Aujourdâhui, de nouvelles pratiques se cĂŽtoient, qui tĂ©moignent dâune autre maniĂšre dâapprĂ©hender la sociĂ©tĂ©.
*Sylvie Mayer est responsable du secteur Ăconomie sociale et solidaire du Conseil national du PCF.
DU SOCIAL AU SOLIDAIRE : DES PRATIQUES QUI SE CROISENTÂ
LâESS nâest ni une notion ni une pratique nouvelle. Elle englobe lâĂ©conomie sociale â domaine constituĂ© par les coopĂ©ratives, les mutuelles, les associations et les fondations et reposant sur des pratiques intĂ©grĂ©es Ă des statuts (une personne = une voix, adhĂ©sion volontaire, sociĂ©tariat, rĂ©serves impartageables, lucrativitĂ© limitĂ©eâŠ) â et lâĂ©conomie solidaire, qui dĂ©signe des pratiques comme le commerce Ă©quitable, la finance Ă©thique, le microcrĂ©dit, le tourisme solidaire, lâagriculture durable, les rĂ©seaux dâĂ©change de savoirs, les services de proximitĂ©, les rĂ©gies de quartier⊠On les associe dans lâESS car les croisements entre ces deux formes dâactivitĂ©s sont nombreux. Un exemple parmi dâautres est lâentreprise Ăthiquable, Ă la fois entreprise de commerce Ă©quitable, donc solidaire, et Scop â sociĂ©tĂ© coopĂ©rative participative â, donc sociale. Â
MUTUALISER ET RECYCLERÂ
Le champ de lâĂ©conomie circulaire, mise en pratique depuis les annĂ©es 1980 au Danemark, puis aux Ătats- Unis, en Chine ou en Grande-Bretagne, garde des contours flous. Lâexpression, gĂ©nĂ©rique, renvoie avant tout Ă une conception Ă©conomique relative au dĂ©veloppement durable, qui se rĂ©fĂšre aux notions dâĂ©conomie de la fonctionnalitĂ© (substituer la vente dâun produit Ă des Ă©changes de services), dâĂ©cologie industrielle (faire des dĂ©chets dâune filiĂšre la matiĂšre premiĂšre dâune autre) et dâĂ©conomie verte.

Certains insistent sur lâaspect Ă©cologie industrielle, comme lâassociation Ăcopal, pour laquelle il sâagit Ă la fois de dĂ©matĂ©rialiser â rĂ©duire la quantitĂ© dâĂ©nergie et de matiĂšre consommĂ©e par unitĂ© de biens produits â et effectuer le bouclage des cycles de matiĂšres par des voies multiples ; une approche rĂ©sumĂ©e aussi par les « 4R »: rĂ©duire, rĂ©utiliser, refabriquer, recycler. Dâautres, comme la Fondation Hulot ou lâInstitut de lâĂ©conomie circulaire, insistent plus sur lâĂ©conomie de la fonctionnalitĂ©, qui substitue la location/colocation, le prĂȘt et le partage, lâusage Ă la possession du bien. Pour Dominique Bourg, animateur du groupe de travail Promouvoir des modes de dĂ©veloppement Ă©cologiques favorables Ă la compĂ©titivitĂ© et Ă lâemploi du Grenelle de lâenvironnement, « mutualiser un bien, câest de lâĂ©conomie circulaire ». Il sâagit alors de coupler Ă©conomie circulaire, prise au sens dâĂ©cologie industrielle, et Ă©conomie fonctionnelle.
