Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux?
FRANS DE WAAL Les liens qui libèrent, Paris, 2016, 400 p.
Un livre agréable, captivant et profond. L’auteur, scientifique de haut niveau ayant consacré sa vie à l’éthologie (étude du comportement des animaux), est un grand pourfendeur des idées véhiculées par certaines écoles.
Comment expliquer – certains prétendent le faire – par des essais suivis de succès/échec des comportements avérés des grands singes, qui savent que nous les voyons avec nos yeux, qui saisissent les relations hiérarchiques entre les humains… et qui sont des champions de l’évasion (ils sont capables de sortir de leurs cages pour se balader la nuit et d’y revenir et de les refermer soigneusement avant l’arrivée du personnel)? Ses pages sont parsemées de reprises d’expériences anciennes sous de nouvelles formes propres à saisir la vie même des animaux, souvent avec des corrections drastiques des conclusions.
Comment comprendre la pensée de la pieuvre, dotée d’un toucher extrêmement développé, servi par des groupes neuronaux localisés dans les tentacules qui les rendent largement autonomes ? La pensée de la pieuvre est-elle une ou plurielle ? Cet animal fait preuve d’une grande intelligence ; il est capable, par exemple, de s’échapper d’un bocal à couvercle vissé : il palpe les parois de sa prison et trouve le moyen de dévisser ledit couvercle. Eh oui, nous avons une intelligence manuelle, celle des pieuvres est tentaculaire, et celle des éléphants trompique.
Ce livre nous plonge dans le domaine fascinant de la cognition comme composante essentielle du vivant. Sont présentés des exemples caractérisés de coopération intentionnelle, des niveaux divers de la conscience de soi, d’apprentissage de la générosité par imitation, du sens de l’équité chez des singes qui refusent des inégalités de traitement, ce qui permet à l’auteur de se livrer (p. 253) à une critique pertinente de notre prétendue science économique : « Pour les économistes, cette réaction est irrationnelle, puisque par définition quelque chose vaut mieux que rien. Aucun singe, disent-ils, ne devrait refuser une nourriture qu’il mange d’habitude, et aucun humain ne devrait refuser une petite offre. » Critique qui n’est pas déplacée dans un livre d’éthologie : les hommes sont des animaux !
EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA
Causette propose un voyage instructif
En décembre 2016, le magazine Causette a fait sensation en sortant un hors-série sur le clitoris, « Voyage en Clitorie ».
Inconnu, méprisé, ignoré, excisé, le clitoris est malmené. Aucun manuel de SVT ne représente le clitoris sous le fallacieux prétexte qu’il ne ferait pas partie des organes reproducteurs. Or on sait désormais que le plaisir féminin joue un rôle fondamental dans le processus de fertilité.
On dit souvent que le clitoris est difficile à situer pour un homme, or beaucoup de femmes ne le savent pas non plus, et parfois ne connaissent même pas son existence. Mais cet été, une révolution a eu lieu! Une chercheuse française, Odile Fillod, a réalisé une reproduction 3D du clitoris, révélant ainsi toute sa complexité.
Le numéro spécial de Causette permet de revenir sur l’histoire, les mythes, les fonctions, les déboires et les potentiels du clitoris dans une démarche scientifique, humaniste et féministe. En somme, un sujet progressiste !
SHIRLEY WIRDEN
A voté
ISAAC ASIMOV Le passager clandestin, Paris, 2016, 50 p.
Et si un individu lambda, un citoyen moyen, était choisi pour être la personnification d’un pays tout entier et celui dont dépendra l’élection du président des États-Unis ?
Dans un futur proche, un ordinateur ultra-puissant nommé Multivac contenant des milliards de données et précieusement protégé est chargé de sélectionner celui ou celle qui devra répondre à ses questions. Ses réponses détermineront qui sera élu président de la plus grande puissance mondiale.
Les éditions Le passager clandestin réédite, dans la collection « Dystopiques », cette nouvelle glaçante qu’Isaac Asimov écrivit en 1955. En cette période d’élections où des sondages sont à la fois commentés et discrédités presque quotidiennement, cette nouvelle frappe juste.
Avec les progrès de la robotique, plus besoin de faire voter les citoyens ! Fini les isoloirs et les urnes ! Ce ne sont plus que de vieilles anecdotes que l’on raconte aux enfants lors des « élections ».
Dorénavant, Multivac fait lui-même la synthèse de toutes les données dont il dispose sur les citoyens et sait ce pour quoi ils sont supposés voter, sans qu’ils aient à se prononcer d’eux-mêmes. Le vote est conçu dans ce modèle comme strictement rationnel : plus besoin que des millions de citoyens se déplacent aux urnes pour élire le nouveau président, l’ordinateur s’en charge!
Reste une « variable humaine », cette personnification des évolutions de la société, que l’ordinateur ne peut pas calculer seul. Jusqu’à quand ?
