Beaucoup d’espoirs sont placés dans la recherche dans le domaine du nucléaire. Cela concerne la recherche fondamentale comme la recherche appliquée, en passant par les différentes technologies existantes.
*Serge VIDAL est ingénieur-chercheur EDF, syndicaliste CGT.
Tout d’abord, il convient de rappeler que la recherche dans le domaine nucléaire, quatrième secteur de recherche et développement en France, suit les mêmes règles que la recherche en général et subit la même actualité.
De façon générale, conceptuellement, il y a la recherche fondamentale en amont, la recherche appliquée en aval, et le développement expérimental. Divers objectifs sont visés : faire avancer les connaissances, élargir le champ des possibles, améliorer les dispositifs existants, anticiper les évolutions et difficultés futures…
Ces domaines et objectifs ne sont pas étanches, ni entre eux ni avec la mise en oeuvre opérationnelle. Toutefois, aujourd’hui la recherche de base se dégrade et le pilotage se fait par l’aval de l’aval, notamment du fait de la diminution récurrente des crédits pour la recherche publique. Le tout glissant vers un fort pilotage par le court terme, voire les effets de mode, y compris pour la recherche appliquée, qui voit aussi ses budgets diminuer.
Le terme innovation, qui devrait tout englober, est utilisé dans un sens très restrictif qui consiste à ne soutenir que ce qui peut permettre de prendre rapidement des parts dans les marchés concurrentiels, le tout entraînant un appauvrissement des informations publiées. Le tout est couvert par l’illusion « statupreneuriale », dans laquelle les chercheurs sont poussés à monter leur boîte en prenant de gros risques et en s’isolant.
En parallèle, la précarisation des personnels de la recherche progresse. À l’opposé, des résistances se manifestent et des idées collaboratives intégrant mieux les usagers finaux apparaissent, dans le secteur académique, et se concrétisent en vrais fablabs ou en entreprises. La recherche nucléaire est impactée par ce mouvement malgré son potentiel, qui est loin d’être négligeable, une longue histoire et de grosses installations. Depuis des décennies, la France est mondialement en pointe dans ce domaine.
Toutefois, aujourd’hui les incertitudes politiques vis-à-vis du nucléaire pèsent de plus en plus fortement, notamment sur le renouvellement des compétences. La recherche nucléaire se trouve à la croisée des chemins. Historiquement, une grande partie de la recherche amont est faite au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), et la recherche aval à EDF. Le CNRS et l’Université interviennent également, ainsi que des secteurs industriels dont les activités sont poussées aux limites, notamment du point de vue des équipements et matériaux ou des applications numériques.
La recherche nucléaire a de nombreuses ramifications dans des domaines non identifiés comme tels, et vice versa. Le CEA développe des recherches théoriques et travaille sur des nouveaux processus pour des applications civiles et militaires, EDF R&D travaille sur la tenue des installations dans le temps, des matériaux, sur leur performance, leur sûreté, leurs impacts sur l’environnement, leur maintenance, notamment à l’aide de la simulation numérique.
Les moyens expérimentaux à mettre en oeuvre sont souvent importants et souvent mutualisés entre différents pays. Il y a sept réacteurs de recherche opérationnels en France: – les réacteurs à faisceaux de neutrons: réacteur à haut flux à Grenoble et Orphée à Saclay; – les maquettes critiques : Masurca, Éole et Minerve à Cadarache; – les réacteurs pour l’étude des accidents : Phébus et Cabri à Cadarache. Plusieurs de ces réacteurs sont menacés ou non remplacés pour des raisons budgétaires. Le réacteur d’irradiation Osiris, à Saclay, a été fermé sans successeur.
Il existe également des réacteurs d’enseignement. Un nouveau réacteur, RJH, pour tester le comportement des matériaux sous irradiation, est en construction à Cadarache. Il existe des boucles d’essai de plus petites tailles ainsi qu’un bâtiment réacteur vide à l’échelle 1/3 aux Renardières (Vercors) pour tester le vieillissement du béton.
Pour la physique théorique, il existe quatre grands accélérateurs de particules en France: LAL à Orsay, ESRF à Grenoble, GANIL à Caen, Soleil à Saint-Aubin, auxquels il convient d’ajouter le CERN entre la France et la Suisse. Une grande partie des avancées scientifiques et technologiques se fait aujourd’hui de façon incrémentale, ce qui n’est pas toujours spectaculaire. Les ruptures annoncées ne se produisent pas toujours ou interviennent autrement que prévu. Par exemple, le CERN, qui travaille sur la connaissance des particules élémentaires comme le boson de Higgs ou l’antimatière qui se trouve dans l’Univers, est aussi à l’origine du Web.
LES GRANDS ENJEUX
Les domaines phares portent aujourd’hui sur la mise au point de réacteurs de nouvelle génération, sur de petits réacteurs modulaires (PRM ou SMR) immergés ou flexibles, sur le vieillissement des matériaux, sur l’amélioration de la sûreté et des performances (disponibilité, durée d’exploitation, puissance…), sur la digitalisation, sur le traitement des combustibles et déchets nucléaires (traitement, transmutation, conditionnement, comportement…).
