Triangle de Gonesse et EuropaCity : où s’arrêtera la ville ?, Hervé Bramy*

Le Triangle de Gonesse, intégré à un ensemble plus vaste aux riches terres agricoles dénommé Plaine de France, elle-même intégrée désormais à l’Île-de-France, a une longue histoire. Il est l’objet d’un projet de mégacentre commercial. Quel impact ? Quel rapport aux besoins des populations ?  

*Hervé BRAMY est ancien Président du Conseil Général de Seine Saint Denis.


UN PEU D’HISTOIRE
Le terme « de France » apparaît pour la première fois dans un texte de 1126 où il désigne l’abbaye de Saint-Denis (Monasterii beati dyonisii de Francia), qui y possède de vastes terres. La Plaine de France appartient au premier domaine royal capétien dès le XIIe siècle. Depuis, son rattachement économique à Paris ne se démentira jamais. Entre Marne à l’est et Seine au sud-ouest, entre les forêts de Montmorency et les buttes de Dammartin et, au nord, la forêt de Chantilly, la Plaine de France conserve au nord un caractère rural, préservé par son intégration partielle dans le parc naturel régional Oise-Pays de France.
Grâce à la fertilité de ses sols, recouverts d’une épaisse couche de limons1, elle approvisionne la capitale en denrées alimentaires. Ainsi, au cours des siècles, ces terres principalement agricoles ont été le grenier à céréales et le réservoir des cultures maraîchères de la capitale.
De Saint-Denis à Roissy-en- France, elle est traversée par de grands axes de communication nord-sud : RN1, autoroutes A1 et A3, LGV Nord, et accueille les aéroports Charles-de-Gaulle et du Bourget (premier aéroport d’affaire européen). On y trouve également le triage du Bourget et la première gare routière de France, Garonor.
LE VENTRE MOU DE LA PLAINE DE FRANCE
D’un côté le Stade de France, une partie des futurs équipements sportifs des jeux Olympiques 2024, de l’autre le pôle de l’aéroport Charles-de- Gaulle, à Roissy-en-France (plus de 85 000 emplois)… Et entre les deux le « ventre mou » de la Plaine de France. C’est, sans aucun doute à cause de ce constat que le maire de Gonesse se sent légitime à porter le projet d’EuropaCity.
Si la région parisienne est une des plus riches d’Europe, de très profondes inégalités de richesse mitent son territoire. La Seine- Saint-Denis et le Val-d’Oise sont des départements marqués par de profondes ruptures territoriales, des terres d’accueil des populations défavorisées socialement qui subissent de plein fouet la désindustrialisation et le chômage de masse qui en résulte.
Ainsi, dans les années 1980- 1990, les classes moyennes ont eu tendance à quitter la Plaine de France. Alors que le revenu moyen des Parisiens ou des habitants des Hauts-de-Seine a augmenté de 23 % entre 1984 et 1998, celui des habitants de la Seine-Saint-Denis ou de Sarcelles dans le Val-d’Oise, par exemple, a chuté de 15 % 2.
Dans ces deux départements, les populations vivent les inégalités sociales ou territoriales qu’elles subissent comme des discriminations.
Situation géographique du triangle de Gonesse
CRÉATION DE L’EPA PLAINE DE FRANCE
Sous le gouvernement Jospin (dans lequel Jean-Claude Gayssot était ministre des Transports), l’État reconnaît les dysfonctionnements de ce territoire qu’il a lui-même, sur la durée, fracturé de mille manières (grands ensembles, autoroutes, modes de transports déficients…) approfondissant les inégalités sociales comme territoriales. Est alors créé l’établissement public d’aménagement (EPA) Plaine de France pour une durée de quinze ans pour engager toute opération destinée à favoriser l’aménagement, la restructuration urbaine et le développement économique et social du territoire en Seine-Saint- Denis et dans le Val-d’Oise. L’EPA réalise des études d’aménagement nécessaires aux projets du territoire, s’assure de l’équilibre de leur financement, peut réaliser des opérations, des équipements et des actions concourant à son aménagement.
