Le travail des femmes, dans tous les domaines de la vie économique et sociale, appelle à changer radicalement le mode de production et d’échange qui préside à la destinée de notre pays.
*Laurence Cohen est responsable nationale du PCF aux Droits des Femmes et du Féminisme
Au moment où toutes les crises s’exacerbent, où la situation politique que nous vivons est inédite, aborder la question de la division du travail avec des « lunettes féministes » paraît anecdotique. Et pourtant, les femmes sont au cœur de la double exploitation de classe et de sexe. La répartition des rôles entre femmes et hommes dans la sphère publique comme dans la sphère privée conforte un modèle de société qui s’appuie sur deux systèmes d’exploitation, d’oppression : le système capitaliste et le patriarcat.
UNE DIVISION DU TRAVAIL ARCHAÏQUE
Il en est ainsi de la division du travail au sein de la famille, qui est illustrée, lui conférant force de modèle sinon d’évidence, par de nombreux supports de communication : affiches publicitaires, livres, programmes scolaires, films… Les mamans entretiennent le foyer, prennent soin des enfants et sont disponibles pour leurs époux; les papas apportent un salaire, bricolent et, surtout, prennent les décisions. Contrairement à ce que laisse penser un certain discours lénifiant dans les médias, la « main invisible du marché » n’a pas réglé ce problème au seuil du XXIe siècle : en 2015, les femmes assument toujours 80 % des tâches ménagères, elles forment l’écrasante majorité des parents au foyer, elles constituent, selon une étude de l’INSEE de 2011, 85 % des parents des familles monoparentales, et la moitié d’entre elles suspendent leur activité professionnelle à l’arrivée d’un enfant.
La division du travail à l’entreprise épouse les contours de la famille : les femmes y sont assignées à des tâches de mère valorisant leurs compétences « naturelles », les hommes à des tâches de père valorisant leurs compétences techniques. Ainsi, 48% des femmes occupant un emploi sont concentrées dans quatre secteurs d’activité – santé et services sociaux, éducation, administration publique, commerce de détail – sur les vingt-quatre que compte le pays.
De plus, la dimension technique des métiers dits « féminins » est soigneusement niée, et ils sont maintenus au bas de l’échelle. C’est, par exemple, le cas des infirmières, dont les trois années d’études sont considérées comme un bac + 2 dans les conventions collectives, ou encore des contrats à temps partiel, généralement précaires et vidés de responsabilités, dont 80 % des titulaires sont des femmes. La « main invisible du marché » n’a pas dépassé la division du travail entre les hommes et les femmes. On peut même dire qu’elle la fabrique.
Assignées au foyer et traitées, le plus souvent, comme des forces d’appoint à l’entreprise, les femmes sont au cœur d’une division du travail plus large encore : non seulement au sein de la famille et au sein de l’entreprise, mais aussi entre la famille et l’entreprise. On attend d’elles qu’elles produisent et reproduisent au foyer, en assurant repas, soins, éducation, la force de travail que leurs époux, leurs enfants et elles-mêmes iront mettre à la disposition d’un employeur. Cette répartition des rôles entre les femmes et les hommes est le moteur dont le système tire toute sa force.
LA VOIE DU PROGRÈS EST GRANDE OUVERTE
C’est pourquoi la mondialisation du capitalisme et les défis qu’elle suscite accentuent en même temps les exigences qui pèsent sur les femmes à l’entreprise et au foyer. Si on pense à l’allongement de la vie par exemple, ce sont les femmes qui sont sollicitées pour s’occuper des parents et beaux-parents âgés, suppléant ainsi la carence entretenue des services publics. De la même manière, les progrès professionnels et industriels de nos sociétés nécessitent des salarié(e)s mieux qualifié(e)s, avec davantage de responsabilités. Cela pose la question de la formation, de l’avancement professionnel, des salaires… autant de sujets où les inégalités entre les femmes et les hommes sont tenaces malgré les textes de loi et les voeux pieux. Aujourd’hui, non seulement les inégalités professionnelles perdurent mais les inégalités entre les femmes elles-mêmes se creusent. C’est la confirmation, s’il en était besoin, de la nécessité de porter un projet « féministe-lutte des classes » pour transformer la société. C’est en cela que les revendications portées par les femmes sont universelles et qu’elles tirent l’ensemble des sociétés vers l’émancipation humaine.
Car si les femmes sont en première ligne de toutes les divisions du travail, elles le sont aussi dans le combat pour les abolir. C’est le sens, notamment, de la revendication féministe pour en finir avec la double journée de travail. Cette exigence porte en elle, en effet, tous les grands combats révolutionnaires qui sont à l’ordre du jour, du partage des tâches et des décisions dans la famille à la baisse du temps de travail hebdomadaire sans perte de salaire, d’un véritable service public de la petite enfance à la prise de pouvoir des salarié(e)s à l’entreprise.
C’est pourquoi, dans un contexte où les luttes sont difficiles, il est essentiel de promouvoir les succès remportés par les femmes de chambre de grands hôtels parisiens, ou encore les coiffeuses du 57, boulevard de Strasbourg, à Paris… Et d’en tirer toutes les leçons. Il n’est pas exagéré de penser que ce sont les femmes qui peuvent révolutionner le travail.