UNION EUROPÉENNE ET VIANDES TRANSFORMÉES : UN SCANDALE PEUT EN CACHER D’AUTRES, par Anne Riviere*

La libre circulation des marchandises dans l’UE a conduit à de nouvelles répartitions de productions complémentaires. Le pays «naisseur» est parfois à des centaines de kilomètres du pays «d’embouche», et peut ainsi tirer profit de réglementations différentes et de contrôles moins serrés pour obtenir, à la vente, sinon une viande de qualité du moins un poids et un profit supérieurs. 

*Anne Riviere est juriste.

La découverte britannique de lasagnes Findus, puis Picard, à la viande de cheval – moins chère que le bœuf annoncé sur l’emballage – a focalisé l’attention en 2013 sur de longs circuits commerciaux intra-européens ignorés du public, ponctués de traders pressés de vendre, de sous-traitants et de parcours embrouillés mais très rémunérateurs. La révélation d’approvisionnements en lots de « minerai » de viande (chutes de découpes jamais utilisées avant 1970), conditionnés sous forme de briques surgelées, retrouvées partout en Europe – et jusqu’à Hong Kong – chez les plus grands distributeurs a découragé un temps la consommation de plats tout préparés, faute d’étiquetage, non obligatoire sur la viande dite « transformée ». 

UNE CONCURRENCE VACHE 

Les éleveurs de bovins français, déjà fragilisés, en font les frais malgré leurs efforts de qualité et de respect de règles sévères de traçabilité, moins évidents ailleurs. Le patrimoine bovin de l’Hexagone, digne d’intérêt pour sa qualité gustative, est menacé de disparition (500 suicides d’éleveurs entre 2010 et 2013), et s’installe une « lutte de classe » parmi les vaches, entre les laitières en fin de carrière, enfermées, et les blondes en liberté, nourries à la graine de lin. La porosité due à la fonte des effectifs douaniers, des contrôles vétérinaires insuffisants et la démoralisation des services supposés contrôler – numériquement – des indications vagues, voire inexactes, y ont contribué. Qui sait que seul 0,01 % des produits sont vérifiés par les douanes à leur entrée sur le territoire européen, qui ne protège guère son agriculture ? 

VERS UN « CHEVALGATE » ? 

N30 Chevalgate
Après les scandales des vaches folles, des farines animales (réautorisées) et des antibiotiques, la menace d’un «chevalgate» plane, tant est mal encadrée et contrôlée l’origine de cette viande.

Le cheval n’est pas une mauvaise viande, au contraire, mais peut le devenir par son origine, parfois douteuse, ou du fait d’une tricherie dans la fixation de sa provenance : retraite paisible ou abattage, racheté à 10 pièce aux États-Unis ou ailleurs (avec, par exemple, présence de phénylbutazone, antidouleur interdit dans la chaîne alimentaire humaine). Le risque d’un « Chevalgate » international est permanent, alors que d’anciens scandales sont dans les mémoires : vache folle, farines animales (de retour depuis 2013) pour nourrir poissons et crevettes. 

La profession déplore la baisse continue en France de consommation de morceaux dits « nobles » en viande fraîche au profit de steaks hachés, moins chers, de composition multiple. Il y a aussi du porc dans le bœuf… à l’occasion de cette guerre des prix, sans police économique effective. 

QUALITÉ OU TRAÇABILITÉ? 

La Commission européenne n’a pas dit que les provenances diverses dans le matériau usiné rendent difficile l’identification. En revanche, elle s’est émue du souhait des consommateurs d’une traçabilité, un peu plus chère, mais n’a rien dit quant au  niveau des salaires et revenus qui expliquent les choix alimentaires d’un grand nombre, selon la logique du prix le plus bas. Ne faut-il pas nourrir le travailleur peu payé ou précarisé tout en maintenant la profitabilité pour les grands distributeurs ? Face à une industrie de la viande mondialisée, deux ans pour accéder à une forme d’étiquetage CEE des viandes transformées est-ce suffisant pour rassurer et éliminer les risques réels de trafics ? La frontière entre la tromperie sur la marchandise, ayant généré des bénéfices de l’ordre de 1 000 %, et un mode de production intensif qui fait appel à l’« autocontrôle », tant qu’il n’y a pas de drame sanitaire avéré, semble assez mince au vu de récidives récentes. 

D’autres facteurs menacent les productions de qualité, lesquelles pourraient néanmoins faire la différence. Parmi ces facteurs, signalons surtout le dumping social et ses conséquences sur le prix et la qualité du bœuf et du porc : par application de la loi du pays d’origine, des salariés roumains, polonais ou autres travaillent dans les élevages industriels intensifs d’Allemagne pour 7 l’heure. En même temps, les terres roumaines sont rachetées par des financiers collectant des subventions pour le « bio », spoliant les petites exploitations familiales. 

La dérégulation de la production de lait va aussi aggraver les risques pour notre filière bovine dans une flambée de concurrences déloyales, au détriment des veaux, dont le sort n’est guère enviable. 

La perspective d’un traité transatlantique [voir article « Les agriculteurs de montagnes dans l’étau libéral »] et de la subséquente arrivée massive de viandes provenant des États-Unis – de 300 000 à 600 000 t issues de bêtes nourries dans des stalles sans herbe, les feedlots (« parcs d’engraissement »), hormones et antibiotiques à la clef – est inquiétante. 

Les citoyens doivent se préoccuper du TAFTA [voir Progressistes no 6] pour défendre leur souveraineté alimentaire… et leurs paysages. 

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