Au bout de ces quinze années de travail, des projets structurants sont en cours de réalisation dans des villes comme Sevran, Villetaneuse, dans le Grand Roissy, etc. Le 1er janvier 2017, l’EPA Plaine de France a été dissous et ses missions ont été intégrées à Grand Paris Aménagement (ex-AFTRP [Agence foncière et technique de la région parisienne]) qui poursuit ses projets, dont celui d’EuropaCity.
EUROPACITY, LE PROJET DU GRAND PARIS
EuropaCity est bien né de cette volonté de réduire les inégalités économiques et territoriales de cette partie de la Plaine de France. Le projet est présenté en décembre 2016 sous le titre « Émergence d’un quartier d’affaires sur le Triangle de Gonesse » à l’occasion d’un colloque intitulé « Quels leviers pour une mutation urbaine ? Quel avenir pour la Plaine de France dans le Grand Paris ? » organisé par l’EPA.
La ZAC du Triangle de Gonesse (Val-d’Oise) se déploie sur 280 ha entre les aéroports Charles-de- Gaulle et du Bourget. L’ambition de ce projet à « vocation internationale » est d’allier un centre économique innovant à une destination commerciale touristique et culturelle majeure, à savoir EuropaCity (760 000 m22), portée par les groupes Auchan et Wanda. Outre la gare de la ligne 17 du Grand Paris Express, cette opération comporte un vaste quartier d’affaires et d’activités comprenant 800 000 m2 de bureaux, 200000 m2 de locaux d’activités technologiques, 75 000 m2 d’hôtels, 15 000 m2 de commerces, 15 000 m2 d’équipements sportifs et 20 000 m2 de locaux d’enseignement. Les premiers programmes sont attendus pour 2020-20213.
L’OPPOSITION S’ORGANISE
Dès l’annonce publique du projet, en mars 2011, l’opposition à sa réalisation s’exprime, notamment par le collectif Pour le Triangle de Gonesse (CPTG). Elle se structure au travers de plusieurs axes : bataille juridique, lutte pour une culture maraîchère symbolique des sols, initiatives de rassemblements des forces citoyennes, associatives, syndicales et politiques, dont le PCF.
Le grand meeting d’opposition au projet de février 2019 a rassemblé plus de 1200 personnes. Opposition contre la réalisation d’un centre commercial supplémentaire dans un territoire déjà saturé par l’offre commerciale, contre un projet conçu comme un temple de la consommation pour divertir le Grand Paris. Contre un projet, soutenu par l’État, quel que soit le gouvernement, et qui interroge notre modèle de société et soulève de nombreuses questions, tant d’un point de vue écologique qu’économique. Opposition car la plaine de France reste, dans les consciences, un espace proche de la zone dense urbaine pour une agriculture prospère et des cultures maraîchères variées afin de nourrir les populations de l’Île-de-France. Il n’est que de se souvenir des champs sur lesquels on glanait les pommes de terre ou des grandes cultures de tulipes du Triangle de Gonesse.
EUROPACITY : UN DÉSASTRE ENVIRONNEMENTAL
Ainsi, moins de quatre ans après la COP21, ce projet démesuré se traduirait par la disparition de terres agricoles sur une vaste zone cultivée de 300 ha fertiles. Alors qu’en l’espace de cinquante ans près de 100000 ha de terres fertiles ont disparu au profit de l’expansion parisienne, il est grand temps de donner la priorité à la reconstruction de la ville sur la ville et à la préservation des derniers espaces agricoles pour éviter que ces terres attractives ne disparaissent sous le béton. Le développement économique du Grand Paris ne saurait se faire au détriment du cadre de vie des populations riveraines.
