Dans le monde du travail, les femmes sont victimes des mĂȘmes violences quâĂ lâextĂ©rieur du travail, et notamment de violences sexistes et sexuelles. Ainsi, 8 % des agressions sexuelles et 25 % des gestes dĂ©placĂ©s sont commis sur le lieu de travail ou dâĂ©tude. Plus largement, 80 % des femmes salariĂ©es considĂšrent quâelles sont rĂ©guliĂšrement confrontĂ©es Ă des attitudes ou dĂ©cisions sexistes. Â
*Caroline Bardot est juriste du travail.
UNE RĂALITĂ MASSIVE
Les violences que nous abordons constituent une rĂ©alitĂ© massive, qui frappe principalement les femmes, mais aussi une rĂ©alitĂ© trop souvent invisible. On peut faire de nombreux parallĂšles entre les violences faites aux femmes dans le cadre conjugal et au travail : dĂ©pendance Ă©conomique, isolement, risque de reprĂ©saillesâŠ
Un sondage Ifop-DĂ©fenseur des droits de mars 2014 rĂ©vĂšle que 20 % des femmes ont subi du harcĂšlement sexuel sur leur lieu de travail au cours de leur carriĂšre. Cette proportion nâa, hĂ©las, pas baissĂ© en vingt-trois ans, puisquâelles Ă©taient 19 % Ă se dĂ©clarer victimes en 1991, date de la derniĂšre enquĂȘte rĂ©alisĂ©e en France sur ce sujet.
Aujourdâhui rĂ©alitĂ© malheureusement massive, sans impliquer nĂ©cessairement une relation de subordination entre la victime et lâauteur du harcĂšlement, les cas de violence sexuelle au travail ne se rĂ©duisent pas au harcĂšlement sexuel.
Les formes de violence sexuelle ou sexiste au travail sont multiples : agissement sexiste, harcĂšlement sexuel, agression sexuelle, viol⊠Cela peut se caractĂ©riser par des images pornographiques, des propos ou courriels dĂ©gradants Ă caractĂšre sexuel, des propos ou comportements ouvertement sexistes, grivois ou obscĂšnes, de mimes sexuels, des intrusions dans lâintimitĂ© des salariĂ©es, de chantage ou de sollicitation sexuelle, dâattouchements ou de pĂ©nĂ©tration imposĂ©e⊠Pour les trois quarts des femmes actives qui sâestiment victimes de harcĂšlement sexuel au travail, il sâagit de gestes ou de propos Ă connotation sexuelle rĂ©pĂ©tĂ©s malgrĂ© leur absence de consentement. Dans 40 % des cas, câest un collĂšgue sans lien hiĂ©rarchique qui est Ă lâorigine du harcĂšlement, dans 18 % un supĂ©rieur hiĂ©rarchique et dans 22 % le patron ou lâemployeur.
REFLET DâUNE SOCIĂTĂ PATRIARCALE ET DE LA DOMINATION DE CLASSE
Comme lâanalyse si justement lâAssociation europĂ©enne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), ces actes ont en commun dâassujettir les personnes visĂ©es, notamment les femmes, de les dĂ©valoriser et dâĂȘtre commis dans le cadre dâun rapport de pouvoir dans lequel sâadditionne lâexercice dĂ©voyĂ© de la supĂ©rioritĂ© hiĂ©rarchique et de privilĂšges sexuels masculins, qui ne sâarrĂȘtent pas Ă la porte de lâentreprise. Autrement dit, les violences sexuelles et sexistes au travail sont le double reflet de la sociĂ©tĂ© patriarcale et de la domination de classe.
Le fait que les femmes placĂ©es dans une situation dâemploi prĂ©caire ou dâisolement sont plus exposĂ©es aux situations de harcĂšlement sexuel lâatteste. Ainsi, dans trois cas de harcĂšlement sur dix, les femmes victimes dĂ©clarent quâelles se trouvaient dans une situation dâemploi prĂ©caire. Il ne faut pas minimiser les consĂ©quences de ces violences. La psychodynamique du travail a permis de mettre en Ă©vidence les liens entre un milieu de travail marquĂ© par lâhostilitĂ© et une dĂ©gradation de la santĂ©, en ceci que les comportements hostiles, en niant la dignitĂ© de la personne et/ou la qualitĂ© du travail, portent fortement atteinte au sentiment de sa valeur, Ă lâestime de soi.
Ainsi, un tiers des victimes ont subi des consĂ©quences sur leur santĂ© ou leur mental. Le mĂ©decin psychiatre Marie-France Hirigoyen prĂ©cise bien que « câest la rĂ©pĂ©tition des vexations, des humiliations, sans aucun effort pour les nuancer, qui constitue le phĂ©nomĂšne destructeur. Lâentourage professionnel, par lĂąchetĂ©, Ă©goĂŻsme ou par peur, prĂ©fĂšre se tenir Ă lâĂ©cart ». Elle souligne que le harcĂšlement sexuel reste marquĂ© par la loi du silence et que cela est dĂ» Ă la tolĂ©rance culturelle face au comportement des harceleurs.
UNE DĂFINITION PĂNALE DU HARCĂLEMENT SEXUEL ET DES AGISSEMENTS SEXISTES
Faisant suite Ă lâĂ©laboration progressive, dĂšs 1986, dans le droit communautaire de la notion de harcĂšlement sexuel dans le monde du travail, le lĂ©gislateur en France a introduit en 1992 le dĂ©lit de harcĂšlement sexuel dans le Code pĂ©nal. Cela ne sâest pas fait sans dĂ©bat, notamment de la part de certains parlementaires ou membres du gouvernement, dont Michel Sapin, qui estimaient que les textes existants suffisaient en la matiĂšre et quâun texte spĂ©cifique nâĂ©tait pas nĂ©cessaire.
