On entend par multimodalité l’usage au long d’un déplacement de plusieurs modes de transport, de façon souple, fluide et réversible. Elle est étroitement liée à l’organisation des déplacements dans une agglomération, voire dans un tissu urbain plus élargi, et peut participer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
*Françoise MEYMERIE est ingénieure Transports, retraitée de Systra (groupe RATP).
ANALYSE DES DÉPLACEMENTS
Il existe plusieurs types de déplacements, liés au travail, à l’école, aux loisirs, aux courses, à des démarches administratives… Ils sont différents selon les jours de la semaine, les tranches horaires ou encore les périodes de l’année : il est clair que les déplacements effectués en janvier seront différents de ceux du mois de juillet, par exemple.
Chaque déplacement est un chaînage de plusieurs modes de transport : à pied, à vélo, en voiture ou en transport collectif (TC). Rares sont les déplacements ne mettant en jeu qu’un seul mode, à moins d’habiter à proximité immédiate de son lieu de travail ou de son école. On peut parler d’horizontalité des déplacements pour des déplacements qui font appel à plusieurs modes. Une méthode classique d’acquérir une connaissance fine des déplacements est de procéder à des enquêtes ménages : on interroge des familles en face-à-face, et non par le biais de questionnaires internet, pour connaître les déplacements quotidiens de leurs membres. Une modélisation permet ensuite de passer des questionnaires individuels aux déplacements globaux.
Il est nécessaire d’avoir une bonne connaissance des flux de déplacements dans une agglomération en volumes et en répartition dans la journée. On parle alors de verticalité des déplacements, de leur répartition par tranches horaires de la journée : non seulement les pointes (matin, soir, autour de l’heure de midi), mais aussi la durée des « flancs de pointe » tant montants que descendants. Chaque journée a des caractéristiques qui lui sont propres .
Une grande partie des déplacements sont pendulaires, c’est le cas des déplacements domicile-travail et domicile-école. Ils se font dans un sens le matin et en sens inverse le soir. D’où l’importance pour ces déplacements quotidiens de la réversibilité souple des trajets et des échanges.
Lorsqu’une agglomération dispose d’un réseau de transports collectifs, ces flux sont généralement bien connus des exploitants, qui les suivent de façon à adapter les horaires et les capacités de transport à mettre en face. Les lignes de TC sont définies de façon à répondre aux besoins de déplacements des habitants ; elles sont adaptables en fonction des évolutions de l’habitat et des emplois.
C’est d’ailleurs une force des lignes de bus de pouvoir se développer rapidement, à la différence des réseaux lourds in situ, qui offrent incontestablement une plus grande capacité mais qui nécessitent des infrastructures plus longues à mettre en œuvre. Les services de voirie (directions urbaines, services des feux de circulation) connaissent également les flux de circulation automobile ainsi que leur répartition selon les plages horaires et les types de journées.
Ce qui nous intéresse ici, ce sont les échanges modaux et leur organisation. La façon dont s’opèrent les chaînages et dont on peut mieux les organiser au bénéfice de tous : habitants, transporteurs, employeurs, commerçants…
ARTICULATION DES ÉCHANGES
L’échange doit se dérouler le plus rapidement possible, et d’une façon fluide. Il ne doit pas être un « parcours du combattant » ni être perçu de façon négative, comme une contrainte, une perte de temps et d’énergie. Éclairage, propreté et sécurité sont indispensables aux lieux d’échange. Les cheminements doivent être fléchés, facilement identifiables. Des codes couleurs sont utiles pour s’y retrouver : pour les correspondances, pour les sorties, pour les garages des véhicules (voitures, vélos…). Ces cheminements peuvent s’agrémenter de commerces. L’échange est ainsi valorisé et n’est plus seulement une contrainte.
C’est alors que la notion de pôle multimodal apparaît. Multimodal car pouvant mettre en œuvre plusieurs modes de transport : collectifs comme le train, le métro, le tramway, les bus, les taxis collectifs ; individuels comme la voiture, le taxi, la moto, le vélo et, bien sûr, la marche.
Des parkings doivent être aménagés (éventuellement fermés et gardiennés), le titre de transport incluant le prix du parking. L’implantation d’un garage des circulations douces comme le vélo, reflétera la volonté locale de privilégier les modes non polluants en les plaçant au plus près du mode collectif.
Une aire de dépose-minute est à prévoir, ainsi qu’un emplacement taxi. Dans le sens dépose, le mouvement se fait de façon rapide et n’entraîne pas d’encombrement de la voirie ni de l’espace dédié. Par contre, en sens inverse, la « reprise minute » pose davantage de problèmes. Il convient donc de gérer le temps d’attente du passager, qui peut constituer une gêne à la fluidité des échanges.
On comprend que la facilité et la rapidité de l’échange sont des éléments essentiels. Ils peuvent même devenir des éléments attractifs pour des habitants.S’il est plus facile d’utiliser des transports collectifs pour se rendre en centre-ville, pourquoi se compliquer la vie ? Pour le prix d’un ticket, on peut garer sa voiture et se rendre à son travail rapidement, ou alors replier son vélo ou sa trottinette pour utiliser le TC et ensuite utiliser de nouveau ce mode léger.
