La rénovation thermique des bâtiments, un enjeu pour les communes, Alain Tournebise*

Les politiques publiques en matière d’efficacité énergétique relèvent de la méthode Coué. Les résultats sont loin des nécessités de la lutte pour le climat et de la justice sociale. Il est urgent de mettre en place un véritable service public de la performance énergétique de l’habitat. Les communes peuvent y contribuer.  

*Alain TOURNEBISE est ingénieur Supélec.


Le secteur du bâtiment, premier consommateur d’énergie en France, devant les transports et l’industrie, et fort émetteur de gaz à effet de serre, représente un gisement prioritaire d’économies d’énergie et de créations d’emplois. Les bâtiments résidentiels représentent deux tiers de l’énergie consommée dans le secteur du bâtiment, soit 30 % de la consommation d’énergie ; le tiers restant correspond à l’énergie consommée par les bâtiments tertiaires, soit près de 15 % de la consommation hexagonale.

Cela s’explique principalement par la part importante de logements anciens. En effet, ceux-ci constituent plus de la moitié du parc de logements, et sont de gros consommateurs d’énergie, entraînant ce qu’il est convenu d’appeler une précarité énergétique massive, qui touche d’abord les plus pauvres.

Près de 3,3 millions de ménages, représentant 6,7 millions d’individus, étaient en précarité énergétique en 2017, soit 10 % de la population. Parmi les foyers des trois premiers déciles des revenus, ceux qui se trouvent en précarité énergétique perçoivent en moyenne 15000 € par an, contre 21 000 € en moyenne pour les autres ménages des trois premiers déciles. Leur dépense énergétique annuelle moyenne est de 1623 € par an, contre 1 045 € pour les autres foyers des trois premiers déciles ; 78 % des foyers du premier décile des revenus sont en précarité énergétique, tout comme 42 % des familles monoparentales.

Améliorer l’efficacité énergétique des logements par leur rénovation thermique est donc non seulement un enjeu écologique, mais aussi un enjeu économique et social.

DES POLITIQUES INEFFICACES

Face à ce constat, il faut bien admettre que les politiques publiques n’ont brillé ni par leur détermination ni par leur efficacité. Depuis dix ans, les plans se sont succédé, tous marqués par de objectifs velléitaires peu couronnés de succès. Citons notamment :

1. Le Grenelle de l’environnement en 2008 puis le plan de rénovation énergétique de l’habitat (PREH), lancé le 21 mars 2013, qui a fixé les objectifs annuels attendus en matière de rénovation de logements :
– à compter de 2014, 180000 logements privés, dont 38000 occupés par des habitants en situation de précarité, auxquels s’ajoutent 90000 logements sociaux ;
– à compter de 2017, 380000 logements privés, dont 50000 occupés par des habitants en situation de précarité, auxquels s’ajoutent 120000 logements sociaux.

2. La loi de transition écologique votée le 17 août 2015, dont l’article 3 affirmait : « La France se fixe comme objectif de rénover énergétiquement 500000 logements par an à compter de 2017, dont au moins la moitié est occupée par des ménages aux revenus modestes, visant ainsi une baisse de 15 % de la précarité énergétique d’ici 2020. » Et l’article 5 : « Avant 2025, tous les bâtiments privés résidentiels dont la consommation en énergie primaire est supérieure à 330 kilowattheures d’énergie primaire par mètre carré et par an [les précaires énergétiques, NDLR] doivent avoir fait l’objet d’une rénovation énergétique. »

3. Le 26 avril 2018, Nicolas Hulot présentait son plan national de rénovation énergétique des bâtiments. Ce plan fixait l’objectif « d’éradiquer d’ici dix ans » (soit 2028) 1,5 million de logements inefficaces (de classe énergétique F et G) habités par des propriétaires aux faibles revenus. Il présentait diverses actions et un calendrier pour atteindre ce nouvel objectif, en recul par rapport à la loi de transition énergétique de 2015, qui prévoyait la rénovation d’ici à 2025 de la totalité des 7 millions de « passoires énergétiques ».

OÙ EN EST-ON EN RÉALITÉ ?

Force est de constater qu’une fois encore les objectifs ne sont pas tenus, comme cela a été chaque année le cas depuis le Grenelle de l’environnement qui en fixait déjà en… 2008.
L’observatoire censé suivre ces mesures et effectuer un suivi statistique n’a même pas été créé. Il est donc difficile, voire impossible, d’avoir une appréciation exacte des résultats de ces politiques publiques. On peut toutefois citer les résultats de deux programmes nationaux qui font l’objet d’un suivi statistique par les organismes qui en sont en charge.