DES SYSTĂMES PRODUCTIFS FONDĂS SUR LA COOPĂRATIONÂ
Le texte prĂ©paratoire Ă la convention Industrie du PCF des 22 et 23 novembre 2014 indique que « dans une logique âdâĂ©conomie circulaireâ conçue de maniĂšre ouverte, il faut dĂ©velopper les mises en rĂ©seaux pour organiser la complĂ©mentaritĂ© des besoins et les coopĂ©rations mutuellement profitables car les dĂ©chets des uns peuvent et doivent devenir les matiĂšres premiĂšres des autres ». Cela doit permettre de « promouvoir un nouveau systĂšme productif apte Ă rĂ©pondre aux dĂ©fis technologiques, sociaux et environnementaux de notre Ă©poque ».Ces nouvelles organisations, expĂ©rimentĂ©es depuis longtemps dĂ©jĂ par lâESS, incluent coopĂ©rations, mutualisations, mises en rĂ©seaux et nouveaux critĂšres de production, dâĂ©change et de commercialisation, le tout Ă©loignĂ© des notions de concurrence et de compĂ©titivitĂ©, et donc de ce capitalisme qui produit « les formes dâune sociĂ©tĂ© de consommation prĂ©judiciable aux consommateurs, aux Ă©cosystĂšmes, Ă la biosphĂšre ».
RĂLE MAJEUR DES TERRITOIRESÂ
Lâassociation 4D considĂšre la territorialisation de lâĂ©conomie comme une Ă©tape indispensable de la transition vers une Ă©conomie Ă©cologique et Ă©quitable, et rĂ©vĂšle ainsi un croisement fondamental entre ESS et Ă©conomie circulaire. Car ces deux modĂšles ont en commun de rĂ©aliser leur efficacitĂ© dans un ancrage local. Pour lâĂ©conomie circulaire, ce sont par exemple les boucles entre les usines dâun mĂȘme territoire, en collaboration pour optimiser leurs flux de production, de dĂ©chets, le recyclage. Citons encore le texte de la convention Industrie du PCF: « La dĂ©marche de relocalisation ouvre des perspectives nouvelles pour un modĂšle productif rapprochant les lieux de production des lieux de consommation, au plus grand bĂ©nĂ©fice des populations et des territoires concernĂ©s. Sâagissant des petites productions locales, elle est un facteur de transformation des modes de consommation en favorisant la diversification des produits disponibles, les liens entre producteurs et consommateurs, les circuits courts ». Et sâagissant de lâESS, le systĂšme coopĂ©ratif â Scop, SCIC (sociĂ©tĂ© coopĂ©rative dâintĂ©rĂȘt collectif), CAE (coopĂ©rative dâactivitĂ© et dâemploi)⊠â est par nature particuliĂšrement adaptĂ© Ă la dimension locale.
Cela est Ă rapprocher de ce quâĂ©crit Carlos de Freitas : « Si la crise actuelle a permis une avancĂ©e majeure, il sâagit bien de la reconnaissance du besoin dâhybridation des sources de financement et de modĂšles Ă©conomiques âglocauxâ [globaux et locaux], ainsi que celle de la haute rĂ©silience des Ă©conomies relocalisĂ©es et des dispositifs de lâĂ©conomie sociale et solidaire (ESS) qui les sous-tendent. »
UN PRINCIPE DE FĂCONDATION CROISĂE EN ACTIONÂ
Lâarticulation ESS/Ă©conomie circulaire sâapprĂ©hende bien Ă partir de quelques exemples.
Ainsi Ă Pau, lâentreprise Roskoplast rĂ©alise que les dĂ©chets de son activitĂ© â plastique PET de qualitĂ© alimentaire â pouvaient servir Ă fabriquer de nouveaux emballages ; Capsnap, injecteur- souffleur, a pour mĂ©tier de transformer ce type de matiĂšres et Michaud Apiculteurs a besoin de contenants alimentaires pour le miel quâil produit ; enfin, APESA Innovation â centre technologique en environnement et maĂźtrise des risques â dispose de compĂ©tences techniques et organisationnelles, notamment via des projets collaboratifs. Ensemble, ils organisent dans un rayon de 15 km la fabrication de flacons de 28 g, utilisant 90 % de matiĂšre recyclĂ©e et remplaçant avantageusement les circuits dâapprovisionnement prĂ©cĂ©dents â la matiĂšre premiĂšre venait de Chine, et le flacon dâEspagne ou dâAllemagne â au bĂ©nĂ©fice de chacun⊠de la collectivitĂ© et de lâenvironnement.