C’est aussi un moyen de commencer à réduire la pollution de l’air. Limiter l’accès de la voiture en ville (surtout lorsque le conducteur doit tourner et tourner pour trouver une place de stationnement) répond aux impératifs écologiques. Sans en arriver à interdire l’usage de la voiture dans le cœur des villes, organiser une solide chaîne d’échanges multimodaux est une option sérieuse.

INSERTION DANS LE TISSU URBAIN
C’est une lapalissade de dire que les terrains en centre-ville coûtent très cher (à Hong Kong, une place en sous-sol vient d’être vendue pour 970000 dollars !). Garer une voiture n’est jamais simple, et rares sont les entreprises mettant à disposition de leur personnel des parkings en nombre suffisant. Les parkings publics en centre-ville, outre leurs tarifs souvent dissuasifs, constituent de véritables « pompes à bagnoles », contribuant à l’engorgement des voiries, à la pollution, à l’allongement des temps de trajets. Certaines villes en sont arrivées à construire des silos pour abriter les véhicules (Pusan en Corée du Sud, par exemple) ; d’autres ont choisi de construire des parkings en correspondance avec les TC, c’est le cas de Strasbourg : les têtes de ligne côté banlieue de son réseau de tramway en sont pourvues.
Ce sont là deux politiques diamétralement opposées : d’un côté, une place prépondérante offerte à la voiture, de l’autre une alternative à cette même voiture. La première est désormais « datée », et les villes s’orientent vers les solutions alternatives. L’augmentation du prix des carburants a obligé à des nouvelles réflexions. La prise de conscience de la fragilité de l’équilibre de la planète commence aussi à porter ses fruits. Lutte contre la pollution, diminution des dépenses d’énergie conduisent les décideurs vers des politiques plus responsables.
Le grand retour du tramway (et du trolleybus) est un marqueur de ces nouvelles orientations.Les exemples des villes de Strasbourg, Orléans, Bordeaux, Saint-Étienne, Lyon, et même Paris, en sont les plus vivantes illustrations en France.
Pourquoi ne pas s’inspirer des solutions retenues par les centres commerciaux qui ont choisi de s’implanter en bordure des villes, offrant ainsi des parkings suffisants pour leur clientèle ? Ces parkings pourraient utilement à tous être partagés entre les clients des commerces et ceux qui effectuent des déplacements quotidiens. Le voyageur pressé du matin pourrait se transformer en client du centre le soir… à condition de disposer d’un TC de qualité reliant ces centres au cœur de ville et d’envisager une convention liant l’autorité locale aux gestionnaires du centre commercial pour que les rôles et responsabilités soient clairement établis.
Par contre, si la ville veut favoriser les modes légers et non polluants, il convient de prévoir des mini-parkings pour vélos (et trottinettes) à des endroits stratégiques. Pour attirer des clients, ces espaces peuvent être gardiennés, sécurisés et offrir un service de menues réparations utiles. Ils doivent être bien signalés et ne pas encombrer les voiries ou trottoirs, ce qui serait évidemment contreproductif. Ce peut être une reconversion partielle (ou totale ?) des parkings pour voitures en centre-ville. Les pôles réservant des places pour les voitures peuvent envisager un service de type voiturier accessible par une application smartphone, avec également un service de lavage/nettoyage ainsi que des bornes de recharge électrique.
C’est toute une politique de restitution de la ville aux piétons et aux modes non polluants qui doit être envisagée, même si une circulation automobile limitée est à maintenir : véhicules d’urgence, de police, taxis, voitures de riverains, de livraisons, etc. (les vignettes de type Crit’Air sont à prévoir de plus en plus). L’éloignement du centre-ville des plus gros pôles multi-modaux accueillant les voitures en est un des éléments.
DÉFINITION D’UN PÔLE MULTIMODAL
La mise en place de pôles multi – modaux doit répondre à plusieurs critères montrant les choix faits par la ville. Outre les modes présents sur le site (TC, véhicules légers, autres), des éléments harmonisant les lieux dans l’ensemble de l’agglomération sont à choisir pour créer une identité visuelle immédiatement perceptible et en faire des lieux de vie attractifs :
– les signalétiques doivent être les mêmes partout en termes de code couleur, de polices de caractères, de dimension de panneaux ; – un référentiel de propreté doit être appliqué, permettant aux sociétés de nettoyage de pouvoir respecter les objectifs fixés… et contrôlés régulièrement ;
– la qualité des éclairages privilégiant les couleurs claires, éliminant les effets de recoins inquiétants, voire la pose de panneaux publicitaires pour animer les couloirs ;
– la sécurité des installations et des personnes y travaillant et y circulant, incluant la sécurité incendie, des bornes d’appel, des rondes de personnels spécialisés ;
– le choix des commerces implantés dans ces pôles ;
– les bureaux d’information concernant la ville, les TC, les loisirs, etc. ;
– les locaux privatifs pour les personnels travaillant sur place (bureaux, locaux techniques, etc.).
Des conventions d’exploitation sont à prévoir entre les diverses entités responsables et utilisatrices des lieux : qui fait quoi, qui est responsable de quoi, qui paye quoi.
Les horaires d’ouverture et de fonctionnement des pôles sont à décider. Un fonctionnement 24 heures sur 24 impose une organisation plus lourde, notamment en matière de sécurité et de travaux indispensables au maintien des installations. Ainsi les rôles de chaque acteur sont clairement établis, contribuant à proposer aux habitants des équipements de qualité.