(texte réactualisé le 1er mars 2020)
Nous n’en avons définitivement pas fini avec les maladies infectieuses, malgré les découvertes décisives des deux siècles précédents, vaccins et antibiotiques, auxquelles il faut ajouter les progrès de l’hygiène.
* Jean-Jacques PIK est docteur en médecine interne, Centre Hospitalier de Kourou.
Nous n’en avons définitivement pas fini avec les maladies infectieuses, malgré les découvertes décisives des deux siècles précédents, vaccins et antibiotiques, auxquelles il faut ajouter les progrès de l’hygiène. La disparition des maladies du millénaire précédent, variole et peste notamment, le recul d’affections telles que la diphtérie, la poliomyélite, la lèpre, le choléra (encore endémique en Haïti, épidémique actuellement dans la province du littoral au Cameroun), ont pu donner une fausse impression de sécurité. D’autres hélas connaissent un regain du fait de l’insuffisante efficacité des politiques vaccinales : c’est le cas de l’hépatite B et de la rougeole.
Parallèlement, de nouvelles affections, dites maladies émergentes apparaissent régulièrement par différents phénomènes : mutation virale, diffusion continentale ou planétaire d’infections géographiquement localisées (c’est grosso modo le modèle du VIH). Nous assistons à des épidémies récurrentes d’arboviroses transmises par les moustiques (Dengue, Chikungunya, Zika) sur des zones de plus en plus étendues. La menace des fièvres virales hémorragique (Ebola) est toujours présente. Le réchauffement climatique laisse également craindre, à tort ou à raison, la ré-émergence de virus congelés dans le permafrost.
La menace des épidémies de maladies respiratoires reste très présente, essentiellement du fait des grandes concentrations urbaines et de la proximité des humains avec les espèces animales qui sont souvent des réservoirs de virus. On ne s’étonnera donc pas de voir naître la plupart des épidémies en Asie du Sud ou du Sud-Est, région de très forte concentration humaine et de très grande promiscuité humains/animaux.
Historiquement, l’infection respiratoire la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité demeure la tuberculose, dont le réservoir este exclusivement humain. Certes en régression, elle demeure toutefois bien présente dans de nombreuses régions du monde et a même connu un regain au cours des 40 dernières années lié à la pandémie du VIH. Un traitement médical de plusieurs mois d’antibiotiques combinés reste indispensable pour en assurer la guérison.
1/ Le XXème siècle et le début du XXIème
Les deux derniers siècles ont été marqués par des épidémies de virus grippaux. La contagiosité de ces souches virales est massive. Rappelons les principales vagues:
-Grippe « espagnole » (virus A H1N1) en 1918/1919, dans un monde qui venait de connaître les désastres de la 1ère guerre mondiale. Les diverses évaluations rapportent de 50 à 100 millions de morts
-Grippe « asiatique » en 1957 (virus A H2N2), déjà née en Chine par probable mutation d’une souche virale du canard sauvage. 2 millions de victimes selon l’OMS
-Grippe « de Hong-Kong » en 1968 (virus A H3N2) : autour d’un million de victimes.
-Grippe aviaire de 2004 à 2007, réalité 2 épidémies voisines (H5N1 et H7N7) atteignant les oiseaux sauvages. La transmission à l’être humain est restée très limitée, quelques centaines de victimes tout de même.
-Grippe pandémique de 2009 par réassortiment de la souche A H1N1. La source porcine mexicaine, considérée comme la plus probable, n’a jamais été totalement confirmée ; Mortalité en France (probablement sous-estimée par biais de sous-déclaration) 350 personnes. (BEH 2011, n°1) Campagnes de vaccination massive en France selon les recommandations de l’OMS. Atteinte plus spécifique des sujets jeunes (du fait d’une moindre immunité acquise contre les souches antérieures de H1N1).
