PÔLE PUBLIC? NATIONALISATIONS? MAÎTRISE SOCIALE?…, Par Danielle Montel*

À propos des articles de Fabien Cohen.

*Danielle Montel est coauteur de Big pharma, l’urgence de la maîtrise sociale.

L’actualité des derniers mois, les réactions de nombreux acteurs de la chaîne de soins, montre l’importance de la santé pour les citoyens et la place que ce bien commun doit prendre dans la société humaine que nous voulons. Pour ce qui concerne le médicament, en faire ce qu’il doit être : bien commun, le sortir du marché est une visée pour la société humaine à laquelle nous œuvrons. Les échanges nous poussent à impulser un débat citoyen de confrontation.

1. Si, comme principe fondamental, le médicament n’est pas une marchandise

Alors l’évolution ou le bien-fondé de sa consommation ne peuvent pas être évalués en termes de valeur, mais par rapport aux besoins de santé, à l’échelle de la population mondiale. Plus de 50 % des maladies, dans le monde, sont sans thérapies adaptées. L’accès aux soins de toutes les populations est encore un droit à conquérir. Le médicament n’est pas un produit comme les autres : il a une origine/princeps, une traçabilité de sa production, un coût, un prix (l’un et l’autre actuellement non transparents), une traçabilité de ses effets thérapeutiques et de ses effets secondaires ; il fait l’objet d’une prescription suite à un examen médical. Il ne s’agit pas d’un simple rapport de consommation, mais d’un rapport social pouvant impliquer plusieurs actes, d’un travail qualifié. Ce sont aussi ces particularités qui imposent de traiter le devenir de sa maîtrise en termes de chaîne de la recherche-conception-innovation-production-distribution-prescription.

2. Les génériques : proposition

Les forces politiques alternatives devraient réclamer un bilan sérieux sur la réalité :

– de leurs lieux et modalités de production ;

– de leur efficacité par rapport aux médicaments princeps ;

– de leur prix.

De même, exiger du gouvernement un bilan des politiques dites de régulation des dépenses de santé, calées sur les politiques d’austérité depuis trois décennies.

3. Pôle public en France et en Europe : contradictions dans les ruptures à opérer

Si les attendus ou objectifs sont, selon Fabien Cohen :

– une recherche forte en France notamment, se situant dans les avancées des biotechnologies, des thérapies géniques et cellulaires ;

– le refus d’abandon d’axes de recherche, de vaccins…

– la volonté de répondre aux besoins de santé ;

– sortir le médicament du marché ;

– « être une force publique, indépendante des multinationales », dont Sanofi.

Et alors qu’il est souligné :

– que la force même de Sanofi (première d’entre elles), l’efficacité de sa recherche, reposait sur plus de vingt sites de production en France ;

– que la stratégie « des grands groupes pharmaceutiques internationaux ne se soucie pas de la cohérence scientifique et industrielle, du sort des salariés, de la sécurité sanitaire, de l’indépendance thérapeutique du pays, du maintien du potentiel scientifique et industriel. »

Et si le pôle public du médicament est caractérisé comme devant « créer un contrepoids réel aux multinationales, pour peser et contrôler toute la chaîne, en recherche, développement, production, distribution et vente de médicaments », compte tenu des échecs successifs et des déceptions profondes des expériences avec les gouvernements de gauche à majorité socialiste, une politique alternative a la responsabilité de s’arrêter très sérieusement sur ces capacités réelles de peser et contrôler. En particulier, qui assure ce contrôle et comment, si les ruptures qui sont proposées ne visent pas à transformer la stratégie industrielle et de recherche d’une des plus importantes multinationales et l’un des principaux groupes pharma en France et dans le monde, Sanofi ? Quels sont alors les pouvoirs réels d’intervention de la société ?

Plusieurs questions nécessitent approfondissement et propositions :

4. Les pouvoirs d’intervention citoyenne (salariés, usagers, société civile)

Quelle place les citoyens doivent-ils avoir dans un pôle public du médicament ?
Quelle place les citoyens doivent-ils avoir dans un pôle public du médicament ?

Si, comme il est dit dans le texte, « la légitimité de cette intervention citoyenne » repose sur :

– l’universalité du droit à la santé ;

– le financement par la Sécurité sociale ;

– le bien commun, l’intérêt public ;

– l’indépendance thérapeutique,

cette intervention citoyenne ne peut se résumer à « des droits supplémentaires d’intervention des citoyens et des élus de la nation, de l’assurance maladie, son principal financeur». Elle fait au contraire appelle à l’exigence de véritables pouvoirs d’intervention, au sein de l’entreprise et de la direction du groupe, et dans la société, dès la définition des orientations et axes de recherche, transparence des conditions de production/distribution, des coûts et prix des médicaments. Donner à l’assurance maladie ou à la Sécurité sociale, la puissance publique, nécessite une transformation de leur gestion et de leur mode de financement. L’expérience des plus de soixante ans d’existence, montre que la puissance publique (dans l’intérêt public) ne peut être respectée, si elle relève du seul pouvoir de l’État ou des pouvoirs publics. Les salariés et les citoyens en sont dépossédés. Le capital fait pression en permanence pour faire valoir ces exigences, et a obtenu satisfaction du gouvernement politique.

