Changements globaux et incendies de forêts : comment s’adapter ?, Thomas Curt*

Les incendies de forêts et milieux naturels font partie intégrante des aires méditerranéenes depuis des millénaires. Le feu apparaît aujourd’hui comme une menace majeure pour ces territoires… et pour les zones de plaine et de montagne demain. Une longue histoire qui devrait évoluer rapidement du fait des changements globaux en cours.

*Thomas CURT est directeur de recherche à l’IRSTEA Aix-en-Provence.


LE FEU ET L’HOMME: UNE LONGUE HISTOIRE
Les incendies de forêts et autres milieux naturels font partie de l’histoire de la Méditerranée depuis des millénaires: les sociétés humaines ont coévolué avec les feux aussi bien en plaine qu’en montagne. Les rares études historiques existantes sur la période d’avant la Première Guerre mondiale réfutent le mythe d’un âge d’or au cours duquel la forêt et l’homme auraient cohabité sans heurt : les brûlages en forêt et les feux pastoraux existent depuis toujours, de même que les grands incendies.

Le feu est d’abord un outil pour l’homme: il a longtemps servi à nettoyer la végétation et à entretenir les paysages. C’est encore vrai aujourd’hui dans l’arrière pays varois, cévenol ou corse, où les agriculteurs et les bergers pratiquent l’écobuage. De nos jours, le feu est principalement vu comme un désastre, et il est systématiquement combattu. Il faut cependant rappeler qu’il est aussi nécessaire au maintien de nombreux écosystèmes méditerranéens riches en biodiversité, comme les garrigues, qui sont adaptées au passage du feu.

Les paysages et les territoires français ont connu des transformations importantes au cours des dernières décennies sous l’effet de changements socioéconomiques majeurs : l’augmentation de la population, la déprise agricole et pastorale dans les territoires ruraux, l’urbanisation des campagnes, des littoraux et des montagnes, l’augmentation très importante du tourisme et des infrastructures (autoroutes, voies ferrées, lignes électriques, etc.).

Ces évolutions ont un impact considérable sur les incendies. En effet, les départs de feux augmentent en proportion de la population et de la présence de maisons et d’infrastructures ; l’intensité des feux et leur propagation augmentent du fait de l’accumulation de biomasse végétale combustible dans le paysage; le nombre d’enjeux à défendre contre le feu augmente du fait de l’urbanisation.

La plupart des grands incendies de 2017 dans le Var, les Bouches du Rhône ou les Alpes-Maritimes ont touché des zones d’interface entre l’habitat et le milieu naturel. En Europe comme aux États-Unis, certains chercheurs parlent ainsi d’une nouvelle génération d’incendies typiques des zones embroussaillées et fortement urbanisées. Elles concentrent un grand nombre de départs de feux, et les feux y sont particulièrement difficiles à gérer pour les pompiers. En effet, ils doivent en même temps maîtriser le feu, confiner ou évacuer la population et protéger les habitations.

Ces changements paysagers sont communs à toute l’Europe méditerranéenne. Ils expliquent en partie la recrudescence des grands incendies, surtout dans les régions dans lesquelles les moyens matériels et humains pour la lutte sont moins importants.

ÉVOLUTION DE L’INDICE FORÊT MÉTEO ET DES INCENDIES DANS LE SUD-EST DE LA FRANCE

LES FACTEURS DU RISQUE INCENDIE
À l’échelle quotidienne, les incendies de forêts dépendent des interactions entre la météo, l’occupation du sol, qui détermine la quantité de végétation combustible, et les activités humaines, qui génèrent plus de 90 % des départs de feux. Les incendies reflètent ainsi nos modes de vie et d’usage du feu, l’évolution de nos paysages, de la population et du climat. Ils ont donc évolué au cours des décennies, avec des augmentations dans certaines régions et des diminutions dans d’autres (cf. cartes ci-avant).

Depuis les années 1970, une politique très volontariste de lutte contre le feu a été mise en place, en France comme presque partout dans le monde, l’objectif étant de limiter les feux autant que possible par la prévention et la lutte. Mais cela a aussi conduit à une perte de la maîtrise raisonnée du feu, qui faisait partie de la culture rurale dans de nombreuses régions.

Dans les années 1990, cette politique a été renforcée par la mise en place d’une politique d’attaque massive des feux naissants. Celle-ci a été très efficace: elle a réduit le nombre de départs de feux et divisé par deux les surfaces brûlées. Ces progrès placent la France parmi les pays les plus efficaces à l’échelle européenne. Les connaissances scientifiques sur le comportement du feu, les moyens techniques d’alerte et de lutte et la formation des pompiers évoluent aussi rapidement pour prendre en compte les nouveaux défis liés aux feux. Lors des incendies récents, on a vu que les pompiers interviennent rapidement grâce à une surveillance accrue: les Tracker et les Canadair veillent en permanence pendant la saison à risque, les pompiers sont pré-positionnés au sol dans les secteurs à risque, des véhicules légers équipés d’une réserve d’eau parcourent les massifs, et la surveillance depuis les tours de guet est renforcée.

TOUT EST-IL SOUS CONTRÔLE?
On a pu observer récemment certaines années caractérisées par une météo très défavorable (canicule, vent, sécheresse), comme 2003, 2016 et 2017. Dans ces conditions, on voit que certains incendies échappent aux pompiers laissant un bilan de plusieurs centaines ou milliers d’hectares brûlés. Ces feux sont responsables de la majeure partie des dommages humains, écologiques et économiques. Par exemple, le grand feu de Rognac-Vitrolles en août 2016 a menacé le nord de Marseille, brûlé vingtquatre maisons et un lycée, et arrêté l’activité économique locale.