En dehors de ces vagues liées à l’émergence de nouvelles souches virales, les virus grippaux traditionnels circulent dans le monde entier en saison froide et connaissent des réaménagements génétiques qui nécessitent une adaptation annuelle des formules vaccinales. Les données du réseau Sentinelles montre que les épidémies durent en moyenne 9 semaines, extrêmes 4 à 16 semaines en France.
2/ La famille des coronavirus
Depuis 2003, l’attention s’est portée sur une autre famille virale, celle des coronavirus (nom donné du fait de l’aspect « en couronne » de leur virion en microscopie électronique). Il en existe quatre sous-types traditionnellement connus pour donner des infections bénignes des voies respiratoires supérieures chez l’homme et diverses affections animales. Ils sont de taille supérieure aux virus de la grippe et se transmettent par projection de gouttelettes issues de la toux ou des éternuements ou bien par contact avec des objets ayant reçu lesdites projections.
Un foyer chinois d’une infection respiratoire beaucoup plus sévère, appelée Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) est apparu en 2002 et s’est répandu à travers le monde en 2003, avant de disparaître. Il s’agissait d’un nouveau variant de coronavirus. Les caractéristiques comportaient une létalité élevée 15%, voire 50 % après 65 ans cas. Au total l’OMS a signalé plus de 800 cas et un peu moins de 800 décès. Le réservoir naturel provenait des chauves-souris et l’intermédiaire avec l’espèce humaine s’est révélé être la civette palmiste, animal sauvage consommé au sud de la Chine. La diffusion mondiale a suivi les migrations aéroportuaires. A l’époque, les autorités chinoises avaient été critiquées pour leur absence de communication de données scientifiques et épidémiologiques et ce manque de transparence a été considéré comme dommageable vis-à-vis de la diffusion mondiale de l’épidémie.
En 2012, détection d’un nouvelle flambée virale par un nouveau variant des coronavirus, qui fut baptisé MERS-CoV (pour Middle East Respiratory Syndrom), caractérisé par une létalité élevée (35% pour l’OMS), et par la fréquence des symptômes digestifs associés à la défaillance respiratoire. Le virus est également dans ce cas d’origine animale, chauve-souris à nouveau, l’hôte intermédiaire identifié fut le dromadaire. 80 % des cas en Arabie Saoudite. La transmission interhumaine semble possible mais faible et les infections asymptomatiques nombreuses. Si l’épidémie semble se poursuivre à bas bruit, l’explosion épidémique redoutée du fait des grandes concentrations humaines liées au pèlerinage de la macque ne s’est heureusement pas produite.
3/ Le 2019-nCoV
L’affaire est connue de tous car, à la différence de 2003, les autorités chinoises ont très vite communiqué autour de l’émergence de cette nouvelle flambée épidémique, avec une alerte à l’OMS dès le 31/12/2019 alors que les cas princeps ne remontaient qu’à 3 semaines auparavant. Il s’agissait de des cas groupés de pneumonie virale chez des personnes ayant fréquenté le « seafood market » de la ville de Wuhan en Chine centrale, ville de 11 millions d’habitants, au centre d’un important réseau de communications multimodales, et dont les liens importants avec la France ont été relevés par les commentateurs, pour des raisons industrielles, commerciales et universitaires. L’OMS a très vite communiqué par le biais de conférences de presse, l’équipe médicale chinoise a très vite émis sa publication princeps dans le numéro en ligne du 24 janvier 2020 du Lancet, comportant étude clinique des premiers cas et séquençage du génome viral en PCR : Clinical features of patients infected with 2019 novel coronavirus in Wuhan, China (Chaolin Huang et coll. Clinical features of patients infected with 2019 novel coronavirus in Wuhan, China. Lancet 2020). L’origine, une fois de plus animale, n’a pas encore été complètement identifiée. Des arguments solides tendent à orienter vers le rôle du pangolin, un mammifère recherché pour sa chair et ses écailles. La séquence clinique est essentiellement celle d’une une affection respiratoire mais de véritables pneumonies sont possibles et il semble exister sur les premiers cas une surreprésentation dans cette publication initiale d’association à des terrains de diabète et/ou de maladies cardio-vasculaires. Avec le recul, la maldie virale chez l’enfant ne semble pas donner lieu à une gravité quelconque
