de ville comme deux entités indépendantes l’une de l’autre, ne se coordonnant pas au service de leur territoire et de sa population. Non, c’est le principe d’intégration qui doit être le fondement de toute démarche de construction du système de santé de demain, intégration de la ville et de l’hôpital dans le cadre d’un service public de santé décliné territoriale-ment. En effet, la territorialisation peut et doit être un instrument permettant de concilier les objectifs d’égalité et de proximité attendus dans le cadre d’un tel service public. L’idée d’une politique territoriale de santé doit alors reposer sur le concept général de maillage du territoire, car il s’agit bien d’une politique nationale relevant de la responsabilité de l’État. Ce maillage fondé sur un service public territorial de santé doit s’appliquer à l’ensemble des territoires. S’il doit intégrer tous les acteurs de santé prêts à s’engager sur des missions d’intérêt général, il doit avoir pour socle dans chaque territoire des acteurs de santé publics : l’hôpital public d’une part, et de l’autre, pour la ville, les centres de santé de service public. Ceux-ci sont portés par des collectivités ou des établissements de santé publics, ou encore sont gérés par des organismes privés non lucratifs volontaires.

Pour rappel, les centres de santé publics ont pour caractéristiques et valeurs : la non-lucrativité de la structure ; l’accessibilité sociale à la santé, par la pratique du tiers payant intégral, par le respect des tarifs opposables et la modération des tarifs hors nomenclature en pratiques dentaires ; la défense et promotion de l’accès à la santé de tous; le salariat des professionnels de santé des centres ; une médecine d’équipe, coordonnée autour du dossier médical commun. Ce socle interdépendant et commun de règles et de valeurs a déjà permis l’émergence depuis plus de dix ans de centres de santé sur tout le territoire français, adaptés aux besoins des populations. Les centres de santé hospitaliers y participent, encore trop peu nombreux. Un plan national de création de centres de santé public est une condition nécessaire à la réussite d’une politique territoriale de santé visant à garantir l’accès aux soins et à la prévention de toutes et tous.

Les centres de santé publics ne pourront que faciliter la mise en œuvre de nouvelles articulations ville-hôpital au bénéfice des usagers.

SORTIR L’HÔPITAL DE L’HOSPITALOCENTRISME

Parmi les ruptures à opérer pour mettre en place avec efficacité le service public territorial de santé, il en est une qui est particulièrement importante, mais ô combien difficile : sortir de l’hospitalocentrisme. Pour une fois, il ne s’agit pas de financement mais d’un changement de paradigme. L’amélioration de l’articulation entre l’hôpital et la médecine de ville est une nécessité. Traditionnellement, l’hôpital est refermé sur lui-même. C’est un fait. L’hôpital a constitué sa culture bien souvent en opposition avec l’extérieur : face à une médecine de ville libérale arc-boutée dans la défense du paiement à l’acte et du paiement direct par le patient, peu ouverte donc à l’idée de service public de santé; et face aux établissements privés lucratifs récupérant les activités les plus rentables.

Aujourd’hui, cela doit changer. La liaison entre l’hôpital et « la ville » doit être établie dans le seul intérêt du malade.Là encore, les centres de santé publics ne pourront que faciliter la mise en œuvre de nouvelles articulations ville-hôpital au bénéfice des usagers. Ils sont déjà les partenaires naturels des hôpitaux publics là où ils sont implantés, partageant valeurs de service public et pratiques d’équipe pluriprofessionnelle. Leur développement dans tous les territoires en partenariat avec les hôpitaux publics sera le meilleur garant d’un service public territorial de santé répondant aux besoins de la population.

LA CONDITION DE TOUTE POLITIQUE TERRITORIALE

Cette politique territoriale sanitaire doit s’organiser en lien avec la population et les élus. Elle ne peut être le seul fait d’une administration éloignée,coupée du réel et de la vie des gens comme le sont bien souvent aujourd’hui les agences régionales de santé. Le rôle des citoyens dans cette démarche est incontournable. De même, la prise de décision en matière de santé sur les territoires doit être partagée avec les élus, qui devront participer aux instances de gouvernance du service public territorial de santé. Bref, une réelle démocratie sanitaire apparaît comme la condition sine qua non de la réussite de toute politique territoriale.

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