Depuis sa création, en 2011, le programme Habiter mieux, développé par l’Agence pour l’amélioration de l’habitat, a permis la rénovation de plus de 300000 logements. Mais si les objectifs de 150 711 logements bénéficiant d’une rénovation énergétique dans le cadre du programme fixé par la convention État-ANAH pour la période 2010-2015 ont presque été atteints, avec 150 247 logements effectivement réhabilités, la cible de 300000 logements à rénover sur la période 2010-2017 s’est révélée trop ambitieuse. Ce constat s’est vérifié tout d’abord avec l’année 2016, qui a comptabilisé 40 726 logements rénovés pour un objectif porté à 70000 logements par la circulaire de l’ANAH du 24 avril 2016, soit un taux de réalisation de 58,2 %. Il en est allé de même pour l’année 2017, qui a atteint 52266 logements pour une cible de 100000, soit un taux de réalisation de 52 % seulement.

Isolation thermique de façade d’un bâtiment.

La rénovation des maisons individuelles fait l’objet d’une enquête périodique de l’ADEME, l’enquête TREMI (travaux de rénovation des maisons individuelles). La dernière édition (2017) est édifiante : « Selon l’enquête TREMI, pendant la période 2014-2016, 5,1 millions de ménages en maisons individuelles ont réalisé des travaux, dont au moins un geste s’est terminé en 2016 (soit 32 % du parc de maisons françaises). 260000 de ces rénovations ont permis un gain énergétique représentant 2 classes énergétiques DPE ou plus. » Autrement dit, la rénovation thermique des maisons individuelles se fait à un rythme de l’ordre de 0,6 % du parc par an.

POURQUOI UN TEL FIASCO ?

Les raisons sont évidemment multiples, mais elles peuvent se synthétiser dans un constat commun : l’absence d’un véritable service public de l’efficacité énergétique. La rénovation thermique des bâtiments est une activité complexe qui requiert des acteurs et des compétences multiples. Elle doit se fonder sur un diagnostic circonstancié, sur des préconisations techniques adéquates, sur la réalisation de travaux de qualité et des financements adaptés aux possibilités des occupants. Or, de l’avis de tous les observateurs, dans aucun de ces domaines les pouvoirs publics n’ont réussi à créer les structures satisfaisantes.

Commençons par les entreprises. Le secteur de la rénovation énergétique est caractérisé par des pratiques contestables qui s’étendent du démarchage agressif des consommateurs, par téléphone ou à domicile, aux pratiques commerciales trompeuses (fausses allégations sur la qualité des artisans ou sur les performances des travaux), en passant par l’usurpation des signes distinctifs des services publics et du label RGE.

Ainsi, 1770 plaintes de consommateurs ont été recensées sur le secteur de la rénovation énergétique par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) entre août 2018 et août 2019. Ce chiffre est en hausse de plus de 20 % par rapport à l’année précédente et touche plus particulièrement les bénéficiaires d’offres très incitatives, avec des restes à charge très faibles (offres dites « à 1 € »).

Sur l’ensemble de l’année 2018, la DGCCRF a été amenée à contrôler, notamment sur la base des plaintes des consommateurs, 469 établissements (entreprises du bâtiment, prestataires, démarcheurs, sous-traitants, artisans, associations, établissements de crédit, sociétés de domiciliation, etc.). Dans plus de la moitié des cas, une anomalie a été relevée, le plus souvent des pratiques commerciales trompeuses et un non-respect des règles en matière de vente hors établissement commercial ou d’information sur les prix et des conditions de vente.

Il existe pourtant un label, le label RGE (reconnus garants de l’environnement), supposé garantir au consommateur le niveau de qualité des professionnels de la rénovation. En 2016 l’UFC-Que choisir a testé les professionnels RGE sur dix maisons à rénover, partout en France, et fait faire une contre-expertise par le cabinet d’ingénierie Enertec, qui a également jugé les prix des devis. Bilan : seuls 9 % des professionnels RGE ont inspecté correctement le logement, et aucun n’a fait de préconisations pertinentes de travaux, leur priorité allant à ceux ressortissant à leur spécialité ; 97 % des devis étaient non conformes à la loi en termes de présentation et d’informations y figurant, « ce qui peut priver les consommateurs des aides publiques », prévient l’UFC.
Plus alarmant, 71 % des devis ne mentionnaient pas le nom de la compagnie d’assurance du professionnel… Les prix, eux, se sont révélés disparates et très supérieurs à ceux des artisans les plus efficaces (120 % à 175 % de surcoût pour l’isolation des combles, par exemple).