A la date de rédaction de cette version de l’article, 85700 cas ont été notifiés (1750/j) par l’OMS, les décès rapportés sont de 2920 dont 2830 en Chine continentale, des cas ont été décrits dans 53 pays chez des patients ayant séjourné ou vécu dans la zone chinoise considérée comme l’épicentre, 57 en France à ce jour. La transmission interhumaine est très probable. Le mois de février 2020 a vu se développer, à partir de cas princeps (le célèbre patient 0) des foyers secondaires dans de nombreux pays, dont en Europe, l’Italie et la France. La prise en considération de l’évolution du nombre de décès amène la constatation que la mortalité diminue au fur et à mesure des rapports de l’OMS pour tendre vers un taux de mortalité inférieur ou égal à 1%, proche de celui d’autres infections respiratoires virales telles que la grippe saisonnière. La question principale est celle de notre méconnaissance du dénominateur, c’est-à-dire du nombre de porteurs du virus. Le taux de personnes asymptomatiques (ou très peu symptomatiques) pourrait atteindre ou dépasser 30 %, ce qui tire bien évidemment les taux de morbimortalité vers le bas.
Au plan transmission, le modèle « gouttelettes » a été retenu. On admet actuellement qu’une personne porteuse du virus va infecter en moyenne 2 à 3 personnes. Il existe probablement des personnes hyperinfectantes du fait de leur toux expectorative. Les statisticiens exploiteront certainement à fond l’aventure du navire « Diamond Princess » isolé en quarantaine au large de Yokohama en février 2020 du fait de la survenue d’un foyer épidémique à bord. On ne sait toujours pas si les personnes asymptomatiques en cours d’incubation sont susceptibles de transmettre le virus, cela apparaît toutefois peu probable si elles ne toussent pas. La fièvre semble fréquente mais pas systématique et peut être combattue par les antipyrétiques habituels, ce qui rend peu productif la détection par contrôle thermique. De même, la fermeture des frontières n’a aucun sens sauf à provoquer une paralysie totale des échanges humains puisque le total des personnes en cours d’incubation (5 à 14 jours) et des personnes asymptomatiques dépasse celles des personnes malades. La prévention de transmission comporte les meures barrières habituelles : protection de la bouche et du nez quand on tousse ou éternue, port d’un masque anti-projections (chirugical) chez les personnes atteintes d’une infection respiratoire, et en zone d’exposition animale, cuisson suffisante de la viande et des œufs (OMS).
D’importantes dispositions d’isolement de la zone Wuhan-Wenzhou ont été prises par les autorités chinoises fin janvier 2020, la France s’est engagée peu après dans une voie de rapatriement et confinement de trois semaines pour ses ressortissants de la zone. L’OMS a franchi plusieurs pas supplémentaires de mobilisation en décrétant l’USPPI (urgence de santé publique de santé internationale), de façon à montrer sa mobilisation et indirectement et diplomatiquement, de rappeler aux autorités chinoises leurs obligations.
Il était évident dès janvier 2020 que d’autres développements allaient intervenir au cours des semaines suivantes et il paraissait difficile d’aller plus loin, sinon se référer aux modèles épidémiologiques des infections respiratoires mais on a vu que les caractéristiques de transmission et de virulence de chaque souche peuvent modifier le modèle, de même que la pertinence des mesures prises pour y faire face.
Insistons un instant sur le problème du diagnostic de l’affection COVID-19. Le critère initialement retenu de contact direct ou indirect avec la Chine a perdu son sens initial du fait des foyers nationaux. L’identification clinique ou paraclinique n’est guère possible par rapport aux autres infections respiratoires virales. Tout repose donc sur le diagnostic virologique d’identification du génome viral par PCR sur les produits d’expectoration ; celui-ci est indispensable chez les patients sévères pour permettre la mise en place de thérapeutiques dans le cadre d’essais contrôlés. Chez les autres, ce diagnostic n’aura d’intérêt que statistique et il faudra probablement apprendre à s’en passer.