Dans un autre registre, des associations indĂ©pendantes se sont fĂ©dĂ©rĂ©es dans le rĂ©seau Envie. AdministrĂ© par des bĂ©nĂ©voles issus de ces associations, Envie lutte contre les phĂ©nomĂšnes de prĂ©caritĂ© et dâexclusion en proposant Ă des personnes en difficultĂ© des emplois associĂ©s Ă une formation et Ă un accompagnement individualisĂ©. Ces employĂ©s rĂ©novent de lâĂ©lectromĂ©nager de grandes marques, qui est remis en vente Ă prix rĂ©duit : garantis un an, ces appareils sont jusquâĂ 40 % moins chers que les prix du marchĂ©. Le rĂ©seau rĂ©unit ainsi 49 entreprises dâinsertion, 42 points de vente, pour 62 000 appareils et 80000 t traitĂ©es par an, soit 1050 Ă©quivalents temps plein en insertion, 450 salariĂ©s permanents et 400 bĂ©nĂ©voles. Un succĂšs fondĂ© sur une triple solidaritĂ©: Ă©cologique car il sâagit de donner une seconde vie aux appareils plutĂŽt que de les jeter, et doublement sociale car permettant lâinsertion de personnes en difficultĂ© tout en favorisant lâachat de bon matĂ©riel Ă des prix modiques.
Dernier exemple, celui de Macoretz. PassĂ©e de 5 Ă 180 salariĂ©s en vingt cinq ans, Macoretz est une Scop qui construit et rĂ©nove des maisons individuelles et des logements sociaux (« Il nâest pas de progrĂšs social possible dans un cadre de vie dĂ©gradĂ© qui dĂ©truit les ressources et ne respecte pas lâenvironnement »). La Scop rappelle ainsi un des fondamentaux du projet coopĂ©ratif: mettre en oeuvre une dynamique collective au service du mieux-ĂȘtre de tous. Un mieux-ĂȘtre qui passe par les logiques de lâĂ©conomie circulaire, puisque la coopĂ©rative utilise des matĂ©riaux recyclables Ă faible empreinte carbone (bois et brique), des isolants naturels et des Ă©nergies renouvelables. Elle pratique une politique active de tri et de recyclage des dĂ©chets, lui permettant notamment dâĂȘtre autonome pour son chauffage (valorisation des chutes de bois), et place lâinnovation technique au service du bien-ĂȘtre des salariĂ©s comme des clients.
VERS UN COMMUNISME TERRITORIALÂ
Ces trois exemples â parmi des dizaines â montrent comment des entreprises de lâESS allient Ă©conomie, social et Ă©cologie dans une dĂ©marche que lâon peut qualifier dâĂ©conomie circulaire. On pourrait aussi parler des circuits courts agroalimentaires, des SEL (systĂšmes dâĂ©changes locaux), des monnaies locales de relocalisation⊠Les initiatives dâactivitĂ©s Ă©conomiques Ă but social et Ă©cologique sont en plein dĂ©veloppement.
TerritorialisĂ©es, ces initiatives, fondĂ©es sur une citoyennetĂ© active et une dĂ©mocratie assumĂ©e, contribuent Ă la construction de mises en commun pour des objectifs utiles Ă la sociĂ©tĂ©, mettant au centre de leurs prĂ©occupations lâhumain dans son environnement. Un communisme territorial qui, alliĂ© Ă une dĂ©mocratie locale participative, Ă des services publics dĂ©veloppĂ©s et dĂ©mocratisĂ©s, Ă un renouveau de la planification Ă toutes les Ă©chelles, Ă des nationalisations dĂ©mocratiques de grands secteurs stratĂ©giques, montre la voie dâune alternative au capitalisme.
1. Association de promotion de lâĂ©conomie circulaire (http://www.ecopal.org/).
2. LâĂconomie de la fonctionnalitĂ©: vers un nouveau modĂšle Ă©conomique durable, Ă©tude
de la Fondation Concorde, 2010Â (http://www.agora21.org)
3. Ibid note 1.
4. Rapport « Pour une économie écologique et équitable », Pierre Grison, Michel Mousel et Vaia Tuuhia, 2013 (http://www.association4d.org).
5. Newsletter Rencontres du Mont-Blanc, nov.-déc. 2014.
6. APESA: http://www.apesa.fr/projets.