Quant aux financements, les observateurs s’accordent à reconnaître qu’ils sont compliqués, peu lisibles, inadaptés et, de plus, en baisse.
Compliqués, parce que les aides au financement et les acteurs sont multiples : État, ADEME, ANAH, énergéticiens, banques publiques, collectivités, etc., et mal connus. Selon une étude Opinion Way-Teksial rendue publique en novembre 2018, 78 % des Français sont incapables de citer une seule subvention, comme le crédit d’impôt à la transition énergétique, l’éco-prêt à taux zéro ou encore le certificat d’économie d’énergie. Les prêts proposés par la Caisse des dépôts sont si inadaptés aux besoins des collectivités qu’ils sont quasi inutilisés (6 millions d’euros distribués sur les 2 milliards prévus pour la période 2018-2022).

En outre, le principal dispositif, le crédit d’impôt transition énergétique (CITE), est en diminution en raison des coupes claires votées en décembre 2018. Il est ainsi passé de 1,8 milliard d’euros en 2018 à 1 milliard dans la loi de finances pour 2019, les deux autres principaux financements publics (l’éco-prêt à taux zéro et le programme Habiter mieux, conduit par l’ANAH en direction des ménages à faibles revenus) étant de leur côté restés stables.

VERS UN VRAI SERVICE PUBLIC

Pourtant, la loi de transition énergétique prévoit la création d’un service public pour informer, conseiller et accompagner les ménages tout au long de leur parcours de rénovation.
Créé initialement par la loi Brottes, en 2013, et précisé par la loi de transition énergétique en 2015, le service public de la performance énergétique de l’habitat (SPPEH) vise à accompagner l’amélioration de l’efficacité énergétique des logements français en vue de réduire leur facture d’énergie et l’impact environnemental.

Or, dans les faits, ce service public n’a pas réellement été mis en place. La loi de transition se contente d’instaurer une véritable usine à gaz, aux compétences limitées à l’information et au conseil et sans moyens à la hauteur de l’enjeu, mais en s’appuyant notamment sur les finances des collectivités locales. Qu’on en juge à la lecture de cet extrait de l’article L. 232-2 du Code de l’énergie) :
« Le service public de la performance énergétique de l’habitat s’appuie sur un réseau de plateformes territoriales de la rénovation énergétique. Ces plateformes sont prioritairement mises en œuvre à l’échelle d’un ou de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Ce service public est assuré sur l’ensemble du territoire. Ces plateformes ont une mission d’accueil, d’information et de conseil du consommateur. Elles fournissent à ce dernier les informations techniques, financières, fiscales et réglementaires nécessaires à l’élaboration de son projet de rénovation. Elles peuvent également assurer leur mission d’information de manière itinérante, notamment en menant des actions d’information à domicile, sur des périmètres ciblés et concertés avec la collectivité de rattachement et la commune concernée. Elles peuvent être notamment gérées par les collectivités territoriales ou leurs groupements, les services territoriaux de l’État, les agences départementales d’information sur le logement, les agences locales de l’énergie et du climat, les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, les espaces info énergie ou les associations locales. »

Résultat de cette confusion, les collectivités locales se sont engagées dans une démarche propre. C’est le cas de plusieurs régions qui ont établi leur propre service public avec le risque de créer des distorsions et des inégalités territoriales. La lutte pour le climat et pour la justice sociale nécessite une tout autre ambition. Celle d’un véritable service public national, décentralisé dans les régions et les communes, doté des moyens adéquats pour mener à bien des missions claires, notamment :
– l’information et le conseil des candidats à la rénovation ;
– la réalisation des diagnostics, étape essentielle d’un projet de rénovation qui doit être réalisé en toute indépendance des acteurs qui auront à réaliser les travaux ;
– la garantie de la qualité des travaux de rénovation. En particulier, il devrait s’agir de la constitution de réseaux locaux d’entreprises qualifiées, faisant appel à du personnel formé plutôt qu’à des travailleurs détachés non qualifiés. Et le service public pourrait être en charge de la formation des salariés, et de la labellisation des entreprises, sur la base d’un label plus sérieux que l’actuel label RGE, unanimement jugé comme notoirement insuffisant ;
– l’ingénierie financière nécessaire au soutien des projets en partenariat avec les organismes bancaires locaux ou nationaux, les tiers investisseurs, et y incluant la recherche de subventions et l’aide au montage des dossiers de demande.

C’est un véritable guichet unique de l’efficacité énergétique de l’habitat qu’il convient de mettre en place, et les communes et les communautés de communes peuvent y jouer un rôle central. 

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