Les transports en Ile de France: un siècle de retard à rattraper, Jacques Baudrier*

La région connaît un siècle de retards d’investissements qu’il est impératif de rattraper. Cela fait beaucoup, cela peut même faire peur. Mais c’est la situation dans laquelle se trouvent les transports publics en Île-de-France.

*Jacques BAUDRIER est conseiller de Paris (PCF) et administrateur d’Île de France Mobilités.


UN PEU D’HISTOIRE

La France, Paris et l’Île-de-France ont pris du retard. Entre 1850 et 1900, les pouvoirs publics ont tergiversé, et retardé pendant des décennies le lancement de la construction d’un métro à Paris. En cause la volonté des grandes compagnies de chemin de fer privées de l’époque de mettre la main sur ce nouveau marché. Une volonté qui a rencontré l’opposition des élus locaux, lesquels ont réussi à imposer (et c’est heureux) la construction d’un métro parisien adapté aux besoins des populations. Les choses se débloquent à la fin du XIXe siècle. Et entre 1900 et 1914, Paris connaît l’âge d’or du métro : 91 km et dix lignes sont construits en moins de quinze ans. Une belle dynamique malheureusement cassée net par la Grande Guerre.

Ensuite, l’investissement sur les transports publics repart lentement dans l’entre-deux-guerres, reste très faible dans l’après-guerre. Les années 1960 voient l’avènement des RER, investissement important, même si on se contente pour l’essentiel de relier des voies existantes en en créant trop peu de nouvelles. Et durant les années 1980 et 1990 on en reste à un niveau d’investissement public bas.

Ce qui fait que le 15 mars 2006, quand la décentralisation du Syndicat des transports en Île-de-France est engagée, le constat est dur : le niveau des investissements pour les extensions de réseau est ridicule – seulement 200 millions par an.

RÉALISTES FACE AUX « INCONSCIENTS »

À l’époque, les élus communistes publient un document de référence. Ils alertent sur ce niveau dramatiquement bas. Ils expliquent que les investissements devraient être au moins 10 fois plus importants. Ils affirment qu’il faut investir des milliards par an pour construire une rocade de métro en banlieue, prolonger des lignes de métro, rénover les RER, créer des lignes de trams, de bus en site propre… Et cela ne leur suffit pas : ils souhaitent augmenter l’offre de transport et imposer une tarification sociale avec la gratuité pour tous les bas revenus et un passe Navigo unique.

Et tout cela sur la base de nouvelles ressources. Pour les investissements, une augmentation massive de la taxe locale sur les bureaux, et son extension aux parkings de bureaux et d’hypermarchés, la création d’une ressource dédiée assise sur le trafic aérien. Et pour le fonctionnement (tarification sociale, passe unique), une augmentation importante du versement transport.

Que n’avaient-ils pas dit là ? Évidemment tout le monde les a traités d’inconscients. Comment oser imaginer d’augmenter massivement ces taxes, investir beaucoup plus dans le service public ?

Pourtant, des voix s’élèvent pour soutenir ces propositions. Les collectifs et associations de chômeurs se mobilisent pour la tarification sociale, le passe unique séduit nombre d’usagers. Et du côté des investissements les mobilisations montent : dans le Val de-Marne, à l’initiative de Christian Favier, président du Conseil général, l’association Orbival rassemble les élus toutes tendances confondues, les acteurs associatifs et syndicaux, 60000 citoyens, tous unis pour obtenir ce fameux métro de rocade qui manque tant à la région. En Seine-Saint-Denis, les élus et les populations se mobilisent pour dédoubler la ligne 13. 

SE DONNER LES MOYENS

Et au final, treize ans après, ce sont ces « inconscients » qui auront eu raison. Les investissements dans les extensions de réseaux ont été multipliés par 25, et en 2019 ont atteint 5 milliards d’euros. La construction d’un nouveau réseau de 200 km de métro, le Grand Paris Express, est lancée. Les premiers tunneliers de la rocade autour de Paris sont en chantier, dans le Val-de-Marne, pour réaliser exactement le projet de métro de l’association Orbival. Le chantier du prolongement de la ligne 14 pour désaturer la ligne 13 arrive bientôt à son terme. Le nombre de kilomètres de métro va être simplement doublé en quinze ans, pour passer de 200 à 400 km. Enfin on commence à rattraper le retard accumulé depuis 1914!

Et du côté tarification, plus de 1 million de personnes bénéficient d’une tarification sociale, et tous les Franciliens du passe Navigo unique (vous savez, celui « impossible à financer »).

Et comment tout cela a été financé? Pour l’essentiel, en appliquant les propositions des communistes : augmentation de la taxe locale sur les bureaux, extension aux parkings de bureaux et d’hypermarchés, augmentation du versement transport. Ce qui était fou, inconscient, est devenu la réalité.

Il s’agit d’une victoire politique qu’il ne faut pas mésestimer. Le journal le Monde consacrait récemment une pleine page au recul de l’investissement public en France. Mais reconnaissait que ce recul avait une exception : les transports publics en Île-de-France.

