La prise de conscience de difficultés insurmontables qu’il y aurait à poursuivre encore longtemps une économie linéaire fondée sur l’exploitation sans limite des ressources grandit dans tous les milieux de la population. Témoigne de cette inquiétude, ce livre préfacé par François-Michel Lambert, président de l’Institut de l’économie circulaire et député d’EELV. Il s’agit d’un guide opérationnel adressé aux entreprises, mais aussi aux responsables des collectivités territoriales, pour les encourager à s’engager dans la transition vers l’économie circulaire.

Ce livre donne une bonne synthèse des techniques organisationnelles permettant la mise en place de boucles de production, de distribution et d’utilisation dans le cadre d’une économie circulaire. L’auteur, consultant et associé de plusieurs grandes sociétés de conseil, illustre son propos d’exemples concrets. Un style pratiquement télégraphique, des anglicismes omniprésents, un vocabulaire branché « cadres d’entreprise », certains raccourcis qui peuvent générer des contresens, ainsi : « les sables sont des ressources en telles quantités qu’elles ne sont pas épuisables à l’échelle mondiale ». C’est vrai, mais il faudrait ajouter que leur exploitation actuelle a un impact environnemental catastrophique : disparition d’îles, de plages-tampon, entre autres. Les méthodes et outils de l’économie circulaire sont décrits sous forme de fiches techniques très lisibles et instructives.
Les deux premières parties du livre sont consacrées à l’économie circulaire et ses enjeux, puis à la gestion des flux de matières. La troisième partie revêt un intérêt tout particulier car l’auteur explique – et il semblerait que cela soit le but ultime de son travail – comment dégager du profit en économie circulaire. Il montre que l’on peut créer, distribuer et capturer de la valeur en mettant en oeuvre l’économie de la fonctionnalité (boucle courte de maintenance et de réemploi), le prolongement de la durée de vie du produit (boucle de réparation et de remise en oeuvre), ainsi que la récupération de matériaux (boucle de recyclage). Plus la boucle est courte, plus la création de valeur est importante. Rémy Le Moigne explique ensuite que dans une économie circulaire une entreprise doit procéder à la mise en place de partenariats pour mutualiser des compétences (par exemple pour la gestion, la collecte et la valorisation des déchets) ou des moyens (financiers ou matériels). Cela peut aller jusqu’à la mise en oeuvre de symbioses industrielles dans lesquelles les déchets ou sous-produits des uns sont utilisés comme matières premières par d’autres. Il est alors nécessaire de procéder, à l’échelle d’un territoire, à des études de métabolisme industriel et de synergie potentielle, puis à des études de faisabilité. Rémy Le Moigne détaille certaines méthodes de l’écoconception : les directives de conception en vue du retraitement, l’analyse du cycle de vie, le biomimétisme et l’approche « berceau à berceau », qui vise à développer des produits ayant un cycle de vie circulaire afin d’être récupérés et réutilisés sans interruption. Toutefois, il ne s’étend pas sur les moyens de l’écoconception, et leur description est parfois floue. Enfin l’auteur souligne qu’apparaissent des pertes de valeur significatives le long des boucles de l’économie circulaire, et qu’il est donc nécessaire de « piloter la performance » en étudiant de près divers indicateurs comme les taux de recyclabilité, de valorisabilité, etc.
