Le monde de demain peut-il être sans plastique ?, Kako Naït Ali*

*Kako Naït Ali est docteure en chimie des matériaux, ingénieure matériaux et experte des matériaux polymères

La crise sanitaire actuelle nous fait prendre conscience que le monde dans lequel nous vivons doit évoluer, en considérant notamment la préservation de l’environnement comme un principe éthique essentiel. Parmi les sujets les plus populaires, celui de la pollution plastique symbolise à lui seul l’impact de l’activité humaine sur la nature. 

Depuis quelques années, le monde découvre avec stupéfaction l’étendue de la pollution des océans par les emballages et autres produits jetables en plastique. Ce type de matériau a été identifié comme responsable d’une pollution durable, menaçant la biodiversité et la santé humaine. Les articles et reportages sur le sujet ont complètement occulté les raisons de leur utilisation dans l’emballage alimentaire et autres domaines, comme le médical, la construction, l’automobile ou l’aéronautique. Les informations véhiculées par des non-experts sont partielles et interprétables, voire fausses. Les plastiques sont ainsi présentés comme des matériaux utilisés pour leurs propriétés particulières, et surtout pour leur faible coût.

À la fois indestructibles et constitués de produits chimiques dits « nocifs » et « persistants », ils sont devenus le symbole d’une société de surconsommation menée par des multinationales qui se préoccupent peu des conséquences de leurs actes. Un cliché qui parle à une grande partie de la population. Mais la réalité est tout autre, beaucoup plus complexe.

L’impact de ce constat sur la population est si fort qu’il a provoqué une prise de position politique sur l’utilisation des plastiques dans l’emballage et produits à usage unique partout dans le monde. La lutte contre les plastiques est devenue un objectif incontournable, parfois au détriment des retombées environnementales que cela peut entraîner, notamment en termes de pollution.

DE QUOI PARLE-T-ON ?

Ce que l’on appelle aujourd’hui « plastiques » est une famille de matériaux issus de la pétrochimie pour sa grande majorité. Une partie de ces plastiques peut être biosourcée, c’est-à-dire élaborés à partir de biomasse. Cette catégorie de plastiques se développe comme alternative à l’utilisation de gaz ou de pétrole dans la fabrication de ces matériaux. En fonction de leur structure chimique, les plastiques biosourcés peuvent avoir les mêmes propriétés que ceux issus du pétrole.

Le terme « plastique » est ainsi utilisé pour des matériaux pouvant être souples ou rigides, transparents ou opaques, sous forme de film ou de fil, biodégradables ou non. Le panel de caractéristiques est immense, chaque plastique étant conçu pour répondre à un besoin, et donc pour remplir une fonction bien particulière.

Depuis leur utilisation dans les produits de grande consommation, ils ont accompagné l’évolution des foyers et permis d’adapter notre consommation à notre mode de vie. Ils représentent aujourd’hui le tout jetable mais ne représentent que 23 % des emballages générés, selon Citeo, et 11,2 % des déchets émis chaque année, selon les chiffres de l’ADEME. Concernant leur impact environnemental, la part des emballages plastiques dans le contenu carbone du panier moyen est estimée à 0,6 %, alors que celui du gaspillage alimentaire correspond à 3 % de l’ensemble des émissions de l’activité nationale.

Légers, les plastiques se perdent facilement dans l’environnement. C’est une pollution identifiable puisqu’ils flottent et peuvent mettre plusieurs centaines d’années à se dégrader en fonction du type de plastique et des conditions d’exposition. Mais la pollution plastique n’aurait probablement pas retenu l’attention du monde si elle n’était pas aussi visible.

L’amélioration des systèmes de gestion des déchets, en priorisant la valorisation par recyclage matière ainsi que la mise en place obligatoire de l’écoconception, est une solution efficace pour le traitement des déchets plastiques. Car, contrairement à certaines idées reçues, les plastiques se recyclent plusieurs fois. Encore faut-il qu’une filière existe pour chaque plastique. Les techniques de recyclage chimique permettent de recycler certains d’entre eux à l’infini. Mais leur coût et leur impact environnemental ne permettent pas aujourd’hui de les généraliser. De nouvelles technologies sont en cours de développement. Elles arriveront probablement trop tard pour sauver les plastiques de la vindicte populaire. Il serait naïf de penser que seuls les plastiques polluent notre environnement. Ce n’est qu’une vision partielle de la réalité.