5. Placer au centre de la transformation la revalorisation du travail, du sens et de la dignité de son exercice

C’est ce qui est fondamentalement remis en cause par les stratégies de financiarisation. A contrario, cette revalorisation des activités humaines et du travail (reconnaissance salariale, dignité et responsabilité) est le moteur de toute transformation. Il ne s’agit donc pas seulement de la satisfaction des revendications salariales.

6. Viabilité d’un pôle public de recherche, production, distribution pour stopper les abandons des trusts pharmaceutiques des produits dits « financièrement non rentables »

N’y a-t-il pas une contradiction majeure à vouloir « sortir le médicament du marché » ou plus rigoureusement le sortir de la marchandisation, c’est-à-dire des choix de développement, production et distribution n’obéissant qu’aux critères de la valorisation actionnariale, si le pôle public ou l’établissement public ne prend en charge que les médicaments dits « non rentables » ? Qui définit et décide de cette « rentabilité », sur quels critères ? Donc, quelle ambition ? Prendre en charge ce que big pharma abandonne et donc socialiser les pertes ?

Que devient Sanofi dans cette stratégie ? En clair, quelle viabilité si nous n’intervenons pas au cœur de la décision de développement, sur les critères de ces choix, les conditions de la production, mais aussi sur les critères de la vente, donc du marché de biens et de services (marché à dégager du marché financier), c’est-à-dire sur la redéfinition du statut de l’entreprise (société de capitaux ou communauté de production de biens et de services), les finalités du travail et la fixation des prix et modalités de distribution ?

7. Garantie contre les risques sanitaires ?

La garantie contre les risques sanitaires (sang contaminé, Mediator…) est-elle dans le fait « d’instaurer une frontière, une étanchéité absolue, entre la politique industrielle et la politique sanitaire du médicament » ? Quelle est l’origine des risques ou scandales sanitaires ? Ces risques ou scandales ne se sont-ils pas déclarés au cœur même des orientations industrielles des groupes sur fond d’absence de maîtrise publique de la pharmacovigilance ? Il s’agit plutôt de travailler à une cohérence entre politique publique de santé et du médicament et orientations de la filière industrielle du médicament.

8. Rapports entre recherche publique et recherche industrielle ou privée

Cette question a-t-elle été véritablement approfondie ? Ceci ne peut se faire sans un travail commun avec la participation de l’ensemble des intéressés, c’est-à-dire les acteurs de la recherche publique et des acteurs de la recherche industrielle aujourd’hui dominée par le statut privé, sur ce sujet spécifique de l’élaboration des médicaments. Il est souhaitable de dresser un véritable bilan avec les intéressés. Les liens de coopérations entre établissements publics de recherche (aussi différents entre eux, par leur histoire et leur fonctionnement, tels que, INSERM, IFREMER, CEA, CNRS, hôpitaux) peuvent-ils se décréter par la création d’un « outil public, sous contrôle public » ? Le rôle de l’État ne doit-il pas faire lui-même l’objet d’une analyse critique ? Quelles sont les orientations et quels moyens réels à mettre en œuvre pour dépasser la mise en concurrence et surtout la dépendance actuelle de la recherche publique de la domination et pressions des big pharma ?

Le texte ne parle des rapports avec la recherche industrielle privée, que comme « coopérations possibles » sans remise en cause du statut et des finalités de cette recherche. Donc des coopérations et « conventions » sur quelles bases ? Peut-on affirmer sans conséquence, que « Par le pôle public, il serait fait en sorte que se créent un continuum recherche publique-privée, indispensable et un développement solidaires des territoires assuré. » Le bilan est à faire également sur les diverses formules de crédits d’impôts. L’échec du « pacte de responsabilité/compétitivité » vis-à-vis des retours d’engagements du patronat sur l’emploi et les investissements, n’est pas seulement l’échec du gouvernement et du PS, c’est l’échec d’une conception économique du donnant-donnant ou du crédit dit « incitatif » ou « sélectif ». Comment croire que 4 Md€ de dividendes de Sanofi ne suffisent pas à financer la recherche et qu’il faille 150 M€ d’exonérations d’impôts pour la recherche ?

Plus généralement, il est nécessaire de rompre avec les rapports de privatisation de la connaissance. La question des brevets doit être remise à plat… Comment fondamentalement changer la situation et la force des instances démocratiques des pays ou populations dans le monde, vis-à-vis des big pharma, en créant « un espace de délivrance de brevets du pôle public » sans changement fondamental de la conception même des brevets ni toucher à la domination des multinationales sur ceux-ci ? Les expériences de l’Inde et de l’Afrique du Sud, poussées par des exigences vitales pour leurs populations, ont bien été conduites en remettant en cause la propriété privée des brevets considérés. L’exigence doit être placée au niveau du refus de breveter tout ce qui touche à la vie. La connaissance doit être échangée à tous les niveaux, dans les laboratoires universitaires, organismes publics de recherche et laboratoires privés. Le brevet doit être distingué impérativement de la propriété intellectuelle d’une découverte.

