Nanomatériaux, santé et environnement, Aurélie Biancarelli-Lopes*

Depuis la fin des années 1990, les nanomatériaux ont intégré petit à petit les produits de la vie courante, et depuis quelques années leur présence soulève la question de leur impact sanitaire. Les études de toxicité ont-elles été menées avant mise sur le marché?

*Aurélie BIANCARELLI-LOPES est docteure en physique des nanomatériaux.


Dioxyde de titane, oxyde de zinc, argent…, ces différents matériaux sont présents à l’échelle nanoscopique dans de nombreux produits du quotidien : votre pharmacie, vos aliments, le bâtiment ou le textile.

NANOMATÉRIAUX, NANOPARTICULES… MAIS QU’EST-CE QUE C’EST?

Selon une définition proposée en 2011 par la Commission européenne, les nanomatériaux (formés naturellement, accidentellement ou manufacturés) sont constitués de particules dont au moins 50 % d’entre elles ont une dimension externe inférieure à 100 nm1. Il existe le même ordre de grandeur entre notre Terre et un ballon de football qu’entre ce même ballon et une particule de fullerène. C’est cette taille, infiniment petite, qui confère à ces corps leurs propriétés physiques et chimiques particulières. Pour des cas spécifiques, en particulier tenant à la protection de l’environnement et/ou de la santé, le seuil de 50 % fixé peut être remplacé par un seuil compris entre 1 % et 50 %.

La loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement a fixé les objectifs d’obtenir :
– une meilleure connaissance des nanomatériaux, à savoir leur identité, les quantités manipulées, et les différents usages et domaines d’application;
– leur traçabilité depuis le fabricant ou l’importateur jusqu’au distributeur auprès du dernier utilisateur professionnel2 ;
– le rassemblement des connaissances sur les nanomatériaux en vue de l’évaluation des risques et de l’information du public.

La loi introduit les articles L.523-1 et suivants du Code de l’environnement qui font obligation aux industriels qui importent ou distribuent au moins 100 g par an d’un produit nano-particulaire de déclarer leurs activités. En application depuis 2013, cette déclaration se fait auprès de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Il y a environ 260 entreprises qui déclarent utiliser ces nanomatériaux sur le territoire national.

LES NANOPARTICULES DANS NOTRE ALIMENTATION

En France, l’arrêté du 5 mai 2017 fixant les conditions d’étiquetage des nanomatériaux manufacturés dans les denrées alimentaires a été publié au Journal officiel du 10 mai : « Tous les ingrédients des denrées alimentaires qui se présentent sous forme de nanomatériaux manufacturés sont indiqués clairement dans la liste des ingrédients. Le nom des ingrédients est suivi du mot “nano” entre crochets. » Ainsi, les industriels du secteur doivent mentionner clairement la présence de telles particules dans leurs produits : boissons, alimentations, produits biocides (présents dans les insecticides, désinfectants et jusque dans les vêtements « innovants »). Un rapport de la Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) de 2017 montrait, que sur la soixantaine de produits testés, un seul était en règle.

Or les risques pour la santé diffèrent en fonction de la nature chimique des nanoparticules, de leur taille ou encore de leur forme. Il faut donc les examiner au cas par cas avant d’affirmer qu’une nanoparticule est toxique. Un travail colossal qui ne fait que commencer. Ces études de toxicité systématique avant toute mise sur le marché pourraient se faire sur le modèle du règlement REACH, qui concerne les produits chimiques. En attendant, le renforcement de la traçabilité et de la réglementation sont indispensables afin que les consommateurs soient informés et sachent ce qu’ils utilisent dans leur cuisine ou leur salle de bains3.

NANOPARTICULES DANS L’AIR AUSSI

Le 16 juillet 2019, l’Anses publia un rapport sur les effets sur la santé de certaines composantes des particules de l’air ambiant ; avec des niveaux de preuves forts, elle relevait que ces composantes étaient liées à des atteintes respiratoires et cardiovasculaires ainsi qu’à des décès prématurés. Les niveaux de preuves les plus élevés concernent en particulier trois types de particules actuellement non réglementées : les particules ultrafines, ou nano particules (dont la taille est inférieure au nanomètre dans l’une des trois directions de l’espace), le carbone suie et le carbone organique. L’Anses recommande d’ailleurs de cibler en particulier dans les politiques publiques ces trois particules en complément des indicateurs déjà suivis : PM10 (inférieur à 10 μm [micromètre]) et PM2,5 (inférieur à 2,5 μm). Ces nanoparticules sont particulièrement dangereuses en raison de leur très petite taille. À la différence des PM10 et PM2,5, qui restent bloquées respectivement aux niveaux des voies respiratoires et des alvéoles pulmonaires, elles peuvent passer dans le sang.

Comme pour les nanoparticules que nous avons décrites plus haut, plusieurs études pointent leur capacité à passer la barrière placentaire ou la barrière encéphalique. Le rapport d’expertise présente ainsi les effets néfastes sur la santé les mieux documentés : pathologies respiratoires (asthme, cancer…), maladies cardio-vasculaires (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral) et décès prématurés : en France, entre 48 000 et 60000 morts anticipées par an sont imputables à la pollution de l’air. Des effets similaires sont mis en évidence pour le carbone suie et le carbone organique. Si aucune étude n’a jamais démontré leur innocuité pour la santé, plusieurs pointent des risques variés. Cependant, toutes ces études s’accordent sur un point, il est impossible de faire des généralités sur les nanoparticules et leurs impacts.