BETTY CHARNIERE
France 2017-2022. Devant l’urgence climatique, bousculons les politiques
GÉRARD LE PUILL Éditions du Croquant, 2017, 185 p.
Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un grand-père paysan, ouvrier et journaliste communiste qui, inlassablement, défend depuis des décennies la cause de notre belle planète, la Terre, et de notre beau pays, la France. Eh oui, Gérard Le Puill, que les lecteurs de Vie nouvelle connaissent bien, vient de publier son quatrième livre.
Comme dans ses autres ouvrages, il nous livre une expertise précise et des propositions concrètes pour que les choses bougent face au danger qui nous menace toutes et tous, le réchauffement climatique, avec les conséquences inquiétantes que l’on peut imaginer pour les générations futures.
Le titre du livre est clair. L’auteur ne fait de cadeau à personne. Sa libre parole nous emporte là où il fait bon respirer, et l’ambiance électorale de ce printemps 2017 lui permet de confronter les candidats à l’élection présidentielle, mais pas que, à une exigence qui ne souffre plus de controverse : la nécessité de diviser par quatre la production des émissions de CO2 d’ici à 2050 et de poursuivre l’effort après.
On est loin du compte, tout simplement parce que la logique capitaliste du tout-consommation forcé bat toujours son plein, réduisant à la portion congrue les effets des décisions prises, en théorie, par la COP 21 de Paris.
D’où la nécessité de harceler les politiques, pour notre plus grand bien. Au-delà d’une pédagogie toujours efficace sur ce sujet brûlant, l’auteur ne manque pas d’humour quand il nous écrit, à propos de l’introduction des loups là où paissent les brebis, qu’il y a comme une sorte d’« incompatibilité naturelle » qui fait polémique chez les écologistes d’EELV, à moins que les scientifiques nous trouvent le moyen de fabriquer un clone de loup végétarien ! Qui sait ?
Gérard Le Puill n’a pas la science infuse, et il le dit. Il ne reste pas moins qu’il est le lauréat du prix Artémis en 1997 et du Grand Prix du journalisme agricole en 1998. Sa modestie n’efface pas sa grande qualité de bon sens. Alors, faisons comme lui, agissons à notre niveau pour que nos enfants et petits-enfants, demain, ne vivent pas sur un brûlot.
YVON HUET
Géographie de la domination
DAVID HARVEY Les prairies ordinaires, 2008, 118 p.
Publié en 2001 aux États-Unis, ce recueil d’essais n’a été publié en français qu’en 2008. Malgré l’intérêt de leurs travaux, les chercheurs marxistes états-uniens sont peu connus en France.
Dans ses essais, David Harvey – qui enseigne l’anthropologie à l’université de New York – établit des passerelles théoriques entre une géographie traditionnellement tournée vers la description de secteurs de l’économie, de la démographie ou de l’espace et des champs économiques explorés par le marxisme (classes, production…), mais de façon essentiellement globale. Il défriche donc le terrain largement vierge de la façon dont les classes sociales présentes sur un territoire donné le modèlent en fonction d’intérêts contradictoires ou de compromis provisoires.
Mieux même qu’une description, Harvey en propose une théorisation. Il s’appuie sur la logique d’accumulation du capital pour approfondir la notion de recherche de « rentes de monopole » et en explorer les conséquences spatiales : appropriation des terres et des biens qui aboutit à reconfigurer et ségréger les villes, à réaménager les espaces, à changer notre rapport à l’espace et au temps par de nouvelles infrastructures. Car le capitalisme se traduit nécessairement par des réalisations d’infrastructures dans l’espace, lesquelles modifient à leur tour la société (« annihiler l’espace par le temps », selon Karl Marx) ; il résout ainsi partiellement dans et par l’espace un certain nombre des contradictions qui le minent: la colonisation pour surmonter temporairement la surproduction, les « délocalisations » d’usines, l’éloignement des classes « dangereuses » dans les périphéries et banlieues, la prédation des ressources ici pour en jouir ailleurs, mais aussi la survalorisation d’un lieu symbolique, les compétitions entre territoires pour attirer des capitaux et exporter le chômage, etc.
En ce sens, Harvey renouvelle et rénove la démarche géographique, et il fonde aussi au plan théorique une écologie de progrès qui non seulement explique par les compromis de classes locaux les transformations/altérations de l’environnement, mais donne aussi les clés d’une élaboration de solutions environnementales durables et solidaires qui, sans automaticité évidemment, se conjuguent nécessairement avec un dépassement des blocages dus au capitalisme. En somme, c’est un ouvrage stimulant pour des militants qui affrontent la crise écologique et sociale.
JEAN-CLAUDE CHEINET
Environnement et énergie
AMAR BELLAL (préface Jean-Pierre Kahane) Éditions Le Temps des Cerises
Ce livre est un pari. Celui de recenser les principales interrogations des citoyens entendues dans plus d’une centaine de débats publics et d’y répondre sans détour, sans tabous, en nous attaquant frontalement aux objections les plus sérieuses qui circulent sur le modèle énergétique français.