Le 29 Mai dernier, au-delà du cercle polaire arctique, environ 20 000 tonnes de diesel se sont déversées près de la ville minière russe de Norilsk, se dirigeant de fait vers l’Océan Arctique. Il a fallu attendre deux jours pour que les autorités russes soient informées de cette catastrophe. Causé notamment par le dégel du permafrost, cet événement préfigure pour une bonne part ce qui se trame pour l’Arctique au cours de ce siècle et au-delà. Plus largement, marqué par la hausse constante des températures due aux émissions de gaz à effet de serre, le climat planétaire voit très certainement son avenir se jouer dans cette région.
*Jérémy Roggy est chimiste et historien des sciences de formation
Cette catastrophe environnementale et l’absence de réactivité ont provoqué l’ire du président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, qui a déclaré l’état d’urgence dans cette zone sinistrée. La fuite massive a finalement été contenue, et ce sont près de 200 tonnes de diesel qui ont été collectées. S’il est soupçonné que l’installation à l’origine de ce dégât environnemental n’ait pas été réellement entretenue au cours des trente dernières années, il n’en demeure pas moins que cela ne peut masquer un problème émergent dans l’Arctique. Particulièrement marqués dans l’Arctique en comparaison au reste du globe, les effets du réchauffement climatique ont une conséquence directe : le dégel progressif du permafrost, ce sol gelé de manière quasi-permanente au cours de l’année.
Au-delà de la zone située près de Norilsk où se trouve l’installation concernée de l’entreprise Norilsk Nickel, c’est l’ensemble de la région Arctique qui est touché par ce fléau émergent. Le dégel croissant du permafrost a des conséquences directes et visibles en Alaska, au Canada, au Groenland, en Islande, en Scandinavie et en Russie. Les villes et les routes qui ont été et sont construites sur ce sol particulier sont menacées, puisque les infrastructures perdent leur stabilité sous l’effondrement de ce sol gelé. Ce phénomène tend à s’amplifier avec la hausse globale des températures dans cette région causée par le réchauffement climatique, et cela va de pair avec une érosion accrue des sols. Si des carcasses d’animaux datant de la dernière ère glaciaire peuvent refaire surface avec ce phénomène, les littoraux sont véritablement menacés et des villes et villages commencent à se poser la question de quitter les lieux pour vivre ailleurs.
Mais de manière plus inquiétante, ce dégel pourrait contribuer à amplifier à terme le réchauffement climatique de manière significative à l’échelle planétaire. En effet, le permafrost contient en nombre des restes d’animaux et de végétation : au contact avec l’air et les bactéries qui y sont contenues, ces restes entrent alors en décomposition. Cela a ainsi pour effet de générer une source potentiellement majeure de carbone, et donc de gaz à effet de serre notoires que sont le dioxyde de carbone et le méthane, tout en sachant que le méthane a un pouvoir réchauffant plus important que le dioxyde de carbone.
Selon les estimations, environ 1500 gigatonnes de carbone sont piégées par le permafrost, soit deux fois plus que dans l’atmosphère. À l’heure actuelle, il est également suggéré que seulement 10% du carbone présent dans ce permafrost pourrait être libéré d’ici 2100. Les relargages plus conséquents auront très probablement lieu dès le 22ème siècle, sans mesures efficaces pour agir sur les causes du réchauffement climatique. Mais avec la récurrence d’hivers plus chauds en Arctique, les inquiétudes peuvent être de mise et les estimations peuvent être revues à la hausse d’ici 2100, qu’il s’agisse de la hausse des quantités de carbone libérées dans l’atmosphère et de la contribution à l’élévation globale des températures à l’échelle de la planète.
Les prévisions actuelles du GIEC entrevoient une hausse des températures planétaires dues aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre pouvant aller aux alentours de 5°C d’ici la fin du siècle, soit autant que lors des changements climatiques naturels majeurs qui se sont étalés sur des dizaines de milliers d’années. Pour garantir un monde viable pour l’ensemble de la population humaine et du reste du monde vivant, il est clair que l’avenir du climat planétaire se joue dès maintenant avec des mesures fortes à tous les échelons. Des pistes pleines d’avenir existent déjà pour y contribuer, pour renverser la vapeur et faire de la lutte contre le réchauffement climatique une bataille centrale. Les recherches multiples pour développer des industries et des modes de transports limitant drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre sont plus que jamais à soutenir. Et cela peut et doit se faire dès l’échelon local, dès l’entreprise, et être coordonné aux niveaux supérieurs notamment en engageant des coopérations scientifiques et diplomatiques résolues au niveau mondial pour relever efficacement le défi climatique.
Jérémy Roggy est chimiste et historien des sciences de formation.