La France n’a plus de fabricant de tunneliers[1]. « Le tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) a prononcé la liquidation judiciaire sans poursuite d’activité de Tunneling Equipment ». [Le moniteur -24/04/2020].
*Francis VELAIN est ingénieur.
« C’est une déchirure, mais c’est aussi une délivrance pour tous les salariés ». « On espère maintenant un reclassement dans une entreprise, car être payé à ne rien faire, ce n’était pas simple. Et on n’était pas dupe, puisque toutes les machines sont parties depuis plusieurs mois. » [Source le Parisien 18/04/2020]. Paroles d’un délégué CGT, exprimant simplement mais redoutablement l’immense douleur intériorisée par 28 emplois au Creusot et 26 autres à Lyon.
Mais que pèsent 54 « emplois » de nos jours ? Il y a déjà tant de héros à célébrer à cause de la pandémie, à indemniser à coups de dérisoires primes de risque… Il y a tant à faire pour penser l’économie et l’emploi de demain… De toute façon le site du Creusot intéresse un repreneur pour une nouvelle activité. L’économie continue…
Au fait, quelle était cette singulière entreprise de 28 et 26 salariés, aux ateliers vidés de leurs machines ?
Mülhaüser, un groupe allemand partenaire historique, l’avait « sauvée » en 2018. Partenaire à coup sûr intéressé ! Il est « l’une des marques les plus reconnues au monde pour les solutions de machines sous terre. […] Un leader dans le développement, la production, la distribution et le service d’équipements de tunnels ferroviaires et sans rail ainsi que de solutions de machines pour les applications chimiques et en béton. […] Des solutions de haute qualité pour la construction, la réhabilitation et l’entretien des tunnels et des mines ». [Page d’accueil du groupe sur Linked-In].
Bruno Le Maire déclara alors : “L’attitude responsable des salariés de l’entreprise tout au long de la procédure a constitué un élément décisif pour la réussite de la reprise et la sauvegarde du savoir-faire industriel. Je veux également souligner l’opportunité que représente la constitution d’un nouvel acteur franco-allemand dans le domaine des travaux souterrains. Des travaux d’infrastructure de grande envergure, qui font largement appel à ces équipements, ont en effet lieu dans des proportions importantes en Europe et plus particulièrement en France”. [Boursier – 29/11/2018]. L’entreprise ainsi sauvée, avec 80 emplois et un savoir-faire pointu, s’appelait NFM technologie. Elle fut rebaptisée Tunneling Equipment pour mourir sous cette identité.
Mais de qui et de quoi fut-elle sauvée ?
Du groupe chinois NIH devenu actionnaire majoritaire en 2007. Les « emplois » fondirent de 230 à 130… Pour autant, NFM Technologies fut perçue un temps comme une success-story à la française. 2 à 3 millions d’investissement au Creusot pour y produire les éléments lourds des tunneliers intégrés et montés en Chine. En 2012, le Figaro titra un article « Le tunnelier NFM Technologies creuse le marché chinois » avec « 40 % de ses 100 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel en Chine, alors qu’elle n’était pas présente sur ce marché en 2007 ». La CGT était lucide depuis le début : « Les Chinois rachètent nos capacités de management et nos compétences techniques, mais d’ici 4 à 5 ans, ils sauront construire tous seuls les pièces les plus techniques, comme les moteurs et les têtes de coupe […] et ça sera la fin de NFM. [Noël Berthault, délégué CGT – Avril 2007]
Levons totalement le voile !
NFM avait à sa création en 1987 de nombreuses cordes à son arc : le développement de machines pour le nucléaire, la défense, l’aéronautique, la sidérurgie ou encore le offshore. Et grâce à ses tunneliers, à Athènes, au Caire, Séville, Paris, Londres, Moscou, Kazan circule aujourd’hui le métro, le Thalys aux Pays-Bas. On leurs doit les 1eres explorations géologiques du tunnel Lyon-Turin.
Sous contrôle chinois, l’entreprise se recentra sur cette activité…. « Nos clients ne payent qu’au moment de la mise en service des tunneliers. Fréquemment, il s’agit d’avancer de la trésorerie pendant 10 à 15 mois. […]. Et sans le soutien des banques, c’est impossible. […]. [Le journal du net septembre 2006 citant S. Eulry, RRH]
Mais avant, qui garantissait la solidité financière ? Pourquoi cette localisation au Creusot et Lyon ? Le nucléaire ?
La justice a en fait acté la mort d’une entreprise née d’une division externalisée de Framatome absorbant une partie de Neyrpic démantelée (1988/89). La mariée fut vendue au groupe allemand Wirth Group Holding, (2001) avant de passer sous contrôle chinois (2007). La commission européenne lui confia néanmoins en 2012 la direction d’un programme de 4 ans visant à « renforcer la compétitivité européenne du secteur des travaux souterrains à l’échelle mondiale, dans l’industrie et la R&D ». Y participèrent 21 « partenaires » dont la SNCF, CISTEME (centre d’Innovation et de Transfert de Technologies, Poitiers, Brive et Limoges), l’école centrale de Lyon, l’université de Limoges.
Terrible leçon !
Nos champions nationaux en grands travaux, transports et infrastructures viennent de perdre un atout pour leur compétitivité mondiale. Généralisons le propos. Fabriquer des machines à fabriquer des machines est essentiel pour assurer la compétitivité des usines et productions à relocaliser. Où en est l’industrie française des machines à fabriquer des machines ?
[i] Présentation d’un tunnelier : https://youtu.be/Zuiz0yw9XxI et https://youtu.be/haZs9Vwvr_0
Une entreprise de moins de 150 salariés, sur un créneau qui vraiment intéresse la France, qu’on a laissé filer! Là il ne s’agissait pas de nationaliser. Pourquoi ne pas avoir suscité la création d’une scop? Avec une lutte locale et nationale pour un tour de table financier, depuis la BPI jusqu’aux circuits des finances coopératives? Quand allons nous nous réveiller et soutenir cette voie qui réussit la plupart du temps lorsqu’il s’agit d’entreprises pillées, mais qui ont de l’avenir du fait de leur type de production et de leur taille?
Il ne faut pas juger à la légère de l’assise industrielle et financière dont a besoin une telle activité. Framatome, l’entreprise à l’origine de cette activité, n’a jamais été une PME ni bien entendu une Scoop. Les savoirs-faire industriels nécessaire sont nombreux et très divers…
C’est au dessus des moyens d’une scoop…La question de la nationalisation des 50 derniers emplois ne se pose pas plus. Il faut faire stratégie à une échelle plus vaste. A cette échelle, la puissance publique doit d’abord mesurer si le capital français entend ou pas jouer dans la cour ou pas, comment, avec quels moyens.
Ce qui est certain en tout cas, c’est qu’aucun tunnel du futur grand paris et il y en a quelques uns ne sera réalisé par des tunneliers français. Et qu’à l’échelle mondiale, la France ne proposera plus ce genre de machines-outils.