Une loi pour revaloriser le travail, Jean-François Bolzinger*

*Jean-François Bolzinger est codirecteur de Progressistes.


La loi El Khomri a été abusivement renommée « loi travail ». Depuis la mi-février, la diffusion de son contenu a provoqué une énorme « révolte de gauche sous un gouvernement de gauche ».
Ce mouvement atypique conjugue depuis le départ des initiatives sur les réseaux sociaux et des mobilisations de terrain. Démarrage par une pétition citoyenne numérique #Loi travail : non merci ! qui recueille 1,3 million de signatures, diffusions virales des vidéos de youtubeurs sur le vécu au travail (#OnVautMieuxQueÇa), puissantes journées syndicales de grèves et de manifestations, débats Nuit debout sur les places, interpellation des parlementaires par les réseaux sociaux et par rassemblements, nouvel enchaînement de grèves et blocages de production, votations citoyennes… Une autre conjugaison, moins facile à opérer mais politiquement déterminante, se produit entre social et sociétal, entre mouvement de la société civile et syndicalisme. Contrairement à l’Espagne ou à la Grèce, où la jonction ne s’est pas faite – ce qui limite le rapport de forces –, la dynamique française peut porter loin en matière de contenu alternatif et de renouveau dans la manière de faire de la politique.

Le dynamitage du Code du travail par l’inversion de la hiérarchie des normes fait primer les accords d’entreprise, dérogatoires, sur la loi. Il ne peut qu’entraîner une mise en concurrence effrénée des entreprises dans une course au moins-disant social et une perversion de la négociation collective. L’utilisation du 49-3 à l’Assemblée nationale est symbolique de ce que la loi veut imposer dans chaque entreprise : les pleins pouvoirs à l’employeur, autrement dit aux actionnaires.

Le rejet de la loi est d’autant plus fort que les mesures qu’elle contient sont aux antipodes de ce qui pourrait figurer dans une loi de réhabilitation et de revalorisation du travail. Les salariés appellent de leurs voeux une loi qui comporte des points d’appui, des incitations, des réglementations et régulations, des protections permettant d’imprimer une dynamique de définanciarisation de l’entreprise et du mode de gestion qui lui est associé.
La revalorisation du travail et, par suite, l’efficacité économique passent par des mesures de reconnaissance pour les salariés, acteurs principaux de l’entreprise : reconnaissance des qualifications dans le salaire et les responsabilités, reconnaissance de la technicité, égalité professionnelle entre femmes et hommes.

Il y a lieu de progresser dans la démocratie au travail en ouvrant des droits d’expression et d’intervention effectifs, individuels et collectifs, via les institutions représentatives du personnel. Des droits d’alerte, de refus et de proposition au regard de l’éthique professionnelle doivent être garantis collectivement.
Tout doit être fait pour que les choix stratégiques et de gestion ne soient plus enfermés dans le carcan de la rentabilité financière à court terme mais intègrent en permanence les aspects sociaux, économiques et environnementaux.
De tels axes donneraient à coup sûr une tout autre loi que la copie gouvernementale actuelle. Elle aiderait à réconcilier la recherche de sens dans le travail avec une finalité de l’entreprise maîtrisée par la communauté de travail, et non plus par les actionnaires comme aujourd’hui.
Une telle loi rendrait à sa manière une part essentielle du pouvoir aux salariés et au peuple. C’est sans doute la raison qui explique l’acharnement du Medef et du gouvernement à s’opposer politiquement à l’exigence d’annulation de la loi El Khomri, qui est majoritaire dans le monde du travail comme dans la population, et jusque dans la représentation nationale.

À l’heure de la révolution numérique, promouvoir dans le sens des intérêts des travailleurs et des créateurs d’autres formes d’emploi, de travail, la maîtrise de l’entreprise conçue comme communauté de travail, une sécurité sociale professionnelle relève d’une bataille politique d’ampleur qui explique la violence de l’affrontement.

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