POUR UNE ÉCONOMIE CIRCULAIRE DE PORTÉE RÉVOLUTIONNAIRE
Et l’être humain dans tout ça ? C’est le grand absent du livre. Cette absence vide l’ouvrage de toute portée réellement transformatrice. L’économie circulaire qu’il est nécessaire de construire est un système économique, social et environnemental intégré dans lequel l’être humain doit occuper la place centrale. Elle commence par l’identification des flux de matière générés par l’activité humaine qui ont un impact environnemental significatif (on parle alors de l’étude du métabolisme des différents secteurs d’activité) afin de dégager des synergies entre les différents secteurs. Elle doit être incorporée à la production dès la conception du produit à fabriquer. Elle doit intervenir à tous les niveaux de la société pour que la réutilisation, le recyclage ou la biodégradation, à réaliser au sein d’une communauté d’acteurs (travailleurs, consommateurs, collectivité territoriale, fournisseurs, distributeurs…), soient intégrées à l’ensemble du système économique. Elle doit impliquer les citoyens actifs dans un grand nombre de structures publiques, privées ou associatives : les instituts ou centres de recherche, les universités, les groupements d’entreprises ou de coopératives, les organismes d’État, régionaux ou municipaux… Elle inclut bien sûr toutes les activités productives, y compris les activités agricoles : le grand mouvement actuel de l’agriculture biologique s’intègre parfaitement dans cette perspective. Elle se construit à partir des progrès scientifiques et techniques qui permettent d’assurer le partage et la gestion démocratique des biens communs. L’économie circulaire que nous souhaitons construire, celle qui a pour mot d’ordre « l’humain d’abord », porte véritablement en elle un développement renouvelé de l’humanité. Elle propose une perspective qui dépasse la seule valorisation des déchets (à cet égard, le projet gouvernemental présenté par Ségolène Royal est d’une grande faiblesse) : son objectif premier est de rendre le système productif que nous connaissons compatible avec la conservation de la biosphère tout en satisfaisant les besoins d’une population croissante avec ses aspirations à l’émancipation, au bien-être et au bien-vivre. Il s’agit donc d’améliorer l’ensemble du métabolisme des activités humaines, et cela nécessite la participation active de chaque citoyenproducteur- consommateur. C’est toute l’organisation sociale qui est concernée. L’ampleur du projet comporte très nettement des aspects civilisationnels.
Il est hautement significatif que Rémy Le Moigne fasse remonter l’origine de la proposition d’économie circulaire aux années 1960, ignorant ainsi complètement l’apport de la tradition marxiste. Pourtant, c’est bien dans le livre III du Capital que l’on en trouve les fondements. Marx est bien le premier penseur à développer le concept de métabolisme pour caractériser les rapports, médiatisés par le travail, des êtres humains à la nature. Parmi les propositions actuelles des communistes, il y a celles basées sur de nouveaux droits et pouvoirs pour les travailleurs afin qu’ils puissent intervenir et décider des choix qui président à l’organisation du travail, aux investissements, à l’aménagement du territoire, aux stratégies des entreprises et à leur financement. La citoyenneté doit forcer la porte des lieux de travail pour assurer la réussite d’une économie circulaire et, ce faisant, l’émancipation de chacun. La visée communiste consiste à transformer le monde par un développement réel de la démocratie alors que le capitalisme n’est attaché qu’à sa propre survie !
ÉCOQUARTIER DE LA FRICHE LEBON, L’ÉCOLOGIE TERRITORIALE PAR LA PRATIQUE
Le terme d’« écoquartier » est à la mode, sans qu’on sache toujours ce qui s’y cache. À Dieppe, c’est une association de citoyens qui s’est emparée du concept.
Depuis 2009, l’association Quartier & Co s’est engagée dans un projet de « quartier-jardin partagé ». Le site, la friche industrielle Lebon, à Dieppe, s’étend sur 3,7 ha. Porté par un collectif d’une quarantaine de personnes, le projet a, dès le départ, bénéficié de l’appui de la municipalité d’union à direction communiste, mais aussi de l’ADEME, et l’association a été lauréate en 2013 de l’appel à projets Économie sociale et solidaire de la région Seine-Maritime. La communauté d’agglomération s’est toujours montrée plus réticente.
