Le capital ou la vie de tous les êtres humains, Jean-Pierre Kahane

Voici le dernier article de Jean-Pierre Kahane paru dans l’Humanité du 18 Mai 2017, exprimant son point de vue à côté de ceux de Christian Picquet et de Frédéric Neyrat en réponse à la question “Le « progressisme » d’Emmanuel Macron est-il synonyme de progrès social ?”.

Le journal présentait Jean-Pierre de la sorte: Mathématicien, directeur de la revue Progressistes


Rappel des faits. En invoquant le progrès, le candidat à l’élection présidentielle a voulu masquer derrière ce faux nez son projet libéral inspiré des cercles patronaux. Et dans les actes ?

Le progrès est une marche en avant. Mais, sauf en de rares périodes historiques, ce n’est pas une marche qui entraîne toute la société, toute l’humanité. Et d’ailleurs, même dans ces rares périodes, je pense à la Révolution française, cette marche est faite de bonds en avant et de reculs. Y a-t-il progrès au cours de l’histoire en dehors de ces périodes exceptionnelles ? Bien sûr. Et peut-il y avoir progrès quand le capitalisme est roi ? Peut-il y avoir progrès au cours de la Ve République en France ? Oui, c’est évident pour la science et pour la santé, au bénéfice possible de toute la société, et il faudra revenir sur le « possible ». Sous une présidence de droite ? Oui, exemple la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, qui a été une avancée majeure. Peut-il y avoir progrès avec une politique sociale-libérale ? Oui. La politique sociale-libérale est une politique de recul : recul pour le droit du travail, recul dans la culture, recul des productions industrielles au profit des combinaisons financières, on peut continuer… Il n’y aura pas de progrès d’ensemble, sauf à inverser la politique. Mais le progrès germe partout et toujours de l’activité humaine, de la curiosité, de l’inventivité, de la communication, de la solidarité. Certains régimes écrasent le germe, le nôtre le limite et le tord. Mais, pour prendre un exemple qui intéresse tout le monde, il y a et il y aura des progrès dans le traitement des maladies graves. Oui, il y a et il y aura progrès dans plusieurs directions. Cela tient en France pour une part essentielle au système de recherche publique et à la Sécurité sociale. Et justement, les deux sont menacés, ils sont à défendre et à renforcer.

Beaucoup dépend du progrès des sciences. Ce progrès est mondial et impétueux, en particulier en biologie et en chimie. La physique quantique (le laser par exemple) et l’informatique (les automates, Internet) ont déjà bouleversé nos habitudes, et personne ne souhaite revenir à l’état antérieur.

Et voici un paradoxe. Les progrès des sciences, les progrès en médecine, tous les progrès auxquels nous pouvons penser traduisent et aggravent les inégalités dans le monde. Ils pourraient être au bénéfice de tous, ils sont d’abord au service des riches et des puissants. Ils enrichissent les détenteurs de capitaux, qu’ils placent en fonction des innovations annoncées. Ils concourent à la préparation des guerres et à leur exécution. Ils pourraient dégager de nouvelles pistes, non seulement en science et en santé, mais pour étendre et améliorer la vie de tous les êtres humains, pour de nouvelles industries, pour améliorer l’environnement, pour répondre aux besoins présents et à venir. Au lieu de cela, ils s’inscrivent dans la financiarisation générale de l’économie, qui mène l’ensemble de l’humanité à la catastrophe.

Ce paradoxe amène certains à nier le progrès ou à le condamner. C’est, en fait, un enjeu politique majeur. Laisser aux représentants du capital la direction de la recherche scientifique en exploitant tout ce que le capitalisme peut en tirer aujourd’hui, c’est un danger tout à fait actuel. Reprendre au compte du communisme à venir la défense et la promotion de tout ce qui fait avancer l’humanité, la curiosité, l’inventivité, la solidarité, remettre l’humanité sur ses jambes pour avancer, prendre au sérieux le progrès dans toutes ses dimensions pour le bénéfice de tous, c’est une direction dans laquelle il me semble possible et utile que s’engage l’humanité, et, pourquoi pas, l’Humanité.

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