Une première bataille a été gagnée : desserrer le verrou financier pour investir. Tous ces financements nécessitent des votes à l’Assemblée nationale. La première victoire a été obtenue à l’Assemblée fin 2010 avec le vote des premiers financements pour le Grand Paris Express. Et cette première victoire a fait des petits : en 2012, 2014, 2016 et 2018. À quatre autres reprises, l’Assemblée a accru les financements pour les transports publics en Île-de-France. Même le « nouveau monde » macronien a dû céder à la pression et accorder de nouvelles recettes en novembre 2018.

Il manque des moyens pour investir pour les RER, et financer plusieurs prolongements de lignes du métro et de tramways

POUR AMÉLIORER ENCORE

Car tout n’est pas gagné, très loin de là. Il y a encore énormément à faire pour assurer aux Franciliens de bonnes conditions de transport.

Il faut d’abord s’assurer que tous les investissements programmés seront bien réalisés. Le gouvernement commence déjà à vouloir faire des « économies » sur le Grand Paris Express. Mieux gérer les chantiers, oui ; déshabiller les projets, non ! Il faut continuer à conquérir de nouveaux financements. 5 milliards par an ne suffisent en fait pas, il en faudrait plutôt 6 milliards par an. Il manque des moyens pour investir pour les RER, pour financer plusieurs prolongements du métro et de tramways, et pour les réaménagements de nœuds ferroviaires.

Il faut aussi et surtout affronter de nouveaux dangers que comporte la privatisation de nos entreprises publiques. Le pouvoir, qui applique avec zèle les directives pondues à Bruxelles, entend privatiser à marche forcée la RATP et la SNCF grâce à la mise en concurrence systématique de tous les réseaux (bus, trams, métros, RER…). Une catastrophe sociale et aussi et surtout pour le fonctionnement des réseaux, qui seraient complètement désorganisés.

La bataille de l’investissement pour les transports a été en partie gagnée, mais absolument pas celle de l’aménagement. L’Île-de-France est toujours livrée au marché, et on continue à empiler les tours à La Défense, à concentrer les emplois au même endroit, avec comme conséquence des réseaux de transport saturées, des banlieues toujours plus dortoirs en grande couronne et des zones reléguées.

AUTRES MODES DE MOBILITÉ

Il n’y a pas que les transports publics à aider. L’Île-de-France est très en retard du point de vue du vélo et des modes doux. La part du vélo dans les déplacements franciliens n’est que de 2 %, ce qui est ridicule par rapport à nombre de grandes villes du nord de l’Europe ou d’Italie, et même de Strasbourg, Bordeaux ou Grenoble (où elle est de 8 % minimum). Il faut investir massivement pour un réseau cyclable de qualité : 200 à 300 millions d’euros sont nécessaires sur dix ans. C’est bien moins que les investissements pour les transports publics. Et pourtant c’est au moins aussi important. Nous nous battons en tant qu’élus communistes au conseil d’administration d’Île-de-France Mobilités pour augmenter les investissements vélo. Nous avons obtenu quelques avancées, mais nous sommes encore très très loin du compte.

Il y a pourtant urgence à gagner la bataille contre la pollution de l’air. Celle-ci est responsable de plus de 6 000 décès prématurés en Île-de-France chaque année. Il faut réduire la part de la voiture, et donc augmenter massivement la part des transports publics (21 % actuellement) et du vélo (2 %) dans les déplacements.

Avec tous les investissements engagés, nous pouvons espérer atteindre à terme 30 % pour les transports publics. Et pour ce qui est du vélo, atteindre 10 %, voire plus, serait encore plus rapide (et moins onéreux). Nous ne gagnerons la bataille contre la pollution qu’en gagnant la bataille des transports publics et du vélo.

Pour gagner ces batailles, nous pouvons nous appuyer sur des acteurs et des mobilisations sociales importants. Les syndicalistes des entreprises de transports publics, RATP comme SNCF, sont très actifs ; et il faut être encore plus à leurs côtés au moment où la privatisation menace. Les associations d’usagers de transports sont mobilisées, mais il faudrait qu’elles soient plus puissantes. Les associations de cyclistes gagnent beaucoup de militants, comme l’atteste la création récente d’un collectif Vélo en Île de- France. Autant d’acteurs qu’il faut rassembler pour imposer une Île de- France sociale et écologiste.

Et enfin, il nous faut nous fixer de nouveaux objectifs très conséquents, pour une vraie révolution du mode de vie urbain et de la société. Dans le domaine des transports publics, la bataille à gagner est celle de la gratuité des transports. De plus en plus de villes ont franchi le pas, plus d’une quarantaine en France. En Île-de-France, grâce aux victoires successives, plus de 1 million de personnes (allocataires du RSA, personnes âgées à bas revenus…) bénéficient de la gratuité.

GRATUITÉ POUR LES MOBILITÉS

À l’horizon 2030, quand seront en service toutes les lignes du Grand Paris Express et que la capacité du réseau sera beaucoup plus grande, nous devons nous donner l’objectif de la gratuité pour toutes et tous, en la finançant par une nouvelle augmentation du versement transport. Cela dit, nous pouvons remporter plus rapidement de nouvelles victoires dans le domaine, comme obtenir la gratuité pour 3 millions de voyageurs supplémentaires, soit tous les moins de 18 ans et les personnes à bas revenus, un financement de 350 millions par an et sa mise en place très rapide. Nous avons gagné 200 km de métro supplémentaires.

Nous allons préserver nos entreprises publiques.

Nous allons gagner la gratuité des transports.

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