Au plan thérapeutique, différents essais sont en cours. Un traitement par Chloroquine, médicament anti-paludéen très répandu et doté de propriétés antivirales déjà identifiées, testé par plusieurs équipes chinoises a fait couler beaucoup d’encre mais les conditions méthodologiques de ces essais ne permettent absolument pas de conclure quoique ce soit.
4/ La situation en France
En France, le Ministère de la santé, la Direction Générale de la Santé sont très présents et communiquent beaucoup sur ce front, prennent des initiatives telles le rapatriement et l’isolement des ressortissants cité plus haut. Depuis l’épisode de la canicule de 2003 et ses funestes conséquences, les gouvernants se montrent toujours très actifs, voire activistes de façon pas forcément dénuée d’arrière-pensées électoralistes.
Cette crise sanitaire intervient dans un contexte particulier :
-Tout d’abord épidémiologique : notre pays est traversé comme d’habitude en cette période de l’année par une épidémie de grippe saisonnière en très forte augmentation lors des semaines en cours (voir Santé Publique France, Bulletin Grippe Hebdomadaire, 2020, n°4) et de nombreux hôpitaux ont dû se déclarer « en tension », ce qui signifie ni plus ni moins travailler plus, voir ré-ouvrir des lits sans moyens supplémentaires.
-Ensuite social et politique. L’hôpital public est exsangue du fait de son mode de financement et des vagues austéritaires successives, le ras-le-bol des soignants de toutes les professions s’exprime par les innombrables mouvements de grève et de manifestations de tous les personnels, ainsi que les positions de plus en plus critiques des médecins hospitaliers (démissions, grève du codage,…). Ce grand mouvement social durablement installé, trouve un écho particulier avec le mouvement social national contre le projet gouvernement rétrograde de réforme des retraites. Hasard ou pas, le gouvernement choisit d’annoncer l’usage du dispositif constitutionnel 49-3 au même moment où il intensifie les mesures pour faire face à l’extension de l’épidémie.
-Or, il apparaît à l’évidence, comme à chaque fois que se produit une urgence sanitaire, que c’est l’Hôpital Public et le SAMU, et personne d’autre, notamment pas le secteur privé lucratif qui se trouvent à devoir à supporter la gestion et la prise en charge d’une extension de la pandémie de COVID-19 en France, hypothèse qui devient de plus en plus probable.
-S’y préparer c’est donc aussi se mobiliser pour un grand plan de dotation d’urgence des Hôpitaux publics comme le demandent les personnels médicaux et non-médicaux . Il apparaît également essentiel de protéger les soignants contre le virus car leur mise à l’écart en cas de maladie appauvrit des équipes déjà en effectifs insuffisants au départ. Dans l’état actuel de la situation, la juxtaposition des deux épidémies, grippe et COVID se révèlent insupportable pour notre système hospitalier. Une nouvelle orientation de la gestion de l’épidémie semble utile pour rationaliser la prise en charge des personnes infectées, l’immense majorité pouvant probablement rester chez elles, réservant l’hospitalisation aux cas les plus graves.
Carte répertoriant tous les cas confirmés à travers la planète, ainsi que ceux suspectés, en temps réel, consultable sur ce site.
Bibliographie complémentaire
https://www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/situation-reports/
https://www.who.int/wer n°9, 2020,95, p 87
https://rdcu.be/b2lDK (Jin, Y., Cai, L., Cheng, Z. et al. A rapid advice guideline for the diagnosis and treatment of 2019 novel coronavirus (2019-nCoV) infected pneumonia (standard version).
Military Med Res 7, 4 (2020). https://doi.org/10.1186/s40779-020-0233-6
Un tres bon article .