Nous ne sommes touchés que par les images, au-delà du raisonnable. Éliminer ce qui nous semble être à l’origine de la pollution est plus important qu’agir sur nos impacts. Mais se passer de plastique aura des conséquences sur nos habitudes de consommation ainsi que sur notre environnement. La question est de savoir si nous y sommes prêts.

LE PRIX DE L’APAISEMENT ÉMOTIONNEL

Se passer de plastiques dans les domaines du médical, de la construction, de l’automobile et de l’aéronautique est impensable. Cela générerait un recul technologique beaucoup trop important. Et il ne serait pas possible de réaliser un équivalent performantiel avec d’autres matériaux. 

Notre futur proche, si l’on en croit les évolutions réglementaires apportées par la loi antigaspillage, évoluera sans emballages ou produits jetables en plastique. Il faut considérer que les plastiques biosourcés seront également touchés par cette interdiction, à moins qu’ils ne soient que peu transformés, mais dans ce cas leurs propriétés ne pourront atteindre celle des plastiques conventionnels. Un monde sans emballages plastiques signifiera dans un premier temps faire ses courses plusieurs fois par semaine, puisque les denrées périssables ne pourront pas être conservées plus de quelques jours. Par exemple, un concombre qui ne sera pas emballé dans un film plastique verra sa disponibilité à la consommation réduite de 18 à 3 jours. 

Pour la viande, cela signifiera également de réduire sa durée de conservation de 15 à 3 jours, puisque les emballages actuels conservent les produits sous vide ou sous atmosphère inerte, ce qui ralentit leur vieillissement mais à condition que l’emballage soit étanche aux gaz. Actuellement, seuls certains plastiques peuvent assurer cette fonction. Sans eux il sera très difficile de trouver des produits frais importés comme le saumon fumé. Les produits cosmétiques seront vendus dans des emballages métalliques ou en verre, ce qui alourdira considérablement leur impact. Les biberons seront en verre et les assiettes pour enfant en métal, en verre borosilicate ou en porcelaine. 

Les couches pour bébé seront lavables et en matières dites « naturelles ». Celles-ci étant froissables, il sera nécessaire de les repasser. L’impact environnemental de couches lavables peut être beaucoup plus important que celui des couches jetables en fonction du mix énergétique du pays. Sans parler de la contrainte pratique. 

Les vêtements seront tous en matière naturelle, inextensible. Les collants transparents n’existeront plus, ni les élastiques que l’on retrouve dans certains vêtements, dont les sous-vêtements. Il faudra les modifier ou les changer plus souvent. Les fibres naturelles étant beaucoup plus émettrices de microfibres que les fibres synthétiques, avec des traitements modifiant leurs propriétés, la pollution des océans par microfibres sera multipliée par 5. Ces microfibres, bien que d’origine naturelle, peuvent mettre entre 50 et 100 ans à se dégrader dans la nature. 

Les produits ménagers seront contenus dans des emballages en verre ou en acier consignés, avec des risques d’accidents domestiques plus importants. Les sacs-poubelles seront en papier renforcé, qu’il faudra sortir tous les jours pour éviter qu’ils ne se percent, n’étant pas résistants aux graisses ni à l’endommagement mécanique. Il sera également nécessaire d’acquérir plusieurs contenants réutilisables en verre ou en métal, en fonction des aliments, qui pour certains ne pourront pas être emballés dans d’autres emballages jetables, comme le carton. Cela conduira à une augmentation de la production de ces contenants réutilisables dont l’impact environnemental est bien plus néfaste que celui du plastique. 

L’emballage alimentaire a une fonction qui n’est pas si courte. Le produit emballé est protégé au cours de son transport, de son stockage et jusqu’à sa consommation. La modification d’un matériau d’emballage ne conduit pas à une simple substitution de matériaux. Elle implique une modification de toute la chaîne de consommation du produit. 