Le projet ambitionne de créer un quartier à part entière, ouvert sur la ville et son environnement, réduisant au minimum l’impact humain sur la nature par une organisation intelligente de l’espace et des flux. Il devra permettre d’ajouter aux avantages de la vie en ville des avantages plutôt associés à la vie rurale : vie de village, jardins productifs et d’agrément, troc, entraide, mutualisation d’équipements et de services…
D’emblée, les porteurs du projet lui ont donné pour finalité de permettre d’y vivre et travailler dans un ensemble urbain partagé, c’est-à-dire choisi, construit et géré par un collectif d’usagers. À cette préoccupation démocratique s’ajoute la volonté de réaliser une opération d’urbanisme – 120 logements – socialement innovante et écologiquement exemplaire, sans jamais dissocier les trois volets. Le volet écologique est présent dès la conception du projet, puisqu’il s’agit de reconvertir une friche industrielle par l’écoconstruction, la préservation du foncier, l’efficacité énergétique, les transports doux, la place prépondérante des jardins, la gestion optimisée des déchets, etc.
L’innovation sociale s’exprime, elle, dans l’habitat coopératif et l’accessibilité à tous, de l’hébergement de compagnies d’artistes ou de touristes – 150 lits prévus – à la résidence permanente d’adultes handicapés mentaux suivis et à l’accueil d’une structure de répit Alzheimer. Et, bien sûr, elle aborde la question de l’activité, avec la création à terme de 70 emplois sur des activités économiques utiles à la cité, telles qu’une « ressourcerie », lieu de formation pour adultes, une école de langues, un restaurant et une coopérative bio, un atelier vélo, un système d’autopartage…
L’étude de faisabilité du projet, réalisée par un groupement d’experts, a commencé en septembre 2014. Elle se terminera en mars 2015, et commenceront alors la recherche de financement et la programmation fine architecturale et urbanistique. Les travaux de la première phase ne débuteront pas avant 2018. Il faut du temps et de la ténacité pour bien faire les choses… et c’est cela aussi le changement de modèle.
ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE, DÉPASSER L’EXPÉRIMENTATION
Comme toute idée importante, l’écologie industrielle et territoriale (EIT) a été une pratique avant d’être une théorie. Mais cinquante ans après les premières expériences le concept est posé, il est temps de passer à la phase d’industrialisation.
Dès 1961, la municipalité danoise de Kalundborg (50000 habitants) inaugurait une série de collaborations avec des industriels de son territoire et entre ceux-ci pour organiser une gestion coopérative de différentes ressources (eau douce, gaz de raffinerie, déchets organiques…). Au fil de dizaines d’accords croisés entre les acteurs locaux, Kalundborg est devenu le lieu d’expérimentation d’un nouveau type de zone industrielle, aux consommations optimisées par des échanges permanents d’énergies et de matière. Une démarche consolidée en 1996 par la création de l’Institut de symbiose industrielle.
En France, Agendas 21 et différents schémas territoriaux ont permis, depuis les premières années du siècle, le développement du même genre d’initiatives locales. On reste toutefois loin des grands plans d’EIT qui seraient nécessaires pour avoir de vrais effets, et ce pour deux raisons. D’abord, la plupart des projets lancés aujourd’hui dépendent de la bonne volonté des industriels. Tant qu’il s’agit de faire des économies tout en verdissant leur image, ils peuvent être convaincus qu’il s’agit d’une démarche « gagnant-gagnant » et s’y engager. Mais dès lors qu’il s’agit d’investir dans des installations coûteuses ou de partager de l’information (via des plates-formes numériques spécialisées), leur enthousiasme s’avère plus limité. Et pour l’heure les acteurs publics n’ont que peu de moyens pour les contraindre.
Ensuite, le fait que ces actions soient conçues à des dimensions très locales, municipales, est aussi une limite. Car l’intérêt de l’EIT est d’autant plus grand qu’elle peut s’appuyer sur une grande « biodiversité » d’activités et de flux à croiser, ce qui est bien sûr plus accessible sur de grands territoires qu’à la seule échelle d’un écoparc.
Un sujet donc qui s’entrecroise avec celui des pouvoirs et compétences des collectivités territoriales, un sujet d’une brûlante actualité…