Questions :

– Quelle est au fond la composition de ce pôle public ? Sous quel statut ?

– De tels objectifs peuvent-ils progresser sous une démarche institutionnelle ?

Tirons-nous les enseignements des échecs du concept de « mixité public-privé » qui a servi de faire valoir des privatisations des années 1990 et repris aujourd’hui par le gouvernement Hollande, notamment pour livrer à la concurrence et privatiser, dans la loi de transition énergétique, le statut de la production hydraulique d’électricité ?

9. Rompre avec les règles établies par l’OMC (AGCS, TAFTA)

Ce point est essentiel et très peu développé. Il est en fait mal maîtrisé. Ce manque de maîtrise provient sans doute, là encore du fait que la connaissance des traités et les conditions de leur remise en cause ne sont pas travaillées avec les intéressés, notamment les salariés de ce secteur, à la fois public et privé, mais aussi la population et les acteurs de la santé, donc confrontées à la stratégie subie au sein des entreprises. Il devrait lui aussi faire l’objet d’une séance de travail avec les intéressés et les députés européens du Front de gauche. La dimension internationale de ce combat est un point faible.

10. La santé est-elle un coût ? Quels financements ?

Peut-on déclarer que « la santé est un coût » ? Le texte l’affirme. Sur cette base, il projette que « les États doivent assumer notamment en assurant un financement de haut niveau indispensable ». N’y a-t-il pas confusion entre engagements de santé publique et financement des laboratoires et entreprises productrices de médicaments ? Ce sont plutôt la maladie, les polytraumatismes de la pauvreté, la recrudescence de maladies infectieuses ou le vieillissement prématuré ou dans la pauvreté qui sont des coûts pour la société. Tout progrès de l’espérance de vie en bonne santé morale et physique est au contraire un progrès pour le développement de la société. N’a-t-on pas reculé idéologiquement et politiquement sur cette question ? « Les industriels pharmaceutiques devront contribuer au financement des projets majeurs de santé publique. »

– Qui décide, et comment, de ces projets majeurs ? sur quels critères ?

– Cela ne ressemble-t-il pas à un mécénat ? Ce que le capitalisme a toujours su faire dans tous les domaines.

L’objectif affirmé devrait être que les activités de production et de recherche ont la responsabilité sociale de contribuer à la santé publique, dans son ensemble. Dans le cas contraire ou restreint à quelques créneaux, on ne peut affirmer que « la santé est un bien universel ».

En conclusion

Danielle Montel interroge le principe de « médicament », qu’on ne peut limiter à une simple marchandise. Condition d’accès aux soins, rapports sociaux, travail qualifié, de la R&D à la prescription, ou encore problématiques de traçabilité, coût, prix, princeps, effets secondaires… font partie de la définition d’un médicament.
Danielle Montel interroge le principe de « médicament », qu’on ne peut limiter à une simple marchandise. Condition d’accès aux soins, rapports sociaux, travail qualifié, de la R&D à la
prescription, ou encore problématiques de traçabilité, coût, prix, princeps, effets secondaires… font partie de la définition d’un médicament.

Notre conviction est que la crédibilité d’un projet transformateur pour des médicaments, bien public au service d’une santé pour tous, repose sur :

– la maîtrise de ce projet par les intéressés eux-mêmes. Les échecs de 1981-1988 puis ceux de la décennie 1990, condamnent une conception institutionnelle des transformations. La transformation à partir d’une décision gouvernementale initiale de création d’un pôle public ou établissement public du médicament, comme il y aurait la même déclinaison pour l’énergie ou l’eau, ne tire pas suffisamment les enseignements de ces échecs ;

– une analyse approfondie des échecs actuels de la politique néolibérale. Ce ne sont pas seulement les échecs du PS mais celui de conceptions économiques et politiques qui ont cherché à concilier les « ruptures » avec la régulation capitaliste, ce qui a conduit à leur absorption par celui-ci ;

– l’engagement de rapports de forces par des mouvements porteurs de ruptures sur tous les fronts, avec un vrai travail politique de convergence. Pourquoi ne pas s’engager dès maintenant dans cette démarche et poursuivre le débat d’options par la proposition, émise par André Chassaigne, d’un mouvement des professionnels et des citoyens pour une industrie efficace ;

– approfondissement de toutes les activités de la chaîne de santé, de la prévention, à la réponse aux besoins, de la recherche et développement, pharmacovigilance, contrôles, production de princeps, mise en forme, distribution, information de médecins, du personnel hospitalier, aux pharmaciens, aux patients, à la Sécurité sociale, à l’élaboration transparente et sociale des prix… ;

– consultation et rassemblement des producteurs, chercheurs, médecins, hospitaliers, techniciens…

Quel que soit le climat politique, les questions de santé sont dans l’actualité.

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