Ce sera également le retour de l’emballage naturel fabriqué à partir de la cellulose, matière recyclable mais pas à l’infini. Les ressources naturelles sont limitées, et il ne sera pas possible de substituer les emballages en plastique par des emballages issus de ces ressources. Si cela n’est pas fait avec une utilisation durable des forêts et des sols comme préconisé par le GIEC, il sera nécessaire de détruire des sites naturels ou de remplacer certaines terres agricoles pour répondre à la demande. Avec des conséquences directes et indirectes considérables sur l’épuisement des ressources et la durabilité des sols. 

Il n’y a pas de matériau neutre en termes d’impact environnemental. La question est de savoir quelle solution est la moins pénalisante sur l’ensemble de son cycle de vie. Le choix n’est pas simple, et il est nécessaire de bien expliquer aux consommateurs les impacts des matériaux qui peuvent se substituer au plastique. 

SE CONVAINCRE OU AGIR

Résoudre la question de la pollution en interdisant un matériau revient à considérer qu’il en est à lui seul responsable. L’analyse des causes de cette pollution n’a été que partiellement réalisée. Il est en effet plus facile d’expliquer à une population qu’elle n’est pas responsable de ce qui la choque. Mais la résolution des questions environnementales ne peut se faire sans un investissement de chaque maillon de la chaîne de consommation. Elle ne peut pas être efficace si elle se fonde sur une vision monolithique du problème.

Certes, nous devons réduire notre consommation de plastiques et d’autres matériaux pour économiser les ressources qui ne sont pas infinies. Mais cela doit entrer dans une démarche plus globale et progressive pour qu’elle soit vécue comme une évidence. Des changements aussi profonds de paradigme doivent être accompagnés de manière pédagogique. Les interdictions ne sont pas des solutions durables : elles visent des matériaux, et non des comportements. Or ce sont nos comportements qui sont à l’origine de la pollution.

Une réponse efficace à la question des déchets nécessite une sensibilisation du consommateur pour qu’il adhère à la démarche et soit actif dans le processus mis en place. Un tri à la source bien réalisé est un élément clé du succès de la politique de gestion des déchets. L’interdiction de certains produits en plastique à usage unique contribue à réduire la présence de déchets plastiques dans l’environnement, mais cela n’a pas d’impact sur l’ensemble du processus de perte des déchets, qui ne concerne pas uniquement les plastiques.

Il est important de légiférer sur certains produits ou sur des contextes précis comme les sacs et les pailles jetables parce qu’ils ont un impact immédiat difficile à réduire autrement. Mais il est également nécessaire de communiquer sur ces questions et d’expliquer les enjeux associés, avec des impacts concrets pour le consommateur. Bien que les interdictions provoquent une évolution des pratiques et des comportements, elles ne résolvent pas à elles seules le problème de la pollution.

Il faut en effet considérer la question de la pollution plastique comme la partie émergée de l’iceberg. Elle est visible, médiatique, mais elle ne constitue qu’une partie du problème. C’est une question plus générale qu’il faut poser : comment réduire l’impact de notre consommation et de notre activité sur l’environnement ?

Au moins 1800 milliards de déchets plastiques polluent les océans. Au fil des ans, ils se sont agglomérés
en une monstrueuse masse qui ne cesse de s’étendre en plein Pacifique. Une étude publiée le 22 mars 2018 montre
que ce véritable continent flottant s’étale sur une surface équivalente à trois fois celle de la France.

La crise sanitaire a également permis au grand public de découvrir les avantages du plastique, bien que cela ait été peu communiqué : les masques de protection pour le secteur médical ou pour le grand médical nécessite l’utilisation de matières synthétiques en plastique. Ils sont à conserver dans des sacs en plastiques zippés afin de préserver leur propreté micro – biologique.

Certains pays reviennent même sur les interdictions sur les sacs plastiques et autres produits jetables en plastique. Les lois se font et se défont ; les habitudes acquises, elles, sont beaucoup plus fortes et durables. Certains pays reviennent même sur les interdictions sur les sacs plastiques et autres produits jetables en plastique. Les lois se font et se défont ; les habitudes acquises, elles, sont beaucoup plus fortes et durables. Aujourd’hui, ces questions sont traitées partiellement, avec peu d’expertise, par des personnes qui font passer leurs propres convictions avant l’intérêt général, parfois avec dogmatisme.

Il est à espérer que le contexte actuel provoquera un sursaut et que les faits scientifiques reviendront au centre des débats, afin de contribuer légitimement aux décisions se voulant rationnelles.

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