L’industrie des nouvelles technologies utilise beaucoup de composants nano-électroniques (nanotubes de carbone pour transistors, graphène transistors…).

DEPUIS QUATRE-VINGTS ANS !

En 1939, Bertolt Brecht écrivait dans l’Achat du cuivre ces mots qui, hélas, n’ont rien perdu de leur actualité : « Plus nous arrachons de choses à la nature grâce à l’organisation du travail, aux grandes découvertes et inventions, plus nous tombons, semble-t-il, dans l’insécurité de l’existence. Ce n’est pas nous qui dominons les choses, semble-t-il, mais les choses qui nous dominent. Or, cette apparence subsiste parce que certains hommes, par l’intermédiaire des choses, dominent d’autres hommes. Nous ne serons libérés des puissances naturelles que lorsque nous serons libérés de la violence des hommes. Si nous voulons profiter en tant qu’hommes de notre connaissance de la nature, il nous faut ajouter à notre connaissance de la nature la connaissance de la société humaine. »

LES NANOPARTICULES DANS LA VIE DE TOUS LES JOURS

Depuis une vingtaine d’années, les nanoparticules sont présentes dans la chaîne alimentaire (de la préparation des aliments à l’emballage) sans qu’aucune étude de leur impact sur la santé n’ait été menée. Le dioxyde de titane (TiO2) est présent dans un grand nombre de produits : crème solaire, pour sa capacité à protéger des rayons UV, ou chewing-gum et bonbons, sous le nom de E171, comme colorant. Les nanoparticules d’argent sont incorporées dans les emballages alimentaires pour leurs propriétés bactéricide et antifongique. Ces substances peuvent passer la barrière cutanée et se retrouver dans le système sanguin ou lymphatique et ainsi se déposer dans les organes. Certaines peuvent traverser les barrières encéphalique ou placentaire et ainsi atteindre le cerveau ou le foetus. L’exposition régulière au TiO2 ou aux nanoparticules d’argent impacte l’ensemble du système digestif (risque de cancer du côlon, perturbation de la flore intestinale…). Des nanoparticules de TiO2 ont été retrouvées dans des prélèvements postmortem de foie et de rate chez l’homme. Face à l’ensemble de ces risques, le TiO2 sera interdit comme additif alimentaire à partir de janvier 2020.

DES ORIGINES VARIÉES…

Ces pollutions proviennent majoritairement du trafic routier. Malgré les évolutions technologiques, comme la généralisation des filtres à particules ou le recul des motorisations Diesel, la diminution des pollutions constatées n’est ni satisfaisante ni suffisante pour améliorer la qualité de l’air que nous respirons dans les agglomérations. Ainsi les recommandations de l’OMS en matière d’exposition au PM2,5 ne seront-elles pas atteintes à l’horizon 2025 sur la quasi-totalité du territoire.

Dans ses recommandations, l’Anses propose un scénario ambitieux pour répondre aux enjeux sanitaires et environnementaux : réduire de 30 % d’ici à 2025 les émissions de carbone suie et de PM2,5. Ce scénario se fonde sur une promotion importante des véhicules électriques en zone urbaine et une réduction de trafic routier encouragée par le renforcement des transports en commun, de l’intermodalité et des modes actifs de transports. Si les recommandations de l’Anses ne vont pas plus loin, on peut ajouter à cela le développement du fret ferroviaire et fluvial pour le transport des marchandises. Pierre Dharréville, député de la 13e circonscription des Bouches-du-Rhône, a interpellé dans ce sens Élizabeht Borne, ministre de Transition écologique et solidaire. Il s’agit aujourd’hui d’être vigilant tant sur les pollutions et leurs impacts que sur les moyens alloués aux organismes chargés de les surveiller (comme AirParif, par exemple).

Toutes ces observations conduisent logiquement à des craintes autour des nanoparticules et, comme nous l’avons vu, si aucune étude n’a jamais démontré leur innocuité pour la santé, plusieurs pointent des risques variés. Il s’agit aujourd’hui d’interroger de façon cohérente et démocratique les modes de production : a-t-on besoin de TiO2 dans nos bonbons ou de conserver plus longtemps des denrées alimentaires plutôt que de nous tourner vers une alimentation moins transformée, plus saine et abordable pour toutes et tous ? A-t-on besoin de voitures individuelles ou d’une politique de transports en commun ambitieuse ?

Il n’y a pas de réponse simple et toute faite à ces questions. Il faut cependant mener le débat : industriels, scientifiques, ingénieur( e)s, citoyen(ne)s, salarié(e)s doivent prendre part aux processus d’élaboration et de décision qui construiront les politiques de développement des nanotechnologies.

1. Le nanomètre (symbole nm) vaut 10-9 mètre, soit un milliardième de mètre.
2. https://www.ansm.sante.fr/L-ANSM/Nanotechnologies/Nanotechnologies-et-produits-de-sante/Definition-des-nanomateriaux-Recommandations-de-la-Commission-europeenne
3. https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/controle-presence-nanoparticules-dans-produits-alimentaires-et-cosmetiques-par-dgccrf

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