*Sébastien Elka est rédacteur en chef adjoint de Progressistes.
Pour John Doe, des Panama Papers, « la prochaine révolution sera numérique ». Mais il est loin d’être le seul à prophétiser l’imminence d’une e-Révolution. Connectés de tous les pays, nous serions sur le point de hacker le capitalisme pour rebooter la société à partir du logiciel libre de la génération Y… Fini le fétichisme obsolète de la propriété privée, Internet est parmi nous ! Sauf que pour d’autres ce numérique made in USA sonnerait au contraire l’imminence de l’apocalypse. Crise systémique, chômage technologique de masse, NSA partout, publicité neuronale, le citoyen-consommateur noyé dans les eaux glacées du calcul globalisé. Retour au meilleur des mondes, bienvenu dans la matrice ! Vraies ou fausses, ces prophéties en miroir ont surtout un effet sédatif : face à l’ampleur de l’événement, les bras nous tombent.
Communistes, nous sommes héritiers d’une tradition de lecture de l’histoire par ses tensions dialectiques. De quoi garder la tête froide : notre monde vit une violente transition dont le numérique est l’une des clés, mais c’est la manière dont nous nous emparons des possibles qui donnera forme au monde nouveau. Si l’état d’une société – disait-on – s’évalue à l’aune de ses rapports de production, de la manière dont elle produit et échange, et donc du développement de ses forces productives, notre rôle historique est bien de comprendre et faire comprendre ce qui se joue dans notre appareil technique et de nous organiser pour y ouvrir des voies de progrès.
C’est l’enjeu au fond de la loi « travail », qui tape au cœur de l’institution centrale d’un siècle et demi de civilisation industrielle : l’emploi salarié. Une institution minée par quarante ans de régression néolibérale, mais qui fait face aussi à la montée d’aspirations nouvelles. Car si les luttes ont construit un salariat protecteur, celui-ci n’en reste pas moins un asservissement. Le travail organisé demeure le coeur battant d’une société avancée, mais à l’heure des réseaux numériques – on l’entend dans tous les cortèges de ce printemps – l’horizon est à l’autonomie, à la créativité, au temps libéré.
Le capital en joue bien sûr, qui entend s’appuyer sur le mythe de l’individu tout-puissant pour réduire l’humain à un autoentrepreneur sans conscience de sa misère solitaire et défaire méthodiquement l’édifice social construit par les luttes. Mais résister, c’est créer et nous ne pouvons pas nous borner à défendre les acquis de l’ancien monde : il faut reprendre le travail d’imagination.
Communistes, nous voulons être dans le mouvement du réel et figurer au premier rang des bâtisseurs de formes sociales et institutionnelles renouvelées. Or, nous l’avons bien constaté en construisant ce dossier, nos générations numériques, nourries d’une conscience du monde plus large et mieux partagée que jamais, foisonnent d’avant-gardes pour explorer des voies nouvelles : généralisation du régime des intermittents dans une économie de la contribution, droits attachés à la personne plutôt qu’au contrat de travail, revenu universel, salaire à vie, sécurité d’emploi et de formation… Toutes les pistes ne sont pas à suivre sans doute.
Mais nous avons notre boussole progressiste et l’atout d’une histoire riche, tantôt glorieuse et tantôt amère, pour savoir – par-delà les effets de manche des prophètes – travailler au corps la complexité du réel, dissiper les écrans de fumée et construire plus solidement que par le passé les fondations d’une humanité plus humaine.
Une réflexion sur “Un peu plus à perdre que nos chaînes, toujours un monde à gagner, Sébastien Elka*”