UN PROJET INADAPTÉ AUX BESOINS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DU TERRITOIRE
Ce projet démesuré, estimé à 3,1 milliards d’euros, ne prend pas en compte les besoins économiques et sociaux du territoire. Censé accueillir 30 millions de visiteurs par an, EuropaCity menace le commerce de proximité et accentuera à n’en pas douter la désertification des centres-villes alentour, renforçant ainsi l’impression de « villes dortoirs » dans un territoire périurbain situé à 15 km de la capitale. Car les prévisions économiques du futur centre commercial sont largement surestimées, tout comme les promesses en termes d’emplois.
La priorité doit donc être donnée au développement et à la diversification des formations pour lutter contre le chômage et permettre aux habitants de la Seine- Saint-Denis, du Val-d’Oise et de Seine-et-Marne d’accéder à des emplois  durables et qualifiés.
C’est à cette condition que se construira la métropole dont les Franciliens ont besoin. Comment accepter le projet EuropaCity?
De même, le projet de CDG Express comme la réalisation d’une gare de la ligne 17, en plein champ sur le Triangle de Gonesse, soulèvent des oppositions. Alors que la consultation publique n’est pas encore terminée, le préfet du Val-d’Oise a signé le permis de construire et autorisé sa construction. Cette gare est appelée, pour les promoteurs d’EuropaCity, à desservir le mégacentre commercial. Pour l’État, prendre une telle décision, c’est soutenir, sans le dire, la réalisation d’EuropaCity. Pour autant, tout le monde ne demande pas l’annulation du projet de ligne 17 mais la réalisation d’un autre tracé pour desservir utilement Roissy au même titre que le RER B, lequel doit être profondément rénové.
Or l’État confirme son soutien au projet malgré la multiplication d’avis défavorables, y compris dans ses propres services. Ainsi, en mai 2018, il décide de faire appel de la décision de l’annulation, par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, du projet de la ZAC du Triangle de Gonesse. Le 12 mars 2019, le même tribunal annule le projet de révision du PLU qui doit permettre la réalisation d’Europa – City. Cette fois-ci, c’est le maire de Gonesse qui fait appel de la décision.
L’alternative à EuropaCity se structure autour du projet CARMA (Coopération pour une ambition rurale et métropolitaine agricole), lequel envisage une autre vision de l’occupation de l’espace. Un projet ambitieux et réaliste de redéveloppement de cultures maraîchères. La consultation en cours des acteurs du projet prend la dimension d’une véritable co-élaboration. Le groupement CARMA « rassemble des opérateurs du monde agricole, des professionnels de plusieurs disciplines, des outils financiers et des organismes concernés par la distribution alimentaire. Tous partagent la même conviction que l’avenir se joue aujourd’hui et se fixent pour objectif de réaliser un projet pleinement au service du territoire et de sa population tout en affirmant les perspectives prometteuses de l’agriculture périurbaine et urbaine à l’échelle de l’Île-de- France » 4.
Le devenir agricole du Triangle de Gonesse est donc au cœur d’une véritable ambition démocratique à laquelle de très nombreux citoyen(ne)s, élu(e)s, associations, syndicats et partis politiques participent. Cette ambition s’affirme de jour en jour !
1. Les limons caractérisent les dépôts éoliens de loess, aussi nommés « limon des plateaux », et sont fréquents dans des dépôts alluviaux. Dans ce dernier cas, les particules limoneuses libèrent des éléments nutritifs qui ont un intérêt majeur pour le renouvellement de la fertilité des sols, et donc pour leur exploitation agricole.
2. Source : la Tribune du 14 mars 2007.
3. Le Journal du Grand Paris, décembre 2016.
4. « Pour plus de terres agricoles en Île-de-France, pour une agriculture de proximité », article du groupement CARMA mis à jour le 28 janvier 2019, disponible en ligne le site du CPTG
(http://nonaeuropacity.com/informer/projet-alternatif-groupement-carma-gonessesur).

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