#On vaut mieux que ça# par Lise Toussaint*

*Lise Toussaint est coordinatrice de la Rédaction de Progressistes


C’est un Breton qui me l’a racontée. Il faut dire que c’est une expérience de grenouille.
Prenez l’animal, déposez-le dans une casserole d’eau bouillante… la bestiole, dans un réflexe immédiat, va jaillir de l’eau et s’en sauver. Faites l’inverse : déposez d’abord l’animal dans une casserole d’eau encore froide et faites chauffer à feux doux. La grenouille va se laisser assassiner sans même remarquer qu’elle cuit.
Le gouvernement et le MEDEF devaient connaître aussi cette histoire.
Dans le privé comme dans le public, ça fait longtemps que les cadres ne pointent plus. Les cadres d’abord… et puis aussitôt les autres. Pas besoin de pointer quand on culpabilise de quitter son poste à l’heure. Quand avoir un métier qui plaît doit être considéré comme une rémunération en soi. Quand le repos s’achète à coût de week-ends où – c’est promis – cette fois, on n’emportera que quelques dossiers.
Non, le seul qui se pointe, c’est le burn-out. Et l’on doit encore s’en vouloir d’être maillon faible. Notre génération, politisée, cherche un sens : de sa consommation à son vote, elle veut peser mais refuse toute arme collective. C’est la prouesse du camp d’en face : faire penser que se libérer et penser par soi-même, c’est refuser de se laisser enrichir par l’expérience et l’organisation collective.
Sans souvent mesurer le poids dogmatique des mots qu’elle emploie, elle dit « politicien » à la place « d’homme et/ou femme politique », « apolitique » au lieu d’« apartisan », « poste » et non « mandat ».
Le communiste, le scientifique, le syndicaliste se sentent souvent Cassandre.
Et puis, voilà que trop sûre d’elle, l’oligarchie de notre pays a voulu accélérer notre cuisson. Au sein de la société, quelque chose frémit. Des voisins que nous pensions endormis s’élancent plus vite que nous.
Un million de signatures pour rejeter cette attaque scélérate contre le monde du travail ! Bien sûr, ça surprend. Bien sûr on ne sait pas où ça va. Bien sûr on ne maîtrise rien. Et alors ? Partout dans le monde il y a des signes d’espoir sur lesquels s’appuyer. Y compris au sein même de l’empire du capital. Alors que l’accélération des progrès technologiques va bouleverser le monde du travail, les équilibres mondiaux et l’économie globale dans les années à venir, de manière peu médiatisée, en Finlande on met en place un revenu universel, en Islande on refuse de payer la dette publique, en France, la CGT propose de passer aux 32 heures.
Pendant ce temps, nos « élites » politiques et médiatiques, toutes formées à la même enseigne et élevées au même biberon, prennent leurs oeillères pour des jumelles. Bourdieu ne disait-il pas au sujet des journalistes qu’on est d’autant plus manipulateur qu’on est soi-même manipulé ?
La loi « travail », en plus d’être une faute politique et économique, témoigne d’une incapacité à prévoir, d’une volonté de nier les évolutions du monde du travail, les modes de vie et les aspirations de la société. Y compris celles des entreprises (il n’y a pas que celles du CAC40 en France !).
Ces choix ne sont pas seulement dogmatiques, ils sont le pouls de la déconnexion de cette oligarchie et de ses serviteurs zélés avec le reste de la société. Ils veulent réduire par tous les moyens notre imaginaire collectif au leur. S’ils le pouvaient, ils feraient en sorte de maîtriser nos rêves. Et ils essayent !
Notre défi, en tant que progressistes, n’est pas seulement d’accompagner la mobilisation. Bien au-delà, il doit être de libérer les esprits, de décloisonner les imaginaires, de faire respirer les rêves. Ils ne nous ont pas encore cuits.

 

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