Le harcĂšlement sexuel est dĂ©fini comme le fait soit dâimposer Ă une personne, de façon rĂ©pĂ©tĂ©e, des propos ou comportements Ă connotation sexuelle qui portent atteinte Ă sa dignitĂ© en raison de leur caractĂšre dĂ©gradant ou humiliant, soit de crĂ©er Ă son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Il en rĂ©sulte que sont considĂ©rĂ©s comme des actes de harcĂšlement sexuel des actes rĂ©pĂ©tĂ©s, qui interviennent dans le cadre professionnel mais sans quâil soit nĂ©cessaire que le harcĂšlement ait dĂ©jĂ causĂ© un dommage au salariĂ©. Il suffit que la situation soit susceptible de porter atteinte Ă ses droits, Ă sa dignitĂ© ou dâaltĂ©rer sa santĂ© physique ou mentale. Ainsi, une dĂ©cision rĂ©cente de la Cour de cassation2 a Ă©tabli que dĂ©clarer sa flamme avec insistance et lourdeur Ă une collĂšgue de travail Ă©tait constitutif de harcĂšlement sexuel.
LA RECONNAISSANCE DU HARCĂLEMENT ENVIRONNEMENTAL ET SES CONSĂQUENCES
Une dĂ©cision rĂ©cente dâun conseil des prudâhommes a jugĂ© que la seule atmosphĂšre de travail hostile qui provoquait le malaise de la salariĂ©e qui avait saisi cette instance suffisait Ă caractĂ©riser le harcĂšlement sexuel dans le cadre professionnel. Il sâagit lĂ dâun tournant important dans la reconnaissance du harcĂšlement environnemental.
Le harcĂšlement moral et sexuel constitue un dĂ©lit sanctionnĂ© pĂ©nalement et un comportement prohibĂ© par le Code du travail. En droit du travail, lâemployeur est tenu envers ses salariĂ©s dâune obligation de sĂ©curitĂ© de rĂ©sultat en matiĂšre de protection de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© des travailleurs dans lâentreprise, et notamment en matiĂšre de harcĂšlement. Autrement dit, lâemployeur doit prĂ©venir les agissements de harcĂšlement au sein de lâentreprise, et ce quels que soient les liens entre lâauteur et la victime. Pour autant, lâenquĂȘte Ifop-DĂ©fenseur des droits susmentionnĂ©e rĂ©vĂšle que la grande majoritĂ© des employeurs nâa pas mis en place dâactions de prĂ©vention contre le harcĂšlement sexuel (82 %).
PORTER PLAINTE, UN PARCOURS DâOBSTACLES
De mĂȘme, il nâest pas acceptable que, pour diverses raisons, liĂ©es souvent Ă la peur, 69 % des femmes actives victimes de harcĂšlement nâaient pas portĂ© la situation Ă la connaissance de la direction de leur entreprise ou de leur administration ; et lorsquâelles lâont fait, 40 % estiment que lâaffaire sâest terminĂ©e Ă leur dĂ©triment.
Ă noter, la loi Rebsamen du 17 aoĂ»t 2015 a fait entrer dans le Code du travail la notion dâagissement sexiste, dĂ©fini comme tout agissement liĂ© au sexe dâune personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte Ă sa dignitĂ© ou de crĂ©er un environnement intimidant, hostile, dĂ©gradant, humiliant ou offensant.
Pour autant, mĂȘme si les faits de harcĂšlement sont sanctionnĂ©s pĂ©nalement, le nombre de situations de harcĂšlement sexuel au travail qui ont Ă©tĂ© portĂ©es devant la justice demeure marginal. Ainsi, il est estimĂ© que seuls 5 % des cas Ă©voquĂ©s ont fait lâobjet dâun procĂšs devant un tribunal et que 90 % des plaintes sont classĂ©es sans suite. Un rapport prĂ©sentĂ© Ă lâAssemblĂ©e nationale en 2012 signale mĂȘme que « ces chiffres montrent bien que porter plainte pour harcĂšlement sexuel constitue un vrai parcours dâobstacles. La durĂ©e moyenne des procĂ©dures est trĂšs longue : le dĂ©lai moyen entre les faits les plus rĂ©cents et la date du jugement en premiĂšre instance est de 27 mois et la tĂ©nacitĂ© de la plaignante est indispensable ». Câest reconnaĂźtre que, en dĂ©pit de la réécriture du dĂ©lit de harcĂšlement sexuel en 2012, la justice Ă©choue Ă faire justice aux victimes.
Aussi, les dispositions pĂ©nales et le Code du travail doivent continuer Ă ĂȘtre rĂ©formĂ©s. Il faut rappeler quâen juillet 2014 il avait Ă©tĂ© votĂ© une « indemnisation plancher » Ă©quivalente Ă douze mois de salaire ainsi que le versement des salaires entre le moment de la rupture du contrat de travail et le jugement dĂ©finitif en cas de harcĂšlement moral. Or ces dispositions favorables aux victimes et permettant de responsabiliser les employeurs ont Ă©tĂ© abrogĂ©es par le Conseil constitutionnel pour des questions de procĂ©dure lĂ©gislative. Elles nâont jamais Ă©tĂ© reprises par la suite.
Le harcĂšlement sexuel et les agissements sexistes sont autant de violences faites le plus souvent aux femmes, violences assises sur des rapports de domination et dâintimidation. En ce sens, elles sont incompatibles avec une sociĂ©tĂ© fondĂ©e sur le respect de lâautre et sur lâĂ©galitĂ© entre les femmes et les hommes.