Covid-19 : de la nécessité d’un pôle public pharmaceutique

Laurent Ziegelmeyer est élu du personnel du Groupe Sanofi

La pandémie de Covid-19 révèle les besoins en termes de collaboration internationale dans le secteur du médicament. Malgré l’existence de géants pharmaceutiques nationaux, l’industrie pharmaceutique française ne prend clairement pas sa part dans la mise en commun internationale des moyens techniques et humains permettant de répondre aux besoins de toutes les populations.

La rentabilité avant tout

La gestion par la rentabilité est assassine pour les pays du Sud, également néfaste pour les travailleurs et travailleuses du Nord. Pendant des années, on a considéré ici ou là que l’industrie pharmaceutiques avait surtout des effets négatifs pour les malades de pays pauvres. Les effets de cette politique pour les populations du « Sud » sont effectivement édifiants : Les médicaments sont trop chers, handicapant lourdement toute politique de santé publique. Les maladies « non-rentables » sont négligées. Seul 1 % des 1 393 molécules sorties entre 1975 et 1999 concernait les maladies spécifiques de ces pays. Certains traitement ont devenus tellement anciens que des résistances se sont développées et u’ils sont devenus inefficaces.

Il est d’ailleurs légitime de se poser la question suivante : si le Covid-19 n’avait touché que les pays pauvres, y aurait-il autant d’essais lancés dans le monde pour trouver un traitement ? On peut en douter.

La crise sanitaire liée au coronavirus démontre – si on devait encore le faire – que dans les pays riches aussi, la politique de ces groupes a un impact très fort. Cette mainmise du privé pose aussi de nombreuses questions dans les pays du « Nord ». Quel accès aux médicaments pour les populations les plus pauvres en constante augmentation ? Comment sont fixés les prix de ces médicaments et leur implication dans le financement de la protection sociale ? Comment un gouvernement peut-il élaborer une ambitieuse politique de santé si l’industrie pharmaceutique va à son encontre ?

La pandémie montre bien qu’il est temps de remettre sur la table des propositions sur l’industrie pharmaceutique. Tout d’abord, faisons la différence entre les dirigeants de ces grands groupes qui comme leurs actionnaires se gavent (le terme est faible) et les salarié·e·s qui, d’abord et avant tout, veulent contribuer à améliorer la santé ! Cette crise montre bien que le médicament, le vaccin ne sont pas des produits comme les autres. Dans cette période, on peut arrêter de fabriquer des « Playmobils », pas des médicaments !

En plus de toutes celles et ceux en première ligne contre le virus, il y a les salarié·e·s de l’industrie pharmaceutique qui travaillent sur le Covid-19, mais continuent aussi à produire les autres médicaments, car toutes les autres maladies n’ont pas arrêté de sévir !

Cette crise montre bien que les seuls intérêts privés ne peuvent régler la situation, que la puissance publique doit jouer un rôle car la question c’est la coopération pour combattre ce virus, et non la compétition. Il ne s’agit pas d’imposer aux laboratoires de faire l’aumône mais bien de donner à chaque humain le droit à la santé. Cela repose les questions du médicaments : pour qui, pour quoi faire, avec quelle industrie pharmaceutique ?

Prenons un exemple de la gestion aujourd’hui : l’usine Famar en région Lyonnaise, seule à produire de la chloroquine est en redressement judiciaire ! Faisons aussi un peu d’histoire : en 2003, Aventis, descendant direct de Rhône Poulenc et Roussel Uclaff, a vendu ce site à l’entreprise grecque Famar. Cette entreprise, prise dans d’énormes difficultés, a été reprise par le fonds américain KKR. KKR a placé cette usine en redressement judiciaire et les 11 autres usines de Famar sont en cours de vente à la découpe.

On pourrait aussi évoquer le nombre de principes actifs produits en Chine et en Inde aujourd’hui, comme la paracétamol, mettant en danger notre souveraineté sanitaire.

Enfin, sur la recherche, Sanofi a décidé de fermer le centre d’Alfortville il y a un an. Malgré la pandémie, le plan continue d’être mis en œuvre. Rien que dans ce groupe, les effectifs de recherche en France ont fondu de moitié en 10 ans ! Ces différents exemples montrent bien que dans ce domaine, on ne peut pas faire confiance au privé. Alors oui, un pôle public de recherche et de production pharmaceutique est indispensable dans notre pays. « Impossible ! » vont hurler les libéraux et les patrons de cette industrie. Ils ont la mémoire courte.

L’expérience des nationalisations

Les nationalisations des années 1980 ont conduit à un changement de propriétaire mais logique est resté identique

Prenons Sanofi, dont les origines généalogiques sont principalement partagées en trois :

– Rhône Poulenc, nationalisée au début des années 1980, ce qui a sauvé l’entreprise

– Roussel Uclaff, où l’Etat a eu jusqu’à 40% du capital

– Enfin Sanofi, filiale pharmaceutique du pétrolier Elf, qui était une entreprise publique

C’est donc bien l’argent public qui a permis la constitution de ce groupe. Un pôle public pharmaceutique est possible, indispensable et nécessaire, mais avec une gestion qui à la différence des années 1980 devra prendre en compte l’avis des salarié·e·s et les besoins de santé ici et ailleurs !