Certaines régions sont plus à risque que d’autres. Surtout, certaines régions voient le risque incendie augmenter plus vite que d’autres du fait du climat, de l’homme et des paysages. L’ensemble du littoral méditerranéen est ainsi un « point chaud » avec de nombreux incendies, parfois très grands. C’est lié au climat très favorable et à la forte présence humaine, qui génère nombre de départs de feux. Cette région est aussi à fort risque du fait de l’urbanisation rapide et du développement d’infrastructures qui sont exposées aux feux. Toutes les régions à urbanisation croissante – y compris dans l’arrière-pays – voient le risque incendie augmenter. Dans les Bouches-du-Rhône et en Haute- Corse, les zones d’interface habitat/forêt ont ainsi progressé de 10 % en dix ans.

Les montagnes et l’arrière-pays (Alpes, Pyrénées, Corse, Massif central) sont aussi souvent exposés à un risque accru: dans de nombreuses régions, les paysages anciennement pâturés ou cultivés s’embroussaillent depuis des décennies. Par ailleurs, la forêt française progresse presque partout, ce qui augmente la biomasse combustible. Les paysages de moyenne montagne subissent ainsi à la fois des changements climatiques et une transformation paysagère profonde et probablement durable.

CHANGEMENTS CLIMATIQUES: DES EFFETS DÉJÀ SENSIBLES
Les changements climatiques en cours ont déjà des effets sur l’aléa météo feux de forêts et sur les incendies. Une étude de 2010 (Météo France) montre que l’augmentation des températures depuis 1959 a conduit à une augmentation de 20 % de l’indice forêt météo (1). La situation actuelle a conduit à une extension spatiale de la zone propice aux incendies et au constat d’un allongement de la saison à risque. Dans les Alpes, cette saison s’est déjà allongée de deux à sept semaines depuis cinquante ans.

L’augmentation des événements météo exceptionnels, comme la canicule de 2003 ou les sécheresses de 2016 et 2017, est aussi liée pour partie aux évolutions du climat. Ces évolutions sont cohérentes avec les bilans effectués par le GIEC à l’échelle globale. Les modélisations confirment que ces événements extrêmes devraient se multiplier dans les prochaines décennies. L’année 2017 pourrait ainsi faire figure d’année normale d’ici à 2050.

Sur un plus long terme, le climat agit aussi directement sur la végétation en augmentant la mortalité des arbres en forêt, ce qui accroît la biomasse morte qui alimente les incendies. Les chercheurs et les pompiers de Catalogne (Espagne) pensent ainsi que nous avons déjà affaire à une nouvelle génération d’incendies intenses et capables de se propager dans des paysages à la fois urbanisés et fortement végétalisés, ce qui rend la lutte très complexe.

Une zone agricole ou une oliveraie bien entretenue peuvent arrêter la propagation du feu.

DES SOLUTIONS À METTRE EN OEUVRE DÈS MAINTENANT
Adaptation est le maître mot en matière de préparation aux risques futurs. Il existe des solutions pour limiter les feux et leurs impacts sur nos territoires. Les efforts en matière de lutte doivent être maintenus, voire améliorés, car le dispositif de prévention-alerte-lutte des pompiers et de la sécurité civile est crucial pour limiter les impacts de feux plus intenses. Les pompiers ont déjà intégré l’extension saisonnière et géographique du risque en étendant leur dispositif de surveillance et de lutte.

La prévention est insuffisante et doit être renforcée, en France comme partout en Europe; cela passe par la sensibilisation du public – notamment scolaire –, des gestionnaires et des décideurs concernés. Notre culture du risque incendie est assez faible : nous avons souvent une mémoire limitée des événements passés et une trop faible préparation du public au risque futur.

Une meilleure maîtrise de l’urbanisation est nécessaire pour éviter la multiplication des départs de feux et des biens à protéger. Des outils et des guides pratiques existent maintenant pour mieux évaluer le risque d’incendie dans les zones d’habitat- forêt, pour choisir les espèces les moins inflammables à installer près de sa maison ou savoir comment bien débroussailler. L’exemple landais montre que la gestion des forêts peut efficacement limiter le risque incendie; cela passe entre autres par une maîtrise de la biomasse forestière par une exploitation raisonnée: moins de végétation combustible en forêt signifie des feux moins intenses et une lutte plus facile. Il faut aussi adapter les forêts par le choix d’espèces adaptées au feu et à la sécheresse.

VERS DES TERRITOIRES MIEUX ADAPTÉS
Toutes ces évolutions visent à rendre nos paysages et nos territoires moins inflammables : un paysage avec plus de coupures agricoles ou pâturées, mieux débroussaillé, avec des végétaux et des forêts moins inflammables et plus résilientes après feu, c’est vraiment l’affaire de tous. Il est assez vraisemblable que ces multiples facteurs puissent agir de concert pour limiter vraiment le risque incendie dans le futur. Les décisions publiques et privées doivent pouvoir se nourrir des avancées de la recherche: il est ainsi nécessaire de mener des recherches pour tester l’efficacité de différentes solutions de gestion sur le risque incendie, et prendre les bonnes décisions.

(1) L’indice forêt météo est un indice calculé sur les données météo quotidiennes (avec un effet mémoire d’une à deux semaines) comme le vent, la température, l’humidité de l’air.
Son calcul est un peu complexe, mais il indique l’état de sécheresse de la végétation (important pour estimer la probabilité d’un départ de feu en cas d’allumage), et l’intensité potentielle du feu s’il venait à démarrer.

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