Il existe aussi un secteur actif en recherche médicale sur l’usage et l’impact des rayons ionisants (radiobiologie, radioprotection).
La recherche militaire vise, de son côté, à moderniser les systèmes d’armes et le développement de leur simulation numérique. Elle est extrêmement cloisonnée.

LES GÉNÉRATIONS DE RÉACTEURS
Les types de réacteurs électrogènes sont classés en générations qui progressent principalement de façon évolutionnaire depuis les années 1970.
Une rupture s’est produite à ce moment-là entre la génération 1 (faisabilité), diversifiée et proche de l’expérimental, et la génération 2 (déploiement), dominée par les réacteurs à eau sous pression.
La génération 3 (optimisation) est évolutionnaire avec des réacteurs améliorés. Les principales évolutions de cette génération 3 ont concerné la sûreté des installations (prévention des accidents et limitation de leurs conséquences).
La génération 4 (durabilité) sera plus révolutionnaire. Elle est motivée par une utilisation décuplée des ressources naturelles, une meilleure résistance à la prolifération militaire – en brûlant les stocks de plutonium – et la minimisation des déchets.
Six nouveaux systèmes de réacteur sont à l’étude, avec une maturité très variable, de l’état de concept à l’état d’avant-projet :
– les réacteurs à neutrons rapides à caloporteur sodium (RNR-Na) ;
– les réacteurs à neutrons rapides à caloporteur gaz (RNR-gaz) ;
– les réacteurs à neutrons rapides à caloporteur plomb (RNR-Pb);
– les réacteurs à très haute température (RTHT) ;
– les réacteurs à eau supercritique (RESC);
– les réacteurs à sels fondus (RSF).
La conception d’une filière nucléaire dépend de trois paramètres principaux: le combustible, le modérateur de la réaction nucléaire et le caloporteur pour récupérer l’énergie. Dans la génération 4 est utilisé essentiellement l’uranium, et le plutonium dérivé, comme combustible.
Un type de RSF utilise un mélange de thorium et d’uranium dissous dans le caloporteur au fluorure de lithium. La recherche sur cette génération de réacteurs s’est organisée de façon internationale, avec une répartition des activités entre dix États. La France se concentre sur les RNR-Na et RNEgaz, notamment à partir de l’expérience des surgénérateurs Phénix de Marcoule et de Superphénix de Creys- Malville. Le modèle le plus avancé est le projet de réacteur ASTRID, un RNR-Na dont le CEA est le maître d’ouvrage.
Toutefois, compte tenu des menaces politiques qui pèsent sur le renouvellement du parc nucléaire français et de la baisse drastique des budgets du CEA, un scénario d’abandon complet des études sur ce réacteur est à l’étude, ce qui serait un gâchis considérable et remettrait en cause l’existence même du CEA.
Par ailleurs, les PRM de faible puissance (moins de 300 MWe ), avec une construction standardisée en usine, sont étudiés. Ils pourraient faciliter l’accès à l’énergie à certains pays ou dans des zones isolées, servir à délivrer de la chaleur industrielle et de l’eau douce. En France, le CEA, EDF, Framatome et Naval Group étudient ensemble ce type de réacteur depuis 2012. Ils s’inspirent des réacteurs nucléaires utilisés dans la propulsion navale. Les quatre premières générations exploitent la réaction de fission de noyaux d’atomes lourds.
La génération 5 viserait à récupérer l’énergie développée lors de la fusion de noyaux de petits atomes. Elle est au stade de la recherche amont depuis des décennies. Un démonstrateur de fusion par confinement magnétique (Tokamak ITER) est en construction à Cadarache, en France, cofinancé par cinq pays et l’Union européenne. Il existe plus d’une centaine de concepts possibles de réacteurs nucléaires, dont un qui serait couplé avec un accélérateur de particules.
LE CAS DU THORIUM
Comme le thorium naturel, plus abondant que l’uranium naturel, pourrait être plus facilement utilisé à 100 %, les réacteurs surgénérateurs à sels fondus à base de thorium réduiraient la quantité et la toxicité des déchets nucléaires, et qu’ils seraient plus facilement contrôlables, ils sont parés de toutes les vertus. Ils ne nécessiteraient pas d’installation d’enrichissement distincte. Dès lors, certains parlent d’« atome vert ».
Par capture d’un neutron, l’atome 232Th donne naissance à un atome 233U, bon isotope « fissile » de l’uranium, comme le 238U « fertile » donne du plutonium 239Pu « fissile ». L’uranium 233 est un isotope faiblement radioactif de l’uranium. La production des neutrons nécessaires à la transmutation de ces éléments « fertiles » en éléments « fissiles » résulte de la réaction en chaîne de fission d’atomes 235U, seul élément naturel susceptible d’entretenir une telle réaction.
Le thorium n’est pas un substitut de l’uranium: il lui manque la matière fissile pour démarrer la réaction. Ce type de réacteur pourrait se développer à terme, mais il reste encore d’importants travaux de recherche à engager. De plus, la construction d’une filière thorium en France nécessiterait de repartir de zéro par rapport à la filière uranium-plutonium actuelle, ce qui représenterait un coût faramineux: elle ne peut donc être envisagée qu’à long terme.