Nous venons de le voir, en France dans les années 1980, nous avons connu une nationalisation d’une partie de l’industrie pharmaceutique. Cela n’a pas empêché des scandales comme l’Oltipraz, traitement contre la bilharziose découvert chez Rhône-Poulenc, mais jamais produit. Cela n’a pas permis non plus la constitution d’un grand pôle pharmaceutique permettant de répondre aux besoins de la population. En fait, c’était une entreprise « publique », mais gérée selon les critères de rentabilité du privé. La nationalisation avait permis de sauver Rhône-Poulenc, mais jamais il n’y eut la moindre réflexion sur un autre type de gestion.

Utiliser le pôle public de recherche, de production et de distribution

Un tel pôle serait utile pour imposer une autre gestion démocratique et fondée sur les besoins des populations.

Il s’agit tout d’abord de débattre de la notion de propriété intellectuelle et de son appropriation. Les brevets dans le domaine de la santé ne sont qu’une confiscation pour des intérêts lucratifs. On peut d’ores et déjà évoquer quelques caractéristiques à transformer d’urgence : la durée excessive des brevets, leur « systématicité » quel que soit le médicament, leur application identique au « Nord » et au « Sud »…

Le médicament n’est pas un produit comme les autres.

Il faut considérer le médicament comme partie intégrante de la politique de santé, comme un bien public, au même titre que l’eau, l’énergie… La recherche, la production et la distribution pharmaceutique ne doivent donc pas être régies comme aujourd’hui, sous le contrôle exclusif de quelques grands groupes privés. Il apparaît clairement la nécessité d’un réel contrôle public. Cela ne veut pas dire automatiquement nationalisation.

Ce contrôle public peut s’articuler autour d’une intervention sur la demande, d’une véritable transparence sur le médicament, d’une réelle politique du prix, et enfin de la place que doit occuper la puissance publique.

Tout d’abord, on peut évoquer la mise en place d’un véritable conseil du médicament, indépendant des industriels, qui puisse établir des priorités, en lien avec les ONG et les associations de malades. Les conclusions de ce conseil devraient servir d’orientations tant à la recherche publique, qu’à l’industrie privée.

Comment ? Les aides publiques seraient soumises à ces orientations, et on peut imaginer également l’obligation pour les trusts d’utiliser une partie de leurs bénéfices à des recherches et des productions utiles et indispensables. Aujourd’hui si on prend Sanofi, d’un côté la moitié des bénéfices sont versés aux actionnaires, et de l’autre ils touchent depuis des années près de 150 millions d’aides publiques, comme le crédit impôt recherche, sans obligation. Ils ont quand même supprimé 3 000 postes de chercheurs en 10 ans en France. Le dernier plan est en cours, avec la fermeture du site d’Alfortville !

D’autres pistes peuvent être évoquées : fonds alimenté par une taxe sur ces bénéfices, fonds de soutien à la recherche publique et à des initiatives de solidarité internationale. On pourrait imaginer aussi un dispositif utilisant le fonds évoqué (ou d’autres ressources) pour assurer un financement à des programmes dans le cadre des priorités du conseil avec comme condition l’absence de brevet, faisant de ces molécules des biens publics. Réfléchissons également à un mécanisme permettant que des molécules efficaces mais abandonnées ne restent pas dans les tiroirs des laboratoires. Ces produits sont souvent brevetés, il est temps de réveiller ces brevets dormants !

On peut penser enfin à la réquisition on des unités de fabrication on qui ne sont pas utilisées afin de produire les médicaments faisant défaut aujourd’hui. Reprenons l’exemple de l’usine Famar à côté de Lyon. Le terme de réquisition peut faire « peur », mais est-il plus effrayant que cette logique actuelle de l’industrie, faite de mépris pour les malades du « Sud » et de destruction de l’emploi au «Nord» ?

On le sait, le privé de toute façon ne voudra pas travailler sur tout. Se pose donc clairement la constitution d’un pôle public du médicament !

La constitution d’un grand pôle public de recherche et de production pharmaceutique est nécessaire, mais avec un mode de gestion qui ne soit pas calqué sur le privé, pôle public géré par les chercheurs, les salariés, impliquant les syndicats, les associations de malades, les ONG, dans le cadre du débat démocratique. Ce pôle public serait ouvert sur les collaborations internationales notamment avec le Sud (le transfert technologique étant, pour moi, l’avenir dans ces pays), ouvert également aux collaborations public/privé, mais sur une base d’égalité et non pas dans un cadre de domination du privé, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui.

Il est temps de sortir le médicament, ce bien public, de la logique capitaliste !

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